Pierre Favre, un ancien punk au secours de sans voix

Invité le 6 juillet 2017 au festival TheoMania, à Vérolliez (VS), Pierre Favre a témoigné de son parcours de foi. Cet ancien punk a fini par trouver sa place: au micro pour porter la parole de sans voix et à l’écoute des plus démunis avec le Secours catholique, dans le Var, en France.

De son passé cabossé, Pierre Favre en a fait un témoignage constructif pour les jeunes générations. Régulièrement, l’ancien chanteur punk des Garçons Bouchers se rend dans des lycées français pour raconter son histoire. Celle d’un gars ordinaire, né en 1960 dans une famille lyonnaise aimante, qui, sans vraiment savoir pourquoi, a passé un temps à la rue, en subissant les conséquences néfastes de l’alcool, de la drogue et du sida.

Des fragilités inexplicables

«Mes parents était cools avec mes deux frères et moi, se souvient Pierre Favre. Mais je portais en moi des fragilités inexplicables». Couvert d’acné, le jeune Pierre perd ses premiers cheveux à 14 ans. Il est timide, manque d’assurance et n’intéresse pas les filles. Il se cherche, mais n’arrive désespérément pas à trouver sa place. «J’étais éparpillé et je voulais mourir. Alors il m’arrivait de me piquer les veines avec ma plume à encre.» Cachant à ses parents cette aspiration qu’il qualifie lui-même d’anormale, il traine ses problèmes jusqu’à la fin de sa scolarité.

«Je me rends très vite compte que boire un coup me donne de l’assurance»

Vient le temps de sortir. Pierre découvre les bals folks. «Je me rends très vite compte que boire un coup me donne de l’assurance. Comme je fais rire les potes, alors je recommence.» Ses parents quittent Lyon pour affaires. Il bosse comme plongeur pour payer ses études de psycho, mais délaisse très vite les cours du soir pour faire la fête et décompresser avec ses collègues cuisiniers. Dans un esprit «baba cool écolo», il découvre le haschisch et mène une vie de bohème. Jusqu’à s’aventurer dans une soirée intitulée «Rock against police», où il rencontre l’univers punk.

Le monde «no future»

«Leur look me plaisait, leur musique me plaisait. Bref, j’ai eu envie de leur ressembler. En plus, ils affichaient clairement leur opposition à ce monde géré uniquement par le pognon et le pouvoir». Il intègre rapidement le «no future», se tatoue la peau à la lame chaude et consomme toute sorte de «cachetons». «Les punks s’en cognent de ce qu’ils prennent, pourvu que ça leur casse la tête», déplore Pierre Favre, qui avoue ne plus avoir osé dire non, une fois prisonnier de la bande. «Dans certains cas, tu vas même jusqu’à voler pour rendre service. Pourtant, un vrai ami, c’est quelqu’un qui t’aime, et non quelqu’un qui te propose de faire des conneries.» Après avoir squatté chez la plupart de ses amis, il se retrouve à devoir dormir dans une voiture abandonnée.

«Jésus me paraissait finalement assez sympathique, lui qui est si proche des exclus»

«Dans la rue, les journées sont longues. Tu observes la misère autour de toi et tu commences à regarder les autres avec bienveillance. Sans le savoir, tu es en chemin.» Crasseux et repoussant, Pierre s’auto-exclut du monde. Il pense alors à sa vie, à sa famille, et se rappelle les valeurs chrétiennes reçues durant son enfance. «Jésus me paraissait finalement assez sympathique, lui qui est si proche des exclus. Alors j’ai commencé à lui parler. N’ayant pas eu de copine jusque là, je lui ai demandé si, avant de mourir, je pourrais vivre une histoire d’amour».

Le coup de foudre

Son vœu ne sera exaucé que quelques années plus tard. Entretemps, il monte à Paris. Sous le pseudo fouettant de Piero Sapu, il devient chanteur d’un groupe punk Les BB Doc, formé d’amateurs et de junkys. Leur petite notoriété les amène à passer une soirée de Nouvel An 1987 chez un couple d’amis. «Je tombe sur leur fille Géraldine, une magnifique blonde aux yeux bleus de 17 ans et demi, détaille Piero. Moi, j’en avais déjà vingt-six et, avec mes deux relations sexuelles pourries, je n’étais pas très à l’aise. Mais comme il y avait un peu d’alcool à cette soirée, j’ai pris de l’assurance et je l’ai embrassée goulûment au moment du baiser de Nouvel An.»

«Dans ce cœur-à-cœur avec ma femme, je pense avoir vécu une véritable agapè»

Quinze jours après, Géraldine emménage chez lui. C’est le grand amour et elle veut plein d’enfants. «Pour la première fois de ma vie, je faisais des projets. Parce qu’un punk, ça ne fait pas de projets.» Mais le sida vient très vite gâcher leurs plans. Suite à une bagarre, Géraldine est hospitalisée. En plus de subir une fausse couche inattendue, elle apprend qu’elle est séropositive. Pierre a lui aussi contracté le virus.

Tous deux ont été infectés avant de faire connaissance. «Nous sachant tout deux malades, je l’ai demandé en mariage en sortant de l’hôpital. Au fil de ces quinze ans de vie commune, plus la maladie évoluait, plus l’amour décuplait. Dans ce cœur-à-cœur avec ma femme, je pense avoir vécu une véritable agapè. Comme j’accompagnais ma femme, j’ai demandé à Dieu de m’épauler.»

«Piero, tu es bon»

Au seuil de la mort, Géraldine murmure: «Piero, tu es bon». Un déclic. Une bonté que Pierre s’est senti appelé à partager plus tard auprès des personnes démunies qui frappent au Secours catholique. Une bonté qui l’a toujours habité, alors qu’il était trop souvent malheureux pour s’en apercevoir. «J’en suis certain. Nous avons tous des graines d’amour en nous. A chacun de les cultiver», révèle-t-il.

«Nous avons tous des graines d’amour en nous. A chacun de les cultiver»

Veillée par son mari, Géraldine meurt à 32 ans, suite à plusieurs maladies provoquées par le sida. «Le soir des funérailles, je suis rentré avec ses cendres à la maison. Tout me rappelait sa présence, y compris son parfum sur l’oreiller.» Incapable de dormir, il ouvre un tiroir de la table de nuit et tombe par hasard sur un bouquin de prières chrétiennes. «Je commence à lire la prière Adoro te devote, attribué à saint Thomas d’Aquin. Chaque mot que je lis prend une multitude de sens. Comme une sorte de clairvoyance, où toute pensée s’éclaire.»

Trente ans de confession en retard

Pierre Favre se passionne pour la lecture de prières. Il s’achète quelques livres de spiritualité qu’il bouquine pieusement dans les moments d’insomnie. Quand il est en manque de silence pour faire le point, il se refugie à l’église. «Un prêtre m’avait proposé une soirée de réconciliation. J’étais stressé, car j’avais trente ans de confession en retard.»

Après le vide laissé par sa femme en 2001, Pierre a besoin de se sentir utile auprès de quelqu’un. Il s’adresse la même année au Secours catholique pour devenir bénévole. La mission de l’institution est d’accompagner les gens dans le besoin. D’abord à l’accueil, Pierre s’occupe ensuite de la comptabilité, puis devient responsable d’équipe ad intérim. Il est actuellement adjoint de l’aumônier au Secours catholique et membre d’équipe d’animation territoriale.

Porte-parole des sans voix

Des cas d’injustice, il en rencontre souvent. Si bien qu’il participe à la création du collectif la Parole des Sans Voix. Cette organisation récolte des cas d’injustice que vivent des gens au quotidien, afin entre autre de les faire remonter par le service Plaidoyer auprès des institutions nationales. En 2014, il renoue avec le rock, en devenant chanteur du groupe Les Sans Voix, nouvellement formé. «Les paroles n’ont pas de connotations religieuses, précise-t-il. Elles sont le fruit de la récolte de paroles de gens en précarité ou qui vivent des injustices. Nous sommes les porte-paroles des sans voix».

Le reste de son temps, Pierre Favre le passe en chantant dans le chœur mixte de sa paroisse, à Arc-sur-Argens, dans le Var. Ou sur la route, lorsqu’il est appelé à témoigner, à l’instar du festival TheoMania, devant le public captivité par son chemin de foi. (cath.ch/gr)


 

Grégory Roth

Portail catholique suisse

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