Retour sur… des doutes et une polémique

Six mois après la sortie de l’exhortation apostolique Amoris Laetitia, quatre cardinaux posent en novembre 2016 publiquement des questions sur ce document du pape François. Ils s’interrogent notamment sur les passages concernant l’accompagnement des situations «irrégulières», concubinage et divorcés-remariés.

«L’enseignement de l’encyclique de saint Jean Paul II ›Veritatis splendor’, fondé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition de l’Église, à propos de l’existence de normes morales absolues, obligatoires sans exception, qui interdisent des actes intrinsèquement mauvais, continue-t-il à être valide?», s’interrogent les cardinaux. En l’absence de réponse, estime le cardinal Burke, les auteurs pourraient procéder à une «correction formelle». En privé et sans ultimatum, tempère pour sa part le cardinal Brandmüller. En novembre 2016, le blog Settimo Cielo, tenu par le vaticaniste Sandro Magister, publie une lettre de quatre cardinaux – Walter Brandmüller, Raymond Burke, Carlo Caffara et Joachim Meisner – adressée au Souverain pontife ainsi qu’au préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Les hauts prélats y demandent une clarification afin de dissiper le «désarroi» et la «confusion» des fidèles. Notamment concernant le chapitre VIII de ce document, qui traite de l’accompagnem ent des situations «irrégulières».

Divergences entre les conférences épiscopales

Sept mois plus tard, en juin 2017, le blog de Sandro Magister publie un second courrier des quatre cardinaux. Tout d’abord, ceux-ci regrettent de ne pas avoir reçu de réponse à leur première lettre. Ensuite, ils critiquent les divergences dans les interprétations de l’exhortation par les conférences épiscopales. En effet, certaines, comme en Argentine, ont pris officiellement position pour permettre l’accès à la communion des personnes divorcées-remariées après un long temps de discernement. D’autres en revanche – en Pologne par exemple – ont catégoriquement exclu cette possibilité. Dernier point du courrier: une demande formelle d’audience.

Pour sa part, le cardinal Gerhard Müller, alors préfet de la Congrégation de la doctrine pour la foi et lui aussi destinataire du premier courrier, estime que seul le pape à «l’autorité» pour répondre aux dubia. Il ajoute néanmoins en janvier qu’Amoris laetitia étant «claire» dans sa doctrine, «il n’y a aucun danger pour la foi». Précisant un mois plus tard que cette exhortation apostolique «est clairement à interpréter à la lumière de toute la doctrine de l’Eglise».

Du fait de sa publicité, ces dubia ont suscité des réactions contrastées. Par exemple, pour le Père Antonio Spadaro, directeur de la revue jésuite Civiltà Cattolica et réputé proche du pape, le débat n’aurait pas lui d’être puisque les réponses auraient été apportées lors des synodes pour la famille de 2014 et 2015. Pour le doyen de la Rote romaine, Mgr Pio Vito Pinto, une telle publicité aurait pu – en d’autres temps – faire perdre leur barrette cardinalice aux quatre auteurs. 

Des réactions «disproportionnées»

A l’inverse, des laïcs, des membres du clergé et même quelques cardinaux soutiennent la démarche des dubia et s’associent aux interrogations. Ainsi, pour le cardinal Paul Josef Cordes, président émérite du Conseil pontifical Cor Unum, les doutes sont légitimes et les réactions ont été «disproportionnées». Pour le cardinal Renato Martino, ancien président du Conseil pontifical Justice et Paix, il n’y a «rien de mal» à ces dubia et «il est légitime en matière de doctrine d’adresser au pape une opinion et c’est juste aussi qu’il y réponde».

De fait, le pape François ne s’est jamais exprimé – du moins publiquement – sur les dubia eux-mêmes. Il a néanmoins approuvé la position des évêques argentins tandis que certains de ses proches ont donné leur interprétation. La pause estivale et la mort le 5 juillet d’un des quatre signataires, le cardinal Meisner, permettront peut-être d’apaiser la polémique. (cath.ch/xln/pp)

Pierre Pistoletti

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