Pensée informatisée

Il n’est pas rare qu’une certaine arrière-garde culturelle fasse front contre le langage informatique et tire à boulets rouges contre ses  produits. Je ne m’en inquiète pas outre mesure si ces critiques n’émanent que d’une poignée d’intellos de mon âge et de mon espèce et encore à la vision difficile.

Je peux comprendre leur difficulté d’adaptation. Mais ces critiques m’alertent lorsqu’elles portent sur les dérives de ce langage nouveau. Il encouragerait, dit-on, la superficialité et même la paresse intellectuelle. L’internaute, fan du zapping, ne ferait que parcourir d’un œil rapide le texte affiché sur son écran, mais sans le lire vraiment. Il se contenterait de visualiser globalement l’étendue de la page, puis passerait à la suivante sans prêter trop d’attention à son contenu. Ce léger survol ne porte pas à conséquence quand le matériau est futile ou dérisoire, comme celui de plusieurs media sociaux, mais il peut l’être quand on choisit de faire paraître sous mode électronique une revue ou un magazine dont le but est précisément de susciter et de  partager une réflexion.

Comment faire revivre la mémoire d’un ordinateur?

Les  amoureux du livre et du périodique imprimés disent éprouver un plaisir ignoré de l’internaute: celui de tenir entre leurs mains un compagnon fidèle, qui vous suit dans tous vos déplacements et se trouve à son aise aussi bien sur les rayons d’une étagère que sur une table de nuit ou de travail. Le livre fait preuve d’une disponibilité dont la durée peut se confondre avec celle d’une vie. Il est si facile de relire ou consulter un ouvrage qui a marqué votre jeunesse. Mais comment faire revivre la mémoire d’un ordinateur, déclassé et mis au rebut après quelques mois d’usage? Symbole de la culture ambiante qui avale et déglutit le plus d’informations possibles pour les oublier dans la seconde qui suit.

Un lot de consolation cependant, et pas le moindre, pour les auteurs qui recourent à l’informatique. Ce mode de communication multiplie les visiteurs d’un site, alors que le papier d’autrefois confinait ses lecteurs dans un étroit cénacle d’initiés. C’est la pratique du «Je sème à tout vent», si chère au dictionnaire Larousse et à une célèbre parabole évangélique. Semailles sans frontières, sur le bord des chemins caillouteux, dans les fourrées de ronces et d’épines et sans doue aussi, de temps en temps, sur quelques arpents de bonne terre.

Mais comment les auteurs savent-ils s’ils ont tiré dans le mille, s’ils sont au cœur de la cible? Seul l’échange de commentaires entre eux  et les  internautes qui les lisent –  nouveau courrier des lecteurs encore à définir –  permet aux auteurs d’articles de rectifier leur tir, d’approfondir et d’élargir une réflexion qui leur a beaucoup coûté. Ils ne l’ont pas payée en espèces sonnantes et trébuchantes, mais en longues veilles passées à activer leurs neurones. Pas seulement pour leur plaisir, mais par souci de l’intérêt général. L’avenir de la «pensée informatisée» est à ce prix!

Guy Musy | Rédacteur responsable de la revue «Sources» sur cath.ch

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/blogsf/pensee-informatisee/