Thabi Shange cerne les enjeux des prochaines élections en Afrique du Sud

APIC – INTERVIEW

Pour que meure la violence (030394)

Par Pierre Rottet, de l’Agence APIC

Lucerne, 3mars(APIC) L’Afrique du Sud connaîtra ses premières élections

multiraciales les 26, 27 et 28 avril prochains. Quelque 23 millions d’électeurs, dès 18 ans sur une population globale estimée à 35 millions d’habitants – dont 6 millions de Blancs environ, se prononceront pour l’un ou

l’autre des Partis en présence. L’enjeu est de taille. Thabi Shange en a

cerné les contours pour l’APIC.

Invitée dans le cadre de la campagne de Carême « Les femmes animent le

monde », Thabi Shange, née en 1946 au Natal, est l’une des femmes les plus

en vue au sein de l’ANC pour le rétablissement de la démocratie dans son

pays. Elle porte aujourd’hui un regard sur un avenir qui pourrait bien

tourner la page de la triste histoire de l’apartheid. Sur les principaux

partis appelés demain à gouverner l’Afrique du Sud, à commencer par le Congrès national africain (ANC) de Nelson Mandela, voire le Parti national, de

l’actuel président De Klerk, ou encore le parti conservateur d’extrême

droite et l’INKATHA, du chef zoulou Gatsha Buthelezi.

Des partis que de récents sondages donnent nettement battus, face à

l’ANC de Mandela: les chiffres le placent largement en tête avec des intentions de vote se situant entre 55 et 66%. Le gage qu’avril prochain mettra

un terme définitif à l’apartheid et aux injustices?

Thabi Shange: La majorité des gens place un fol espoir dans ces élections…. avec la certitude que l’apartheid ne sera plus qu’un mauvais souvenir. L’attente de ceux qui ont milité pour le changement est considérable. Un changement qu’ils espèrent rapide. Ceux qui ont faim, les sanstoit, les sans-travail (plus de 55% de la population, noire en majorité)…

ceux pour qui même l’eau et surtout l’école et les soins de santé demeurent

encore inaccessibles… tous ceux-là sont convaincus qu’un nouveau pays se

construira dès le 28 avril.

APIC: L’éventuelle déception d’un changement pas assez rapide à leurs

yeux ou un espoir déçu ne représentent-ils pas autant de facteurs de risque

de plus de violence encore?

T. S: L’Afrique du Sud n’est pas la Suisse. Ceux qui ont jusqu’ici été

brimés attendent un toit et du travail… une école et des soins pour leurs

enfants. Mais aussi et surtout des lois qui les protègent, contrairement à

celles jusqu’alors en vigueur. Leurs attentes sont donc réalistes. Et le

gouvernement multipartite issu des élections, j’en suis persuadée, s’emploiera à mettre en place les structures sociales et économiques pour y

parvenir. Il faudra qu’une grande partie du budget prenne en charge les

problèmes urgents qui se posent: l’habitat, l’éducation, la santé et le

travail.

APIC: C’est sans compter avec l’extrême droite, l’Afrikaner Volksfront

(AVF)… qui risque fort de ne pas accepter le verdict des urnes?

T. S: … La crainte de l’extrême droite est liée à la peur du communisme. Cette angoisse les conduira peut-être à créer et à fomenter des troubles. Pas militairement – ils n’en ont ni la possibilité ni les moyens, cela d’autant moins que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Europe, notamment, soutiennent le processus engagé – mais par une stratégie de conflits à basse intensité, comme au Mozambique ou en Angola par exemple. La

peur amènera sans doute certains Blancs, cadres ou « cerveaux » à quitter le

pays, après la victoire de l’ANC, donnée pour certaine.

APIC: Reste l’INKATHA, les Zoulous, dont le chef Buthelezi vient de

s’inscrire aux élections à titre provisoire, et dont on sait qu’à lui seul,

son mouvement pourrait, par son poids, faire dérailler le projet de Mandela

et de De Klerk dont le parti n’est nullement assuré d’être la seconde force

politique du pays?

T. S: On connaît les visées de Buthelezi: établir une base ethnique….

royale plutôt…. en mettant sur le trône Zwielithimi. C’est vrai, il y a

là un danger. Il ne faudrait donc pas que les élections lui soient trop défavorables. Raison pour laquelle tant l’ANC que le parti de De Klerk et

l’Eglise en général agissent actuellement pour ne pas l’avoir contre eux,

en l’intégrant dans le processus en cours. Pour le bien et la stabilité du

pays.

APIC: Vous êtes en Suisse dans le cadre de la Campagne de Carême 94 dont

le slogan tourne précisément autour de la femme. Quelle a été la place et

l’importance de la femme sud-africaine dans les changements survenus ces

dernières années?

T. S: Enorme. Ce sont les femmes qui ont réussi à sauver ce qui reste

des unités familiales, ce qui reste de l’économie. Leur présence sur le terain politique pour travailler les consciences a été déterminante. Les femmes sont en Afrique du Sud le gage d’une stabilité…. un facteur d’influence dans toutes les couches de la population, y compris des partis politiques.

APIC: L’avenir?

T. S: L’ANC part largement favori…. et la majorité souhaite voir Mandela président. Ceci pour l’immédiat. Reste qu’il est important de déjà

préparer les prochaines échéances politiques… Dans cinq ans de nouvelles

élections auront lieu. Il est vital que l’ANC les remportent pour asseoir

son programme et faire un autre pas en avant. (apic/pr)

ENCADRE

L’esprit de la nouvelle Constitution

Le texte adopté en novembre 1993 dans le cadre du Forum des négociations

multipartites a été soumis le même mois au Parlement. La Constitution prévoit notamment un gouvernement d’Union nationale et trois échelons de gouvernement démocratique. Un appendice final dresse la liste des 32 principes

constitutionnels intangibles sur lesquels la Constitution finale devra

s’aligner. Elle prévoit en outre l’abrogation de la législation sud-africaine en matière de reconnaissance des Etats Transkei, Bophuthatswana, Venda et Cistei. Ces disparitions suppriment la loi sur les territoires autonomes, mettant fin à l’existence des bantoustans nationaux.

Pour des raisons électorales, l’Afrique du Sud sera divisée en 9 régions. Le Parlement consistera en une Assemblée nationale de 400 personnes

et un Sénat de 90 membres. L’Assemblée nationale sera formée de 200 élus

figurant sur des listes nationales et de 200 autres provenant de listes régionales. Le chef de l’Etat sera un président exerçant des fonctions ministérielles. Le premier président étant élu par l’Assemblée nationale. Quant

au cabinet du gouvernement multipartite, il sera composé, selon le sytème

de la représentation proportionnelle, des partis ayant obtenus 5% des voix

ou davantage lors des élections. Chacune des 9 provinces disposera d’un

Parlement élu à la proportionnelle. Une fois les élections d’avril passées,

chaque Parlement provincial pourra adopter une Constitution pour la province en question. (apic/eas/pr)

ENCADRE

Thabi Shange: une femme engagée

Née au Natal en 1946, Thabi Shange a d’abord travaillé comme institutrice avant de poursuivre des études sur les questions de développement. Elle

a oeuvré dans ce domaine de 1980 à 1990 dans le cadre du programme de coopération au développement mis sur pied par la Conférence épiscopale sudafricaine. Son engagement concerne principalement les déplacements de population opérés par le gouvernement blanc. En ce sens, elle met en place une

stratégie de survie pour les populations noires concernées. Aujourd’hui,

elle dirige une organisation faîtière pour le développement rural, dont les

organisations membres sont avant tout préoccupées par les besoins des femmes. Thabi Shange est également active, en tant que chargée d’information

sur les questions féminines, au sein de la Commission d’information de

l’Union des femmes de l’ANC. Le travail de cette Commission vise à faciliter la transition politique et le rétablissement de la démocratie en Afrique du Sud. (apic/pr)

webmaster@kath.ch

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/apic-interview-47/