APIC – Enquête
Pas de panique!
Maurice Page, agence APIC
Fribourg, 28mars(APIC) Il n’est guère de jour sans qu’on entende parler
de vols d’oeuvres d’art dans les églises. La dernière affaire dont la
presse s’est fait largement l’écho remonte au 3 février dernier. Des inconnus ont volé dans une église romaine la fameuse statue du « Santo Bambino »
auquel la population vouait une dévotion particulière. La statue était
pourtant protégée par diverses mesures de sécurité. En 1992, 1’200 vols ont
eu lieu dans les églises polonaises. A Cologne en juillet dernier, des passants ont intercepté un prétendu restaurateur d’art qui venait de voler une
toile dans une église. Qu’en est-il en Suisse-romande? L’agence APIC a tenté d’en savoir plus.
Se faire une idée précise de la situation est assez difficile. Ni les
polices cantonales, ni les responsables du patrimoine ne tiennent de statistiques ou de listes des vols d’objets d’art. Il faut donc se fier à la
mémoire des responsables ou aux nouvelles données par la presse. Un constat
général veut cependant que ces vols restent rares et qu’il n’y pas eu de
recrudescence ces dernières années. Prise de conscience de la valeur de ces
objets et meilleurs mesures de sécurité semblent en être la cause. Dans une
très large mesure la confiance règne.
A Fribourg, si tout le monde garde en mémoire le vol en juillet 1978 de
la vierge ouvrante de Cheyres, une oeuvre rarissime de la première moitié
du XIVe siècle, le dernier cas d’importance remonte à 1989, rapporte Yvan
Andrey, responsable de l’inventaire du patrimoine religieux. La porte massive de la Chapelle du Da, à Granvillard, a été fracassée à coup de hache.
Deux tableaux, un ciboire et un calice ont été dérobés. « J’avais passé sur
les lieux quelques jours auparavant, mais nous n’avions pas de photos et
peu d’éléments d’identification. Quelques temps plus tard, la police vaudoise nous avertissait que les objets avaient été retrouvés à Lausanne dans
le cadre d’une arrestation pour une autre affaire. »
C’est un cas presque idéal, la police n’a pas toujours cette chance, remarque Beat Carlen, porte-parole de la gendarmerie cantonale à Fribourg. La
plupart du temps ces objets changent de mains immédiatement, parfois dans
les heures qui suivent le vol. Heureusement les disparitions d’objets religieux sont rares. La statistique les classe dans la catégorie des vols par
effraction dans laquelle figurent aussi les cambriolages de troncs d’église
beaucoup plus fréquents, eux. Le fait de disposer de photos d’inventaire
facilite beaucoup la tâche des enquêteurs, mais on ne saurait considérer
cette mesure comme une assurance contre les voleurs.
Gaëtan Cassina, responsable des inventaires auprès des archives cantonales à Sion se souvient d’une vague importante de vols dans les années 70.
Dont la fameuse pieta d’Ernen en 1979. Depuis il y a eu un coup de frein.
Les oeuvres très importantes ont été protégées part des systèmes d’alarme
comme dans les musées. C’est le cas à Loèche ou précisement à Ernen. Ailleurs, des délégués locaux aux biens culturels visitent églises et chapelles et proposent des mesures de sécurité. Il y a quelques années un petit
objet, important par sa qualité, avait disparu d’une chapelle du Val d’Anniviers. Il est revenu par voie de confession. Le voleur s’est repenti et
est venu le rapporter au curé. Cas plus curieux encore: celui d’une épée
volée sur un reliquaire en cire à Sierre. On a d’abord cru qu’il s’agissait
d’une blague. Mais l’enquête n’a rien donné.
Dans un autre canton frontalier, le Jura, Joseph Boillat, administrateur
de la collectivité ecclésiastique cantonale, a fait lui-même sa « police ».
Après une série de vols au sud de l’Allemagne il a adressé une lettre circulaire dans toutes les paroisses donnant des instructions sur les mesures
de protection à prendre. Joseph Boillat a fait quelques visites pour contrôler par exemple si des statues avaient bien été scellées. Certains n’hésitent pas en y allant au culot, raconte-t-il. Un brocanteur interessé par
une ancienne horloge de clocher s’est fait passer pour un membre de la commission des Beaux-Arts. De fait ces dernières années, le Jura n’a pas enregistré de vols, confirme M. Berthold de l’Office du patrimoine historique à
Porrentruy. Dans les années 50-60 le vent de la modernité et celui de la
réforme liturgique dans l’Eglise catholique ont soufflé en Suisse. Beaucoup
d’objets du patrimoine dont on méprisait la valeur ont été dilapidés. Mais
aujourd’hui la prise de conscience est sérieuse et le Jura dispose également d’un inventaire récent de ses églises et chapelles.
A l’évêché de Fribourg, Mgr Jacques Richoz, vicaire général, rappelle
les normes du droit de l’Eglise. Aucun curé, ni aucun conseil de paroisse
ne peut se prétendre propriétaire de ces biens. Ils n’en sont que les gérants. Ils n’ont donc pas le droit de les aliéner ni de les vendre. Si tel
devait être le cas, l’évêché devrait alors donner son accord. Si la pratique de vendre des biens pour assurer leur conservation ou pour financer la
restauration d’autres objets ou même de l’église était assez courante autrefois, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Force est de constater que pratiquement toutes les églises où des objets se trouvent à portée de main ont
connu des vols. Mais ces objets, chandeliers, crucifix ou lutrins n’ont que
rarement une grande valeur artistique.
A propos des nombreux objets religieux que l’on trouve chez les antiquaires, il est difficile de connaître leur provenance. Si certains proviennent de la filière du vol d’autres sans doute ont été acquis par des
gens assez habiles qui ont réussi à persuader les curés, les responsables
paroissiaux ou des propriétaires de chapelles privées de leur céder des
choses dont ils ignoraient la valeur.
Si la situation actuelle ne lui donne pas trop d’inquiétudes, Yvan Andrey reste tout de même surpris de la confiance des responsables. « A chaque
occasion nous leur faisons remarquer la valeur d’un objet en leur disant:
c’est important, ne le laisser pas à l’église. »
En dernier recours reste saint Antoine. La tradition populaire veut
qu’on l’invoque pour les objets perdus. La petite histoire raconte qu’un
novice quittant le couvent avait dérobé le psautier du saint. Une apparition le fit revenir avec le psautier. (apic/mp)
Encadré
Le Vatican déplore le manque de respect pour l’art sacré
Les innombrables trésors de l’art religieux du monde entier doivent être
mieux soignés et protégés des usages abusifs. Telle est la recommandation
que le Vatican a adressé dans une lettre circulaire aux évêques catholiques
du monde entier en janvier 1993.
Mgr Francesco Marchisano, sécrétaire de la Commission pontificale pour
la conservation du patrimoine artisitique et historique de l’Eglise, remarquait à cette occasion que la formation du clergé dans le domaine de l’art
sacré est jusqu’à présent insuffisante voire même totalement manquante. Les
conséquences de cette inattention sont les vols, les déprédations, les emplois abusifs et les « restaurations » catastrophiques d’objets d’art sacré.
Les évêques sont appelés à veiller à former la sensibilité artistique des
futurs prêtres et à leur offrir un enseignement artistico-culturel. (apicmp)
Encadré
Situation dramatique en Italie
A l’inverse des cantons suisses, l’Italie tient une statistique précise des
vols d’objets d’art. On compte à Rome un vol par jour et pour 1992 pas
moins de 34’972 objets ont disparu lors de 1’664 vols. Il ne s’agit certes
pas uniquement de vols dans les églises, mais en vingt ans, entre 1970 et
1990, on a enregistré la disparition de 300’000 objets dont la « valeur » approche 2 milliards de francs. « Un musée entier disparaît chaque année » déplore-t-on en Italie. (apic/mp)
webmaster@kath.ch
Portail catholique suisse