Les franciscaines de Bratislava racontent leur vie dans la clandestinité

APIC – Reportage II

Le couvent caché dans la cité HLM

Georges Scherrer, Agence APIC

Bratislava(APIC) Dans les années 50, les autorités communistes tchécoslovaques avaient dissous les ordres religieux masculins puis féminins. Le dégel politique du « Printemps de Prague » en 1968 allait permettre – un temps

seulement ! – aux franciscaines de Bratislava d’accueillir des postulantes.

L’une d’entre elles, Soeur Helena, est entrée au noviciat de la Congrégation des Filles de Saint François d’Assise de Bratislava en 1970, pour être

bientôt contrainte à la clandestinité, jusqu’en 1989, date de l’effondrement du régime communiste. Témoignage.

Quelque temps après le « Printemps de Prague », Soeur Helena entre au noviciat de la Congrégation des Filles de Saint-François d’Assise à Bratislava. Le printemps n’a pas été suivi de l’été, mais plutôt de l’hiver politique et avec lui le temps de la répression implacable. Deux communautés religieuses ont assuré clandestinement aux nouvelles soeurs une survie spirituelle dans une société hostile et menaçante.

Les voies de l’Esprit Saint

Aujourd’hui, 28 jeunes femmes se préparent à leurs voeux perpétuels au

noviciat des franciscaines, dans le couvent de Bratislava. Soeur Helena,

elle, est entrée au noviciat en 1970. « Ce sont les voies de l’Esprit

Saint », répond-elle à la question des raisons de son entrée dans la Congrégation des Filles de Saint François d’Assise dans le sillage du « Printemps

de Prague ». L’Ordre pouvait alors à nouveau accueillir de nouvelles vocations. Mais dès 1973, les jeunes soeurs, qui avaient rejoint l’ordre après

1968, ont dû quitter l’habit sur ordre des autorités. Bannie aussi la vie

conventuelle. Dès lors, le couvent des franciscaines de Bratislava est dévenu un lieu que Soeur Helena devait obligatoirement éviter.

Un appartement devient couvent

Soeur Helena trouve alors une place dans un hôpital public. « Nous avions

quitté l’habit certes, mais pas l’esprit de l’ordre », raconte la religieuse

franciscaine. Les soeurs ont appris à organiser leur vie spirituelle dans

la société laïque et dans la clandestinité. En raison d’une situation catastrophique au niveau du logement dans de nombreuses villes de l’ancien bloc

de l’Est, elle a dû se contenter au départ d’une chambre. Elle l’a partagée

avec deux autres soeurs. Puis une de ses consoeurs a pu louer un appartement et une communauté religieuse a pu y être fondée secrètement. Soeur Helena est y restée jusqu’en 1989, date de son retour à la maison-mère.

Si quelqu’un avait lancé une pierre…

A Bratislava surgirent à l’époque plusieurs communautés de ce type. Elles entretenaient d’étroites relations entre elles. La messe était célébrée

chaque matin, à six heures, dans l’église du monastère capucin de Bratislava. « Si quelqu’un avait lancé une pierre à cette heure dans l’église, il

aurait certainement touché un frère ou une soeur », raconte Soeur Helena en

riant, aujourd’hui libérée de tout ce poids. Presque tous les religieux,

qui continuaient à vivre leur vie communautaire à l’insu du reste de la société, venaient à cet office matinal.

Des pratiques de ce genre devaient cependant rester strictement secrètes. Les activités religieuses interdites étaient même parfois punies de

l’emprisonnement, sans parler de la discrimination sur le marché du travail. Après la messe matinale, les religieux allaient vaquer à leurs tâches

civiles.

Durant cette période, la maison-mère entourée d’un parc avenant est restée toutefois le centre de la communauté. Cette maison était l’ancienne résidence du comte de Zoalnay, située non loin du centre historique de Bratislava. La résidence seigneuriale, qui se trouve actuellement dans le

quartier de Prievoz, a été achetée par les franciscaines en 1933. C’est

dans cet édifice pittoresque, cerné d’arbres majestueux, que les soeurs ont

installé leur maison-mère.

Les franciscaines qui vivaient dans la clandestinité prenaient part à la

messe tous les samedis et dimanches. Elles se rendaient séparément à Prievoz, habillées de vêtements civils bien sûr. Elles étaient conduites par

les soeurs plus âgées, qui depuis 1970 pouvaient de nouveau y vivre, à travers d’un passage qui débouchait sur l’église. Quelque peu à l’écart et à

l’abri du regard des curieux, elles pouvaient suivre la messe. Mais il eut

été trop dangereux qu’elles pénètrent dans l’église-même. Les religieuses

se souviennent: « La loi loi du silence était la règle, car il y avait aussi

des femmes communistes au portail de notre maison; elles savaient très bien

qui venait chez nous les samedis et dimanches. Et pourtant, aucune ne nous

a jamais trahies. »

Silence dans la ville

Les soeurs pouvaient aussi compter sur la complicité muette de nombreuses personnes en ville. Ses collègues de travail avaient remarqué que Soeur

Helena ne fréquentait pas les hommes, n’allait pas au cinéma, mais vivait

retirée. D’où tirait-elle donc la force de supporter cette tension permanente et cette menace? « De la prière à genoux », répond Soeur Helena le plus

sérieusement du monde. Et aussi de la profession de foi de Saint François

d’Assise: pauvreté et union dans l’amour de Dieu.

Solidarité spirituelle

Plusieurs personnes l’ont aussi assistée spirituellement: son confesseur

d’alors, l’actuel cardinal slovaque Jan Korec. Ce prêtre jésuite avait été

sacré évêque clandestinement en 1951 et oeuvra de longues années durant

dans l’ombre. Soeur Helena se rendait régulièrement à confesse dans son appartement. Les responsables de sa congrégation lui étaient également d’un

grand secours aux temps des épreuves.

Entre 1973 et 1990, 90 franciscaines vécurent ainsi leur credo en secret, dispersées à travers toute la ville. Aujourd’hui, elles ont regagné

la maison-mère – et avec elles 28 novices: du temps de la persécution, la

foi, terreau des vocations religieuses, avait en effet continué à se propager de bouche à oreille, à travers les contacts humains. Aujourd’hui, Soeur

Helena travaille de nouveau à l’hôpital des franciscaines, et avant de se

rendre au travail, elle troque l’habit noir contre la tenue de travail

blanche des infirmières. (apic/gs/fs)

Encadré

Un peu d’histoire

L’ancienne résidence du comte de Zoalnay, à Bratislava, a été achetée par

les franciscaines en 1933. A l’époque, la communauté avait déjà quelques

années derrière elle. Elle avait été créée à Budapest en 1894 par l’autrichienne Anna Bruder. Les soeurs avaient alors pour principale mission le

soin des personnes âgées et malades, ainsi que le service pastoral dans les

paroisses. En 1922 a été ouverte la première maison en Slovaquie. Aujourd’hui, on recense 350 soeurs dans les quatre provinces que sont la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et les Etats-Unis. 250 soeurs habitent dans

16 maisons pour la seule Slovaquie. La plupart d’entre elles sont actives

dans la catéchèse et dans la pastorale au sein des paroisses. Trois soeurs

travaillent en Ukraine.

La maison-mère à Bratislava s’est dotée d’un nouveau bâtiment en 1933,

qui a servi tout d’abord de jardin d’enfants. A partir de 1939, cette nouvelle dépendance a abrité un hôpital de 90 lits organisé en deux services:

un service de médecine interne et un pour les malades chroniques et les

personnes âgées. Aujourd’hui l’hôpital peut accueillir 74 patients.

(apic/gs)

Regard sur les franciscaines

Le respect de Dieu, de soi-même, du prochain et de la création, ainsi que

le dépassement de soi-même doivent être et continueront d’être le moteur de

la vie des franciscaines de Bratislava. Tout aussi important, aux yeux de

la Mère supérieure Irenea, est le service rendu aux malades et aux pauvres.

A cet égard, il s’agit aussi de guider les âmes vers Dieu. Parmi les perspectives à plus long terme, elle cite la réorganisation des provinces de

Hongrie et de Roumanie. Là-bas, les soeurs vivent encore dispersées et sans

porter l’habit. Dès que les couvents seront restitués, les communautés

devront être ressoudées.

Actuellement, trois soeurs travaillent en Ukraine. Leur travail est très

dur. Comme jadis la fondatrice de l’ordre, Anna Bruder, celles-ci vont de

maison en maison et soignent les malades et les personnes âgées. Cette mission doit être renforcée. Mais la Mère supérieure entend aussi développer

sa congrégation en Europe occidentale et y fonder des communautés. 34

soeurs vivent aujourd’hui dans la province des Etats-Unis. (apic/gs/fs)

L’oeuvre d’entraide catholique « Aide à l’Eglise en Détresse » (AED) soutient

la formation des novices de Bratislava pour un montant d’environ 10’000

francs. (apic/gs)

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