Tables du Rhône: «Partager plutôt que gaspiller»

Avec la devise «Partager plutôt que gaspiller», quelques pionniers ont créé les  «Tables du Rhône» en 2006 à Aigle (VD) et Monthey (VS). Aujourd’hui, 300 bénévoles récupèrent et redistribuent annuellement plusieurs dizaines de tonnes de nourriture avant qu’elles ne soient détruites.

Les cageots sont rapidement déchargés du camion. Chacun à son poste. On se croise, on s’esquive comme dans une chorégraphie. Les bénévoles transforment la grande salle de la paroisse protestante de Monthey en centre de distribution alimentaire de l’association Tables du Rhône. Une majorité de femmes, «une grande famille», peaufine la présentation de la récolte du jour auprès des grandes surfaces et des commerces de détail: fruits, légumes, produits laitiers, charcuterie et produits carnés conditionnés, pain, boissons et produits d’épicerie. «Nous avons beaucoup aujourd’hui», relève Pierrette en achevant la mise en place des légumes de ce «magasin» éphémère.

Soustraire la nourriture au gaspillage

«L’idée est de soustraire la nourriture au gaspillage. A défaut d’être un carême, c’est notre vision de la solidarité», explique Alain Langel, président de l’association Tables du Rhône. Les camions frigorifiques de l’association sillonnent le Chablais, Vaud et Valais, et le Valais central pour récolter et redistribuer les produits alimentaires avant qu’ils ne finissent à la benne à ordures. Les particuliers au bénéfice de l’aide sociale reçoivent prioritairement cette aide. Le surplus est distribué à des institutions caritatives recueillant des réfugiés, des requérants d’asile ou des personnes en situation de précarité. «Nous aimerions être le remède au gaspillage mais nous ne traitons que la partie émergée de l’iceberg», reconnaît-il.*

 

Législation contraignante

En 2015, l’association a redistribué 342 tonnes de produits alimentaires, mais seulement 220 tonnes en 2016. L’écart s’explique par l’évolution de l’étiquetage des produits et la législation en vigueur. «Nous distribuons les produits en tenant compte de leur date limite de consommation. Cela nous donne de un à deux jours de délai selon les produits». Dans le cas où seule la date limite de vente est indiquée, elle fait foi et limite la vente ou la distribution à 18h30 le jour même. «Ce type d’étiquetage s’est répandu au fil du temps, nous privant ainsi des 24 à 48 heures nécessaires à la distribution», déplore le président, soucieux de respecter la loi. Il note que les distributeurs ont fait machine arrière en revenant en partie à l’étiquetage indiquant la date limite de consommation.

L’association a ainsi dû abandonner 122 tonnes de nourriture sur les quais des grandes surfaces. Promettant de remuer ciel et terre, Alain Langel fera tout, avec le comité, pour regagner ces quelques heures, synonymes de tant de générosité. «Les gens à l’aide sociale n’ont pas souffert de cette baisse, nous avons compensé avec le surplus distribué aux institutions», détaille-t-il.

80 chauffeurs et aide-chauffeurs se relaient pour trier et acheminer la nourriture dans les centres de distribution, en veillant à respecter la chaîne du froid. 220 bénévoles répartis dans 9 points, «les Tables» distribuent les denrées alimentaires. «Nous portons des gants en plastique lorsque nous manipulons la nourriture et nous invitons les gens à nous désigner les produits qu’ils souhaitent afin qu’ils ne les touchent pas», indique Monique, responsable des produits laitiers.

Inciter les ayants droit à venir

L’autre grand enjeu de 2017 est d’encourager tous ceux qui ont droit à cette aide alimentaire à venir aux Tables. Beaucoup en effet déclinent l’aide sociale par fierté, ou ne viennent pas à la distribution parce qu’ils ont honte. «Nous délivrons les cartes de bénéficiaires aux personnes agréées par les services sociaux avec lesquels nous collaborons. Nous ne pouvons pas obliger les gens à venir». Alain Langel souhaite sensibiliser la population concernée en utilisant toutes les voies de communication: la presse, les administrations, les institutions et les citoyens. «Il y a un gros travail à faire!»

Suisses, étrangers, familles, personnes seules, ceux qui défilent devant les rayons éphémères de la Table de Monthey n’ont pas de profil particulier. En incapacité de travailler suite à un accident, chômage de longue durée, rente AVS trop modeste, autant de motifs pour bénéficier de l’aide sociale, et donc de l’accès aux Tables. La plupart des visiteurs ne s’attardent pas. Certains ont mis du temps à franchir la porte d’un point de distribution et ça leur coûte. Tête basse, ils choisissent à la hâte parmi les produits proposés et disparaissent.

 

Baisse des dons et du sponsoring

«Malgré la crise, les gens sont restés très généreux en ce qui concerne les dons spontanés». En deux campagnes, au printemps dans le Bas-Valais et en automne dans le Valais central, l’association a récolté 60’000 francs. Alain Langel est néanmoins préoccupé par la baisse significative des dons annuels (dons et sponsoring): 95’000 en 2016 contre 146’000 francs en 2015. «Heureusement, les communes nous soutiennent bien», constate-t-il. Les subsides communaux se sont élevés à 18’400 francs en 2016, en hausse de 20% par rapport à 2015. Une manière de déléguer aux Tables un travail social qu’elles devraient accomplir.

 

«Nous devons devenir solidaires. Nous n’avons plus le choix. La société du ‘chacun pour soi’, c’est fini»

 

Essoufflement, lassitude? La naissance des Tables du Rhône en 2006 avait suscité une grande générosité. La crise est passée par là, les fins de mois sont difficiles et les ménages sont de plus en plus sollicités. Le président évoque une réflexion en cours pour remédier à la baisse de la courbe des dons.

Pessimiste et lucide, Alain Langel prédit une augmentation de la précarité. La pression sur les emplois, les salaires qui stagnent  sont, entre autres, autant de facteurs qui fragilisent financièrement la population, en particulier les classes moyennes. «Il faut une prise de conscience: nous devons devenir solidaires. Nous n’avons plus le choix. La société du ‘chacun pour soi’, c’est fini».


«Partager plutôt que gaspiller»

«Nous avons adopté les statuts de l’association en octobre 2005. Le temps de rassembler les fonds qui nous ont permis d’acheter le premier camion frigo et nous avons organisé la première distribution en octobre 2006 à Monthey et à Aigle», se souvient André Gex-Collet, un des sept membres du premier comité. Ils ont adopté pour devise: «Partager plutôt que gaspiller».

Tables du Rhône est une émanation de Tables suisses et Tables Couvres-toi. «Nous avons contacté les l’association suisse pour savoir si nous pouvions créer une structure inspirée de ce modèle en Valais. Ils ont accepté et nous avons créé les Tables du Rhône».

Monthey et Aigle, les deux premières «Tables» au lancement de l’association sont suivies de Sion et Martigny en 2007 puis, en 2010 de Sierre, de Viège en 213. Brigue et Susten ouvrent leur table en 2014. (cath.ch/bh)


*2,3 millions de tonnes de nourriture détruites en 2016 en Suisse

L’infographie donne la répartition et l’origine du gaspillage alimentaire en Suisse. Cette quantité représente 300 kg par habitant. 30% de tout ce qui est produit ou importé dans le pays finit à la poubelle. La plus grande proportion est jetée par les ménages, suivis par l’industrie de transformation et le commerce. Plus de la moitié des légumes et du pain ne sont jamais consommés.

 

 

Bernard Hallet

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/tables-rhone-partager-plutot-gaspiller/