Treyvaux: 100e anniversaire de la naissance du fondateur d'ATD Quart Monde

Joseph Wresinski, le fondateur d’ATD Quart Monde, mouvement qui lutte dans une trentaine de pays pour mettre fin à l’exclusion des plus démunis, aurait eu 100 ans le 12 février 2017. Reportage à Treyvaux (FR), siège national suisse d’ATD.

Le dimanche 12 février à Treyvaux, dans la campagne fribourgeoise, ATD fera mémoire du «Père Joseph», décédé le 14 février 1988 à Suresnes (Hauts-de-Seine). L’occasion également de célébrer les 60 ans de cette solidarité avec les plus pauvres née en 1957 dans le camp de sans-logis de Noisy-le-Grand, près de Paris. Le mouvement international ATD Quart Monde lance le 12 février une mobilisation mondiale («Stop Pauvreté. Agir tous pour la dignité») pour affirmer que «la misère n’est pas une fatalité!»

En Suisse depuis 1965

ATD Quart Monde existe en Suisse dès 1965. Le Père Joseph avait donné mission à la Suissesse Hélène von Burg, engagée à Noisy-le-Grand, de retourner dans son pays pour établir des contacts avec ses compatriotes passés par ce bidonville de Seine-Saint-Denis. Le mouvement s’installera donc à Treyvaux, où les volontaires permanents et de nombreux bénévoles rénoveront une vieille ferme acquise en 1967 à La Crausaz. La maison, d’abord destinée à l’accueil de familles de Noisy-le-Grand, puis de familles suisses, deviendra le Centre national suisse du mouvement. Elle a été rénovée en 2007.

 

La pauvreté en Suisse, «une découverte pour beaucoup!»

Entré dans l’organisation il y a 40 ans, Jean-Paul Petitat, co-président actuel de l’association suisse, se souvient du leader charismatique, qui, un jour de 1977, dans la salle de la Mutualité à Paris, lança le défi que dans les dix ans, il n’y aurait plus d’illettrés en France. «C’était la première grande manifestation publique d’ATD Quart Monde, vingt ans après sa fondation!». Joseph Wresinski faisait alors connaître sa lutte contre l’illettrisme et pour la formation des plus pauvres. «C’était la première fois que je l’entendais. J’étais impressionné par sa fougue!», souligne le sociologue.

Le fondateur du mouvement avait demandé à toutes les équipes, dans les pays où était implanté ATD, d’écrire un «Livre blanc» faisant la recension de la pauvreté. En Suisse, ce «Livre blanc» va devenir, sous la plume d’Hélène Beyeler-von Burg, «Des Suisses sans nom – Les heimatloses d’aujourd’hui» et fera découvrir une Suisse méconnue, celle de la misère cachée, des sans instruction, sans logis, sans métier, voire sans famille reconnue. «L’existence de la pauvreté chez nous, c’était une découverte pour beaucoup!»

 

Un travail de pionnier

«C’était à l’époque un travail de pionnier, car le ‘Livre blanc’ allait plus loin que le simple constat de la persistance d’une population pauvre en Suisse. Il cherchait les racines historiques de cet état de fait», note la théologienne et journaliste Marie-Rose Blunschi Ackermann. Cette dernière, alliée du mouvement ATD, a travaillé au département Religion de la radio alémanique DRS, et a obtenu un doctorat en théologie à Fribourg. Son thème: Joseph Wresinski, porte-parole des plus pauvres dans le discours théologique (en allemand).

«Aujourd’hui encore, des mesures coercitives contre les plus pauvres»

Pourtant, les choses ont évolué en Suisse. Il y a eu la révélation, il y a une trentaine d’années, du scandale des «enfants de la grand-route» (Entre 1926 et 1972, près de 600 enfants yéniches arrachés à leurs parents, afin d’en faire des «citoyens utiles» et d’éliminer la culture yéniche, ndr). Aujourd’hui, on parle des injustices provoquées par les mesures de coercition à des fins d’assistance, les placements d’enfants hors de leur famille ou l’internement de personnes par décision administrative, etc. «Il y a malheureusement, aujourd’hui encore, des mesures coercitives visant les plus pauvres», insiste Marie-Rose Blunschi Ackermann.

 

Natif de Courgevaux, Olivier Wuillemin, engagé comme volontaire permanent depuis 1977, a bourlingué de Treyvaux à Genève, en passant par la France, les Pays-Bas, l’Irlande, l’Egypte… Le Fribourgeois note que la confection du «Livre blanc» suisse avait une approche novatrice pour l’époque: il faisait le lien entre pauvreté et mesures coercitives, se basant sur les témoignages des familles victimes. Elles se réunissaient à Treyvaux et livraient leur témoignage. «On a construit le livre à partir des Universités Quart Monde, on a réfléchi ensemble, à partir des droits de l’homme».

«Changer les choses, pas seulement les observer»

Le but du Mouvement, qui fait participer les gens concernés à l’analyse, est de changer les choses, pas seulement de les observer. «Nous n’en restons pas à la démarche scientifique, nous sommes impliqués, avec les plus pauvres, dans un processus de transformation…», insiste Marie-Rose Blunschi Ackermann.

 

Le Père Joseph relisait l’Evangile à partir de son expériences des plus pauvres, remarque Jean-Paul Petitat: «Il avait constamment cette passion des plus délaissés!» «Mais il n’était pas dupe et n’enjolivait pas la réalité, relève Marie-Rose Blunschi Ackermann. Il parlait des réalités très dures des familles dans la misère, des obstacles et des conditions de vie précaires qui peuvent empêcher que l’amour s’épanouisse dans ces familles. Comment croire, quand personne ne croit en vous? Sans ‘sanctifier’ les pauvres, le Père Joseph regardait les gens avec assez d’amour pour, malgré tout, discerner des lueurs d’espoir chez les plus abandonnés».

Discerner des lueurs d’espoir chez les plus abandonnés

Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré, tel était le leitmotiv de Joseph Wresinski. Une dalle, proclamant ce message, a été inaugurée le 17 octobre 1987 sur le Parvis des Libertés et des Droits de l’Homme, à Paris. C’est là que fut signée, en 1948, la Déclaration universelle des Droits humains. JB

 


Joseph Wresinski, une enfance difficile

Joseph Wresinski est né dans un milieu pauvre à Angers, d’un père immigré polonais et d’une mère espagnole, le 12 février 1917. Il a été marqué dans sa chair par une enfance vécue dans des conditions très précaires, son père rentré en Pologne ayant laissé sa mère seule avec quatre enfants.

Apprenti boulanger-pâtissier, il voit naître sa vocation sacerdotale et sa sensibilité sociale dans la fréquentation des milieux ouvriers socialistes puis, dès 1933, de la Jeunesse ouvrière catholique (JOC). Pour lui, l’Eglise ne peut avoir de repos «avant d’avoir rejoint les plus pauvres».

Prêtre en juin 1946, il devient vicaire dans une paroisse ouvrière, puis dans une paroisse rurale. En juillet 1956, l’abbé Wresinski découvre à 39 ans le bidonville de Noisy-le-Grand. Mgr Pierre Douillard, évêque de Soissons, lui avait proposé de répondre à l’appel lancé par l’Abbé Pierre, qui cherchait un nouvel aumônier pour assister les 250 familles occupant ce bidonville. «Ce jour-là, dira-t-il, je suis entré dans le malheur…».

Action novatrice

Il s’y installe le 11 novembre 1956, et se consacre désormais aux plus pauvres, qui deviendront acteurs de leur propre libération. Il s’éloigne radicalement des conceptions caritatives de l’époque. Joseph Wresinski vise, dès le départ, à faire sortir les familles de l’assistance et du contrôle social, pour les faire accéder à l’autonomie et à la dignité.

D’emblée, il veut aussi que son mouvement recueille des connaissances scientifiques sur la grande pauvreté, afin d’avoir des leviers efficaces pour l’action sociale et politique. Il crée, dès 1960, un «Bureau de recherches sociales», puis organise des colloques internationaux sur la thématique de la grande pauvreté, faisant de son mouvement un expert dans les instances internationales.

Les plus pauvres au centre

Dans son approche, il met les plus pauvres au centre: ce sont eux, dans le mouvement ATD, dans des «Universités populaires Quart Monde», qui articulent la problématique de la grande pauvreté. Ces «Universités» sont des lieux de dialogue entre des personnes vivant en grande pauvreté et des citoyens s’engageant à leurs côtés. C’est ainsi que le Mouvement ATD Quart Monde met en évidence les mécanismes de reproduction de la pauvreté sur des générations.

C’est aussi grâce à des «alliés», comme Geneviève Anthonioz-De Gaulle, nièce du général de Gaulle, résistante et déportée, présidente d’ATD Quart Monde durant 34 ans, que le mouvement gagne une dimension qui dépasse rapidement les frontières de la France. Il bénéficie depuis des années d’un statut consultatif auprès d’instances internationales. Membre du Conseil économique et social français à partir de 1979, le Père Joseph rédigera un rapport d’une grande portée, intitulé «Grande pauvreté et précarité économique et sociale», qui sera adopté à Paris le 11 février 1987. JB

Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté

Grâce à l’impulsion du Père Joseph, le 22 décembre 1992, l’Assemblée générale des Nations Unies a désigné le 17 octobre comme la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté. L’idée d’une telle Journée remonte au 17 octobre 1987, lorsque une centaine de milliers de personnes se rassembla au Palais du Trocadéro à Paris, là où l’ONU adopta en 1948 la Déclaration universelle des Droits de l’homme.

Ce rassemblement était destiné à rendre hommage aux victimes de l’extrême pauvreté, de la violence et de la faim. Des militants de tous les pays ont réaffirmé que la pauvreté était une violation des droits de l’homme et qu’une action commune devait être menée pour faire en sorte que ces droits soient respectés.

Depuis lors, des personnes se rassemblent chaque année le 17 octobre pour réitérer leur engagement et manifester leur solidarité envers les pauvres. Des répliques de la dalle commémorative ont été dévoilées dans le monde et servent de lieu de rassemblement pour cette journée. L’une d’entre elles se trouve dans le jardin du siège de l’ONU, à New York. (cath.ch/be)

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Jacques Berset

Portail catholique suisse

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