«Pour nous les chrétiens, Mossoul c'est fini»

«Pour nous les chrétiens, Mossoul c’est fini. Nous n’y retournerons pas». Le ton du Père Emmanuel, curé du camp de réfugiés d’Ankawa – Ashti 2, à Erbil, est définitif. Malgré leur présence séculaire, les chrétiens n’ont plus leur place dans la deuxième ville d’Irak encore en partie occupée par les djihadistes de l’Etat islamique. «Dans ce contexte, libérer Mossoul ne sert pas à grand-chose.» 5’000 chrétiens vivent aujourd’hui dans ce camp de réfugiés, en bordure de la capitale du Kurdistan d’Irak, dont le prêtre a la responsabilité.

Quelque chose s’est irrémédiablement cassé avec nos compatriotes musulmans, déplore le Père Emmanuel. «Nous voulons rester dans le pays. Mais si la majorité musulmane ne veut plus de nous, que pouvons-nous faire ? Les musulmans ne connaissent pas l’amour du prochain surtout si celui-ci est d’une autre religion. Il est très improbable qu’ils acceptent de restituer les biens des chrétiens dont ils se sont emparés.»

«La majorité musulmane ne veut plus de nous!»

Le curé a abandonné Mossoul dans la précipitation avec les 500 familles de sa paroisse le 10 juin 2014 devant la poussée des djihadistes. Leur fuite les a d’abord conduits à Qaraqosh, à une trentaine de kilomètres, de la métropole du nord de l’Irak, et dans les villages de la plaine de Ninive. Deux mois plus tard, un nouvel assaut les repousse jusqu’à Ankawa, le quartier chrétien d’Erbil, la capitale du Kurdistan d’Irak. «Il y avait des gens partout dans les églises, les squares, les rues, les jardins de maisons privées, sous des tentes de fortune et des bâches, sans eau et sans latrines». Le Père Emmanuel n’est pas de ceux qui baisse les bras. Il se démène pour nourrir ses gens et monte des cantines où il distribue 250 kilos de riz par jour. Après trois mois sous la tente autour de l’église saint Simon, il obtient finalement l’autorisation d’installer un camp à Ashti, sur un vaste terrain vague occupé par quelques hangars et des poulaillers. Avec l’aide des organisations internationales, une cité de containers se monte et le camp d’Ankawa – Ashti 2 ouvre le 10 avril 2015.

Un camp 5 étoiles

«Nous vivons aujourd’hui dans un camp 5 étoiles» plaisante Sœur Eleshwa comme pour exorciser le passé. La petite sœur de Jésus a accompagné l’exil des chrétiens de Mossoul et de Qaraqosh. Elle nous reçoit dans son container en bordure du camp. Les 9 mètres sur 3 se partagent entre une chambre à coucher qu’elle occupe avec une consoeur, un petit séjour, et, au centre, une cuisinette avec un wc-douche, avec l’eau courante et l’électricité. Devant la porte, sous une véranda abritée par une tôle, un petit rosier blanc égaye le paysage. A quelques mètres, un treillis marque la limite du camp qui n’est cependant pas fermé, chacun étant libre d’en sortir ou d’y entrer à son gré. La sécurité est assurée par quelques gardes en uniforme placés sous l’autorité des peshmergas kurdes.

1’500 familles chrétiennes, soit environ 5’000 personnes, vivent aujourd’hui à Ankawa – Ashti 2. 30% viennent de Mossoul, 70% de Qaraqosh. Le camp est placé sous la responsabilité de l’Eglise chaldéenne. A priori ni le gouvernement central de Bagdad, ni le gouvernement du Kurdistan n’y interviennent. Sécurité, propreté, calme donnent l’apparence d’une vie paisible. Mais la situation n’est de loin pas rose pour les réfugiés. Dépressions, maladies, alcoolisme, toxicomanie, prostitution… les sœurs travaillent surtout comme assistantes sociales.

Quitter le pays est la seule perspective

Les traumatismes se cicatrisent peu à peu, mais les gens restent des réfugiés, explique le Père Emmanuel. En Irak, les chrétiens, souvent bien formés, n’étaient pas les plus pauvres. Ceux qui survivent à 7 ou 8 dans les 27m2 de leur container avaient parfois de grandes villas. Ils étaient propriétaires agricoles, commerçants ou entrepreneurs. Ils n’ont plus rien. Pas une famille que la guerre n’a pas disloquée. Sans projet, sans organisation, il n’est même pas question d’envisager rentrer chez soi, même si les terroristes de Daech sont chassés. L’Eglise cherche bien à encourager le retour, mais sans sécurité personne ne veut s’y risquer. Leur unique perspective est de quitter le pays pour un avenir incertain, loin de leur terre natale. «Mon frère a quitté l’Irak, il est parvenu à traverser la Méditerranée et est arrivé en Allemagne où il est mort d’un cancer», raconte une religieuse. «Notre voisin attend une greffe de rein. Sa femme se démène pour trouver l’argent pour payer les médicaments. Nous essayons de l’aider autant que nous pouvons.»

Maintenir la vie sociale

Pour maintenir ou restaurer la vie sociale, les responsables du camp ont développé de nombreuses mesures. Les gens qui avaient un métier, enseignants, artisans, commerçants, restaurateurs ont repris leur profession à l’intérieur du camp. La crèche accueille une centaine d’enfants. Assis sous un préau garni de nattes de paille, les petits grignotent quelques friandises avant de retourner en classe. «Comme ils sont encore très jeunes, ils ne parlent que leur langue maternelle, l’araméen. Ils devront bientôt apprendre l’arabe», explique en anglais la jeune institutrice qui les encadre. Réfugiée elle-même, elle vient de Qaraqosh et vit dans le camp.

«De vieux pneus on fait des fauteuils»

Le ‘Al Tahira Learning Center’ est l’une des fiertés du camp. Il accueille quelque deux cents femmes pour des activités manuelles et créatrices. Monté grâce au soutien d’un couple de volontaires français envoyé par le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, les femmes y apprennent la couture, la décoration, le bricolage en particulier à partir d’objets et de matériaux recyclés.

De vieux pneus on fait des fauteuils, de jeans et de T-shirt des tapis, de chutes de tissu des coussins ou autres décorations. La production vendue sur les marchés ou à des partenaires étrangers permet aux femmes de se faire quelques sous. Mais surtout ce travail restaure le lien social, explique sa responsable, en servant un café à la cardamome. Sur une étagère un bricolage pas comme les autres, la représentation d’une maison traditionnelle aux murs détruits, aux tuiles brûlées. A travers la porte éventrée, on distingue le drapeau de Daech tagué sur un mur. C’était la crèche de Noël du camp.

Unité des chrétiens

L’église du camp est un autre passage obligé. Construite en trois mois par les habitants avec le soutien de plusieurs oeuvres d’entraide occidentales, l’immense halle permet de rassembler pas moins d’un millier de fidèles. «Et nous avons encore une salle annexe pour les enfants», se félicite le Père Emmanuel. Ici il n’y a plus de confessions. Chaldéens, orthodoxes, assyriens, arméniens ou évangéliques s’y réunissent sans discrimination.

Depuis quelques mois, à Erbil, même si les besoins restent élevés, le front des réfugiés s’est détendu. La plupart des gens qui campaient dans les rues ou squattaient des immeubles en construction ont pu obtenir des logements soit dans les quartiers, soit dans des camps de containers établis en périphérie. Grâce à une chute des prix, Mgr Bachar Warda, archevêque catholique chaldéen d’Erbil, a pu louer des appartements pour y reloger des familles. Le camp d’Ankawa Ashti 1, insalubre et mal équipé, a été ainsi démantelé, de même que le campement de l’église de Mar Elia où vivaient 700 réfugiés.

La pire des situations demeure clairement celle des Yézidis qui ont subis les exactions de Daech et dont pas grand monde se soucie, explique Lusia Shammas, fondatrice de l’œuvre d’entraide ‘Basmat al Qarib’ (Le sourire du prochain), fondée à Fribourg en 2004 et qui vient en aide à la population irakienne dont les Yezidis. Ces réfugiés-là s’abritent encore dans des carcasses d’immeubles sans installations sanitaires, protégés seulement par quelques bâches. (cath.ch/mp)

Maurice Page

Portail catholique suisse

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