Le Jeudi-Saint, du dernier repas de Jésus à la naissance de l’Eucharistie

Souvent éclipsé par le Vendredi-Saint et par la Fête de Pâques, le Jeudi-Saint n’en demeure pas moins une fête importante pour les chrétiens puisqu’elle est associée au sacrement de l’Eucharistie. Premier jour du Triduum pascal, le Jeudi-Saint commémore la Cène, à savoir le dernier repas de Jésus avant son arrestation.

Martin Klöckener, professeur en sciences liturgiques à l’Université de Fribourg, revient sur la signification de cette fête et les rites qui lui sont associés.

propos reccueillis par Christine Werlé, apic, en 2014

Que célèbre le Jeudi-Saint? Et quand est-il devenu une fête dans le calendrier liturgique?
Martin Klöckener:
Les racines de cette fête se trouvent au IVe siècle. C’est à cette période que l’on trouve des indications écrites attestant qu’il y avait des célébrations. Le soir du Jeudi-Saint marque le début du triduum pascal qui dure jusqu’au dimanche de Pâques. Les chrétiens commémorent ce jour-là l’institution de l’Eucharistie, rituel liturgique relié à la dernière Cène, le dernier repas du Christ, où il partagea le pain et le vin avant de demander aux apôtres: «Faites ceci en mémoire de moi». Ces trois jours représentent une unité liturgique. Un seul mystère pascal, mais plusieurs célébrations liturgiques.

Lors de la messe vespérale du Jeudi-Saint le prêtre lave les pieds de douze fidèles. Quelle est la signification de ce rituel?
Selon l’évangile de Jean, Jésus a lavé les pieds de ses douze disciples avant sa mort. C’est un geste d’humilité et d’amitié profonde. Il leur a demandé de faire de même avec d’autres personnes. Les évangiles de Matthieu, Luc et Marc, font le récit de la dernière Cène mais on n’y parle pas du lavement de pieds.

Selon les règles liturgiques, ce rituel est-il obligatoire?
Non, ce rituel est facultatif. Il est d’ailleurs peu pratiqué en Suisse, selon mes observations. Autrefois, il était inscrit dans les règles liturgiques, mais ce n’est plus le cas depuis la réforme du Concile Vatican II.

Le dernier repas du Christ, la Cène, a-t-il réellement eu lieu un jeudi?
Oui, selon la chronologie biblique.

Pourquoi la date du début du Triduum pascal change-t-elle chaque année?
La date de Pâques a été fixée par le Concile de Nicée en 325. Pâques a lieu le premier dimanche après l’équinoxe du printemps, soit entre le 22 mars et le 25 avril.


L’institution de l’Eucharistie

Pour la tradition chrétienne, l’eucharistie fut instituée par le Christ le soir du Jeudi-Saint, dans le cadre de son dernier repas. Les évangiles synoptiques (Matthieu, Marc, Luc) rapportent le récit de l’institution, qui est prononcé par le prêtre dans toute célébration de l’eucharistie:

«Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit et, le donnant aux disciples, il dit : « Prenez, mangez: ceci est mon corps.» Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, en disant : «Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude en rémission des péchés.» (Matth. 26.26-28).

Dans un récit probablement antérieur aux évangiles, l’apôtre Paul écrit dans sa première lettre aux Corinthiens: «la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » (1. Co 11.24-25)

Depuis le Concile Vatican II, les catholiques ont remis à l’honneur le terme eucharistie qui signifie louanges, action de grâce. Cette appellation très ancienne rend compte de l’histoire de la messe. Son origine provient de la cérémonie juive de la Pâque où chaque famille remercie Dieu pour la libération des Hébreux d’Egypte et pour les grâces personnelles reçues. La messe a repris le plan de cette célébration: rappel des grands faits de Dieu pour son peuple, chants et remerciements, bénédiction du pain et de la coupe et partage. Jésus donne à cette fête un sens nouveau et universel. Pour les catholiques ce pain et ce vin sont réellement le Corps et le Sang du Christ ressuscité.


Le lavement des pieds

Dans son homélie du Jeudi Saint 2006, le pape Benoît XVI, expliquait le sens du lavement de pieds rapporté par l’évangile de Jean. Il y relevait deux éléments principaux. Premièrement Dieu descend pour se faire ‘esclave’ de l’homme. Ensuite Jésus nous invite à nous laver les pieds les uns les autres.  

 «Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, [il] les aima jusqu’à la fin» (Jn 13, 1):  Dieu aime sa créature, l’homme; il l’aime même dans sa chute et ne l’abandonne pas à lui-même. Il aime jusqu’au bout. Il va jusqu’au bout avec son amour, jusqu’à l’extrême:  il descend de sa gloire divine. Il dépose les habits de sa gloire divine et revêt les vêtements de l’esclave. Il descend jusqu’au degré le plus bas de notre chute. Il s’agenouille devant nous et nous rend le service de l’esclave; il lave nos pieds sales, afin que nous devenions admissibles à la table de Dieu, afin que nous devenions dignes de prendre place à sa table – une chose que par nous-mêmes nous ne pourrions ni ne devrions jamais faire.

Dieu n’est pas un Dieu lointain, trop distant et trop grand pour s’occuper de nos sottises. Puisqu’Il est grand, il peut également s’intéresser aux petites choses. Puisqu’il est grand, l’âme de l’homme – l’homme créé pour l’amour éternel -, n’est pas une petite chose, mais est grand et digne de son amour. La sainteté de Dieu n’est pas seulement un pouvoir incandescent, devant lequel nous devons nous retirer terrifiés; elle est un pouvoir d’amour et donc un pouvoir purificateur et restaurateur.

Dieu descend et devient esclave, il nous lave les pieds afin que nous puissions prendre place à sa table. En cela s’exprime tout le mystère de Jésus Christ. En cela devient visible ce que signifie sa rédemption. Le bain dans lequel il nous lave est son amour prêt à affronter la mort. Seul l’amour a cette force purificatrice qui nous ôte notre impureté et nous élève à la hauteur de Dieu. Le bain qui nous purifie c’est Lui-même qui se donne totalement à nous – jusqu’aux profondeurs de sa souffrance et de sa mort. Il est en permanence cet amour qui nous lave; dans les sacrements de la purification – le baptême et le sacrement de la pénitence – Il est sans cesse agenouillé à nos pieds et nous rend le service de l’esclave, le service de la purification, il nous rend aptes à recevoir Dieu. Son amour est intarissable, il va vraiment jusqu’au bout.

[…]

Ajoutons un dernier mot à propos de ce passage évangélique fécond:  «C’est un exemple que je vous ai donné» (Jn 13, 15); «Vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres» (Jn 13, 14). En quoi consiste le fait de «nous laver les pieds les uns les autres»? Qu’est-ce que cela signifie concrètement? Voilà, toute oeuvre de bonté pour l’autre – en particulier pour ceux qui souffrent et pour ceux qui sont peu estimés – est un service de lavement des pieds. Le Seigneur nous appelle à cela:  descendre, apprendre l’humilité et le courage de la bonté et également la disponibilité à accepter le refus, mais toutefois se fier à la bonté et persévérer en elle. Mais il existe une dimension encore plus profonde. Le Seigneur ôte notre impureté avec la force purificatrice de sa bonté. Nous laver les pieds les uns les autres signifie surtout nous pardonner inlassablement les uns les autres, recommencer toujours à nouveau ensemble, même si cela peut paraître inutile. Cela signifie nous purifier les uns les autres en nous supportant mutuellement et en acceptant d’être supportés par les autres; nous purifier les uns les autres en nous donnant mutuellement la force sanctifiante de la Parole de Dieu et en nous introduisant dans le Sacrement de l’amour divin. Le Seigneur nous purifie, et c’est pour cette raison que nous osons prendre place à sa table. […]


La Cène au fil de l’histoire de l’art

Des catacombes à Salavdor Dali, en passant par Léonard de Vinci, la représentation de la Sainte Cène a vécu toutes les modes.

On peut voir les premières représentations de la Cène dans les catacombes de Rome, au IIIe siècle. puis sur les mosaïques de Ravenne (Ve). Au Moyen-Age, le thème n’est pas très fréquent, ont peut signaler un bas-relief de l’église Notre-Dame de Dijon (XIIIe s.); une verrières de la cathédrale de Bourges (XIIIe s.) Giotto au XIVe siècle et Fra Angelico au début du XVe reprennent le thème en Italie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais c’est La Cène de Léonard de Vinci, datant de 1492/1494-1498, peinte dans le réfectoire de Santa Maria delle Grazie à Milan qui est l’interprétation la plus fameuse. Mainte fois copiée à toutes les époques, déclinée sur les supports les plus variés, on en trouve des reproductions dans presque tous les bazars du monde, sous forme de gravures, tapisseries, bas relief, vaisselle ou image à colorier. A l’époque contemporaine la Cène de Vinci a été pastichée par nombre d’artistes comme Salvatore Dali ou Andy Warhol, reprise dans la publicité et au cinéma.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’œuvre de Léonard de Vinci, se détache des autres par son approche unique. Elle s’éloigne des conventions établies par les représentations antérieures, pour dépeindre une scène peuplée de personnages à l’expression réaliste, saisis en plein mouvement. De Vinci a choisi d’illustrer le moment qui précède l’Eucharistie où le Christ dit à ses apôtres que l’un d’entre eux le trahira. L’accueil de cette annonce dramatique est exprimé par les réactions des apôtres qui se propagent d’un Christ relativement serein jusqu’aux bords extérieurs de la table.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malgré cette option réaliste La Cène demeure très bien organisée, avec la tête du Christ au centre de l’œuvre, jouant le rôle de point de fuite de toutes les lignes de projection perspective. Cet effet, encore assez nouveau pour l’époque, fait entrer le spectateur dans la cène.  Elle en fait le commensal du Christ et des apôtres. (cath.ch/mp)

 

 

Maurice Page

Portail catholique suisse

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