«Opération Nez Rouge, j’écoute» (151292)

Pour dire non à l’alcool au volant

Née dans le Québec et reprise dans le Jura, l’opération s’étend en Romandie

Pierre Rottet, agence APIC

Delémont, 15décembre(APIC) 155… comme un numéro vert gratuit mis à la

disposition des utilisateurs, 22… comme v’là les flics, 08 comme le taux

d’alcoolémie à ne pas dépasser. Cette année, pour la première fois depuis

sa création en 1990 dans le Jura, le numéro 155 22 08 peut être composé

dans pratiquement toute la Suisse Romande. Du 18 décembre au 3 janvier dans

le Jura, du 18 au 19 décembre et du 23 décembre au 3 janvier dans la région

fribourgeoise. Aux « dates chaudes » ailleurs. Un peu partout l’opération Nez

Rouge a fait tache d’huile. Des antennes se sont créées dans les cantons de

Neuchâtel, de Genève et de Fribourg. Cette dernière région englobant une

partie du Nord Vaudois. Le Jura était en avance durant le week-end dernier

pour lancer son opération 1992/93. L’Agence APIC était sur place, afin d’en

savoir plus et pour tester l’efficacité de la démarche. En faisant comme

si…

Minuit. « Opération Nez Rouge, j’écoute »… D’où téléphonez-vous?… Ne

bougez pas, nous vous envoyons une voiture ». Pas plus difficile que cela.

Un peu de fatigue, une soirée par trop arrosée, des facultés quelque peu

émoussées… la réflexion ensuite, puis la démarche: « Non je ne peux pas

conduire. Je ne me sens pas apte à prendre un volant. Reste le Nez Rouge en

cette période de fête ».

L’affiche bleue sur laquelle un renne au nez rouge est dessiné, est placardée contre le mur de la salle de ce restaurant de campagne. Impossible

de ne pas la voir. Impossible non plus de ne pas remarquer les petits cartons placés sur les tables… et le numéro de téléphone à appeler. Comme

une invitation après le dernier verre de rouge ou le pousse-café. Le verre

de trop.

Une équipe soudée

Minuit quinze. Une jeune fille portant une écharpe rouge particulièrement visible s’est approchée de la table. Discrètement. Cherchant du regard

la personne à prendre en charge. Ses deux compagnons de service l’attendent. L’un dans la voiture les ayant conduits de la Centrale de Delémont

aux abords du restaurant, à quelque 7 kilomètres de la capitale jurassienne. L’autre sur le pas de la porte, prêt à prendre les clés de la voiture

du « client » pour le reconduire à son domicile si tel est son voeu. Un tour

du véhicule pour constater qu’il est en ordre, que les pneus le sont également et déceler d’éventuelles anomalies qu’il serait vain d’imputer par la

suite au chauffeur d’un moment… Le temps aussi pour le « client » de prendre place à l’arrière.

« Nous sommes toujours trois par équipe », explique Claude, un jeune bénévole – terme consacré pour désigner les acteurs de l’opération Nez Rouge à peine plus âgé que sa camarade Nadia, qui a pris place à son côté. « Pour

tenir compagnie et faire la conversation aux personnes prises en charge ».

Depuis deux ans qu’ils avaient entendu parler de l’opération Nez Rouge dans

le Jura, de son esprit et de sa philosophie importés du Québec, de l’ambiance chaleureuse entre les bénévoles, l’un et l’autre n’ont pas hésité…

« Pour rendre service. Je trouve bien que des gens fassent cette démarche,

loin d’être évidente d’ailleurs, et aient le courage de téléphoner », confie

Nadia pour qui, à l’instar de Claude du reste, ce transport est le premier

auquel elle participe. Derrière, à une centaine de mètres, la voiture escorte suit, dans le sillage. « Respecter le code de la route, circuler prudemment et s’engager à ne pas boire une goutte d’alcool tout au long de la

journée de service font partie de nos obligations ».

L’histoire du petit renne au nez rouge

Minuit trente. Une demi-heure à peine s’est écoulée depuis le coup de

fil. La voiture du « rapatrié » est maintenant parquée à l’endroit demandé.

Pour les trois membres de l’équipe du Nez Rouge, cette première opération

est achevée. Elle s’ajoute aux centaines d’autres menées à bien depuis

1990, date à laquelle, pour la première fois en Suisse, la Ligue jurassienne contre les toxicomanies décidait de monter une opération Nez Rouge calquée sur le modèle québécois. Un an plus tard, le succès aidant, un comité

décidait de se constituer en Association indépendante. Celle du Nez Rouge.

« Non par dérision à l’égard de ceux que l’expression désigne, mais en référence au conte du petit renne au nez rouge comme une tomate que le Père Noël avait choisi pour l’accompagner dans sa tournée », explique le président

de l’Association, Jean-Luc Baierlé, médecin cantonal. L’un des principaux

artisans de l’organisation que nous avons rejoint ce soir-là à la Centrale

de Delémont d’où se coordonne l’ensemble des interventions.

Une des caractéristiques de l’opération Nez Rouge, poursuit notre interlocuteur, c’est qu’elle revient chaque année. Son message consiste à renforcer la campagne de sensibilisation face à un problème qui concerne tout

le monde. « Et le Jura, notamment, qui paye un lourd tribut aux accidents de

la route ». L’intérêt, c’est le rappel de l’événement, comme un leitmotiv

pour éviter que le message ne se perde. Une opération « coup de poing ». Pour

dire aux gens « attention il y a problème ». Leur rappeler l’importance et la

gravité de la question. Leur dire… pendant 3 semaines: « l’opération Nez

Rouge s’occupe de vous et de votre véhicule… mais les 49 autres semaines, pensez-y vous-même, prenez vos responsabilités. Les transports gratuits sont le prétexte à une campagne de sensibilisation beaucoup plus large. On en discute en famille, au bistrot. Il s’agit bien d’une réelle prise

de conscience ». Cette année, précise Jean-Luc Baierlé, « nous étudierons

pour la première fois scientifiquement l’impact de notre opération sur

l’ensemble de la Romandie ». Et s’il est difficile de mesurer en chiffres

l’impact de l’opération sur le nombre d’accidents évités dans le Jura durant les deux premières années, force est de constater qu’aucun accident

majeur n’a été déploré en 1990, contre un seul l’an dernier durant la période de l’action menée par Nez Rouge.

Les plaisantins de service…

A la Centrale de Delémont, les appels téléphoniques se suivent et se

multiplient à mesure que l’heure avance. Et toujours la même réponse: « Opération nez Rouge j’écoute ». Des bénévoles de piquet patientent avant de

partir… un jeu de cartes à la main pour tuer le temps. « C’est long, d’attendre jusqu’à 4 heures du matin ». Des victuailles, des limonades pour le

petit creux qui guette. Tout y est ici chaleur et hospitalité, tact et discrétion. « Les téléphones sont centralisés à Delémont, et en fonction du

lieu de l’appel, nous informons par fax nos antennes aux Franches-Montagnes, à Porrentruy ou ailleurs. Chaque antenne procède de la même manière,

à Delémont comme à Bulle, avec plusieurs véhicules et chaque fois 3 personnes par équipe, plus une téléphoniste et un responsables chargé de superviser le bon déroulement des opérations, déclare Pascal Schindelholz, responsable de l’antenne delémontaine. Onze personnes et trois voitures assument

chaque nuit la permanence.

Certes, commente-t-il avec humour, « on ne peut éviter les téléphones bidons, les plaisantins. Nous les détectons la plupart du temps ». Dans l’absolu, relève le responsable delémontain, on peut imaginer qu’un gars en rade à Genève se fasse rapatrier dans le Jura, en passant par les différentes

antennes régionales, qui se succéderont pour le conduire d’un endroit à

l’autre. Jusqu’à Lausanne lorsque cette ville disposera d’une équipe, de

Lausanne à Estavayer, de là à Neuchâtel puis à La Chaux-de-Fonds, des Franches-Montagne jusque dans le district de Delémont, voir repris aux Rangiers

par l’antenne de Porrentruy s’il y a lieu. Tout un programme. Et si le

« client » le demande, « nous sommes prêts à le conduire jusqu’au dancing du

coin, partant du principe qu’il retéléphonera pour se faire reconduire ensuite à son domicile ».

Toujours plus d’appels

En 1991, le Nez Rouge avait rapatrié 120 personnes sur l’ensemble du Jura, soit 35 de plus qu’en 1990. « Pour cette année, les prévisions sont à la

hausse… plus de 200 appels sont attendus. En 1991, les bénévoles ont effectué 6’000 kilomètres et brûlé quelque 600 litres d’essence. « Beaucoup

moins que ce que nous attendons cette année, puisque pour la première fois

d’autres antennes romandes emboîtent le pas. Les chiffres sont là pour attester de l’importance de l’infrastructure mise en place: 220 bénévoles

pour le Jura, 120 pour Tavannes-Moutier, une cinquantaine à La Chaux-deFonds, 40 à Bulle et La Gruyère et autant à Estavayer-région de la Broye,

une centaine pour Genève.

C’est vrai, reconnaît Jean-Luc Baierlé, l’organisation prend une telle

ampleur qu’il faudra songer à un secrétariat permanent chargé de coordonner

le travail » des quelque 23 membres du comité représentatif des régions concernées par l’opération. Comité lui-même conduit par un bureau de cinq personnes. Le budget de fonctionnement du comité se monte à 37’000 francs cette année. Il couvre la publicité, les assurances et les frais de secrétariat notamment. Le canton du Jura contribue avec une subvention de 4’000

francs, la CNA, qui fête dans le Jura son dixième anniversaire, verse

10’000 francs. Ces sommes s’ajoutant à celles provenant de dons, en nature

ou en espèce, qui couvrent la moitié du budget. Les prêts de voitures, par

les garages, l’essence fournie par une compagnie pétrolière, ainsi que

l’alimentation ou autres fournitures composent la plus grande partie des

dons mis à la disposition de chaque antenne (huit pour l’ensemble de la Romandie).

« Cette année, l’Office fédéral de la santé publique a octroyé une subvention. Une manière de reconnaître l’utilité de notre opération. Tout comme la Fondation vaudoise de lutte contre l’alcoolisme, qui a contribué pour

un montant de 5’000 francs à la création de l’antenne d’Estavayer », relève

en conclusion le président de l’Association Nez Rouge. Une organisation

parfaitement structurée, dont les ramifications pourraient dans un bref

avenir s’étendre à l’ensemble de la Suisse. « Des contacts sont pris un peu

partout ». A moins que… « L’utopie serait que l’Association Nez Rouge n’ait

plus besoin d’exister en raison du comportement idéal des conducteurs sur

la route ». (apic/pr)

ENCADRE

En 1991, 2032 accidents de la circulation ont fait 37 tués dans le canton de Fribourg. Un chiffre déjà atteint durant les 10 premiers mois de

1992. De décembre 1991 à fin novembre 1992, le canton a retiré 1785 permis

de conduire. Les statistiques indiquent pour la même période 24% d’ivresse

au volant sans accident et entre 17 et 18% avec accident. Les chiffres

laissent songeur. Ils expliquent à eux seuls la création des antennes de

Bulle et d’Estavayer, souligne Alexandre Oberti, d’Estavayer, membre du comité de l’organisation Nez Rouge, qui, en compagnie de bénévoles fribourgeois notamment, répondra présent durant ces fêtes de fin d’année. Une

quarantaine de bénévoles se relaieront en Gruyère les 18 et 19 décembre et

du 23 décembre au 3 janvier, une quarantaine d’autres couvriront la région

de la Broye fribourgeoise et vaudoise jusqu’à Yverdon du 23 au 27 décembre

et du 30 décembre au 3 janvier. (apic/pr)

ENCADRE

Le Nez Rouge a vu le jour au Québec en 1984. A ce jour, l’opération

couvre la quasi-totalité de la Province et réalise près de 20’000 transports au cours des deux ou trois semaines de l’année. A Noël 1991, Nez Rouge Québec avait effectué son 100’000e transport. L’histoire ne dit pas si

ce 100’000e client a reçu une bouteille pour récompense. (apic/pr)

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