Le discours du grand-imam d'Al-Azhar devant le pape Francois: «une comédie», selon Islam Béheiri

Islam Béheiri présente sa lecture personnelle du discours du grand-imam, le cheikh Amad Al-Tayeb, devant le pape François, dans la conférence internationale sur la paix organisée le 28 avril 2017. Pour lui, «c’est une comédie qui est très loin de la réalité».

Ce penseur libéral et progressiste musulman vient de sortir de prison après avoir été condamné par la justice égyptienne pour avoir tenu des propos qu’Al-Azhar, la plus haute instance sunnite du monde musulman, considère comme diffamatoires à la religion musulmane. Condamné à 5 ans de prison, puis à seulement une année et enfin libéré en décembre dernier, il reprend son activité. Il souhaite une réforme du discours religieux et appelle à une nouvelle interprétation des livres classiques de jurisprudence islamique jugés, selon lui, comme incitant à la violence.

Dans son discours, le grand-imam a déclaré que la philosophie post-moderne et le désir de certaines puissances de vendre des armes expliquaient à eux seuls la violence perpétrée ici et là. Qu’en pensez-vous?

Islam Béheiri: Ce qui a été dit n’est pas du tout logique. Si c’était le cas, l’Etat islamique aurait encouragé la pensée post-moderne. Or ce n’est même pas une éventualité. Mes recherches personnelles n’ont jamais abouti à dire que Daech avait une idéologie post-moderne ou possédait des pensées sur l’existentialisme, par exemple. C’est comme si quelqu’un nous disait que pendant le jour, le soleil ne se brillait pas.

En ce qui concerne le trafic d’armes, je suis vraiment stupéfait. Je ne comprends pas comment le cheikh d’Al-Azhar a pu dire une chose pareille. S’il pense que le terrorisme est dû uniquement au trafic d’armes, nous nous trouvons vraiment face à un gros problème: la personne qui devrait combattre le terrorisme religieux ne connait même pas les raisons de son existence.

L’Egypte entière fait face à ce problème, parce qu’Al-Azhar est après tout une institution étatique. Et je redis que si les raisons du terrorisme religieux sont la pensée post-moderne et le trafic d’armes, nous vivons dans l’imaginaire. Il y a des textes dans notre jurisprudence classique qui incitent à la violence. Nous voyons des personnes qui se font exploser parce qu’ils ont lu des textes qui leur donnent carte blanche pour tuer le monde entier, pour la simple raison qu’ils pensent, avec une foi inébranlable, faire du bien à Dieu en se sacrifiant et en tuant plusieurs autres avec eux.

Le cheikh ne veut pas entendre parler de la «nouvelle interprétation». Il la combat avec force et intente des procès contre ceux qui la défendent.

Je conseille à l’Administration égyptienne de revoir minutieusement la pensée du cheikh Al-Tayeb. Comment venir à bout du terrorisme si on considère qu’il est la conséquence du trafic d’armes?

Le grand-imam a aussi affirmé que les guerres de religion ont existé en dehors de l’islam. Il a parlé des Croisades et des guerres mondiales.

Rien n’indique, dans les livres d’histoire, que les Croisades avaient des intentions religieuses. C’était de la pure politique. D’ailleurs en 1994, le pape Jean-Paul II s’en est excusé au nom de l’Europe. Et il n’y avait pas d’intention religieuse dans les guerres mondiales.

Je ne sais pas si le cheikh s’en rend compte, mais les livres qu’il enseigne dans son institution n’ont pas d’autre interprétation que d’inciter à la violence. Et ces interprétations ne sont malheureusement pas erronées. Je pourrai même dire que le problème n’est pas notre mauvaise interprétation de ce discours. Le terrorisme est directement basé sur ce que nous livrent ces textes, avec une compréhension naturelle et logique qui date de 1000 ans.

Je voudrais que le cheikh s’excuse pour ce que les musulmans ont commis au Moyen-Age et dans les temps modernes.

Comment? Que voulez-vous qu’il fasse exactement?

Je demande à Al-Azhar d’arrêter de présenter au monde des livres rédigés par certains imams du Moyen-Age, qu’il commercialise comme étant l’héritage du vrai islam. Or ce qui existe dans ces livres, à la lettre, à la ligne et à la page, est exactement ce que fait Daech.

Dans son discours, le cheikh a condamné les interprétations post-modernes, la philosophie expérimentale et le vide spirituel qu’elles causent. Etes-vous d’accord avec lui sur ce point?

Je pense que le cheikh d’Al-Azhar a mal choisi les mots de son discours. Il devrait d’abord comprendre les raisons du terrorisme pour pouvoir le contrer. Cette conférence de la paix ne va mener nulle part. C’est une comédie qui est très loin de la réalité.

Le grand-imam refuse d’entreprendre de nouvelles interprétations, mais en même temps il invite à «purifier l’image de la religion». Cela ne contient-il pas une contradiction?

Bien sûr qu’il se contredit. S’il voulait vraiment remédier à ce qui se passe, il aurait écouté ceux qui l’invitent à faire une deuxième lecture de ces textes et à dire que ce qui y est écrit n’est pas correct. Ces anciens imams ont noirci notre manière de voir les choses, ils ont péché contre l’islam pendant 1400 ans. Ils ont nui aux personnes, à l’image de l’islam et à la relation de l’islam avec les autres religions. Le cheikh ne veut pas entendre parler de la «nouvelle interprétation». Il la combat avec force et intente des procès contre ceux qui la défendent. En effet, il se contredit tout le temps. Il avait dit dans une déclaration pour l’Occident que l’islam n’incitait pas à tuer l’apostat. Mais à l’intérieur de l’Egypte, il se permettait de dire que l’islam incitait à le faire.

Que pensez-vous de la visite du pape François, ce pape qui a refusé, à maintes reprises, de lier la violence à l’islam?

C’était un grand honneur pour nous que le pape vienne en Egypte. Il a beaucoup parlé de l’Egypte, ici et ailleurs, il a présenté ses condoléances pour toutes les pertes. Je vois qu’il incarne les enseignements du christianisme, comme la tolérance, et n’a pas voulu pointer les vraies raisons de la violence religieuse. Il tente en fait de tourner la page et de faire un nouveau départ avec les représentants de l’islam. Cette soi-disant «Conférence de la paix» a fait un boum médiatique mondial, mais ne changera rien de la réalité. (cath.ch/ll/pp)


Voir aussi:

Le président de l’Université Al-Azhar contraint à la démission

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Le président de l’Université Al-Azhar en Egypte, une des institutions les plus respectées du monde musulman, vient de démissionner. Un événement qui illustre la pression mise par le gouvernement égyptien pour faire d’Al-Azhar un instrument contre l’extrémisme religieux.


 

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

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