Mgr Ngabu, président de la Conférence épiscopale du Zaïre (100494)

APIC – Interview

La lente évolution du Zaïre vers la démocratie

Le Synode doit être un souffle de réconciliation pour l’Afrique

Bruxelles, 10avril(APIC) Mgr Faustin Ngabu, évêque de Goma, dans l’est du

Zaïre, et président de la Conférence épiscopale zaïroise, est l’un des

quelque 320 participants de l’assemblée spéciale du Synode des évêques pour

l’Afrique, ouverte à Rome le 10 avril et qui durera jusqu’au 8 mai. A la

veille de cette importante rencontre, il a accordé une interview à l’agence

CIP où il fait le point sur l’évolution de son pays, tout en soulignant son

attente majeure à l’égard du Synode africain.

Question: La situation politique au Zaïre reste très confuse. La volonté de

conciliation qui anime Mgr Monsengwo, en tant que président du Haut Conseil-Parlement de transition, ne va-t-elle pas se révéler moins payante que

l’intransigeance? La recherche de la conciliation ne finit-elle pas par entraîner plus de division dans l’opposition au régime actuel de dictature?

Mgr NGABU: Il n’y a toujours pas de gouvernement de transition à Kinshasa.

Il est donc normal que le Premier ministre Faustin Birindwa, démissionnaire, continue à s’occuper des affaires courantes. En jouant un rôle de médiation et de conciliation, Mgr Monsengwo a montré qu’il n’a jamais abandonné l’objectif que visait la Conférence Nationale Souveraine. Cette Conférence avait été mise sur pied pour réconcilier le peuple zaïrois avec

lui-même, et particulièrement pour réconcilier les forces politiques. Depuis, chacune des forces politiques tente de tirer Mgr Monsengwo de son côté. Heureusement, personne n’y est parvenu.

Au départ, l’unité de l’opposition a pu sembler acquise. Maintenant les

perspectives apparaissent plus diverses. Cette division n’est pas due à Mgr

Monsengwo mais à une différence d’optique quant au changement à promouvoir.

Aux yeux de Mgr Monsengwo – et c’est un point de vue que partagent tous les

évêques du Zaïre -, il n’y aura de changement fondamental dans le pays que

s’il s’accompagne d’une transformation profonde des mentalités pour placer

la recherche du bien commun au-dessus de l’intérêt personnel. Pour divers

hommes politiques, le changement se réduit, hélàs, à un simple remplacement

des dirigeants: « Ote-toi de là que je m’y mette ! »

Question: Qui Mgr Monsengwo représente-t-il aujourd’hui? La Conférence Nationale? L’Eglise catholique? L’épiscopat?

Mgr NGABU: Mgr Monsengwo n’a cessé d’incarner la préoccupation de l’Eglise

sans être son porte-parole officiel, ni le délégué de l’épiscopat pour la

mission qui est la sienne à la présidence du Haut Conseil – Parlement de

transition. Cette mission est un service que l’archevêque de Kisangani rend

au pays, en tant que citoyen, et avec le souci évident de rester cohérent

avec son ministère d’évêque. Sans que nous l’ayons délégué à cette tâche,

nous, les autres évêques, nous sommes moralement en communion avec lui.

Le rôle de médiation qu’assume Mgr Monsengwo est loin, par ailleurs, de

résumer la mission de l’Eglise dans la société zaïroise. Car l’Eglise n’a

pas qu’un rôle de médiation. Relisez nos déclarations épiscopales et vous

verrez que nous n’hésitons pas à stigmatiser la situation d’extrême pauvreté et d’oppression où nos dirigeants ont conduit notre peuple. Ces déclarations expriment, en fait, tout haut ce que le peuple pense tout bas. Le

peuple n’a aucune peine à y retrouver l’écho de sa propre voix.

Question: Le peuple zaïrois perçoit-il toujours correctement l’action de

l’Eglise catholique?

Mgr NGABU: Souvent les gens ne font pas beaucoup de différence entre Mgr

Monsengwo, l’épiscopat dans son ensemble et l’Eglise en général. Aussi

s’étonnent-ils quelquefois que la conférence épiscopale n’élève pas la voix

pour dénoncer telle ou telle situation. Mais les évêques ne peuvent prendre

position à tout bout de champ sur une situation où il n’y a pas d’élément

nouveau. Le peuple aussi a ses responsabilités. A chacun de prendre les

siennes sur le terrain, en tirant parti notamment des orientations déjà

données par les évêques.

Un important travail d’éducation doit donc se poursuivre au sein du peuple, entre autres dans les communautés chrétiennes, si l’on veut promouvoir

un sens plus aigu du bien commun. De plus, l’Eglise veille énormément à

éduquer la sensibilité des chrétiens à la non violence. Car plus la situation se dégrade, plus la violence est tentante. Heureusement, beaucoup sont

conscients que l’option pour la révolte ne les amènerait à rien.

Question: La période de transition politique ne va-t-elle pas s’éterniser?

Mgr NGABU: La Constitution prévoit, pour cette période de transition, que

le nouveau Premier ministre doit être désigné par les forces politiques en

présence. A elles de s’entendre. Dès qu’elles auront entamé leur concertation à cette fin, elles auront dix jours pour aboutir. Sinon, c’est au Parlement qu’il reviendra de prendre les choses pour élire un Premier ministre

parmi les candidats présentés par la force politique autre que celle à laquelle appartient le chef de l’Etat. Cette formule a été mise au point pour

éviter de trop personnaliser la fonction du Premier ministre. A l’opposition de démontrer sa maturité, en présentant un candidat qui sera apprécié

par l’autre force politique.

Question: L’Eglise catholique semble avoir repris en mains un certain nombre d’écoles au Zaïre. Cela ne risque-t-il pas de mettre à mal le système

même de l’éducation nationale?

Mgr NGABU: La Convention de gestion des établissements d’enseignement, signée en 1977 entre les représentants de l’Eglise et de l’Etat zaïrois, stipule que l’Eglise peut reprendre ses activités dans le cadre de l’éducation

de la jeunesse. Depuis cette convention, l’Eglise a cessé d’être le pouvoir

organisateur d’une école quelconque, mais elle continue d’être gestionnaire

de nombreuses écoles.

L’aggravation de la situation économique n’a pas changé la position de

l’Eglise en la matière. Elle s’est simplement préoccupée davantage du salaire des enseignants. Aujourd’hui, au Zaïre, le salaire minimum d’un enseignant est de 7 nouveaux zaïres, ou 1/20e de dollar. Quel enseignant

pourrait vivre avec cette somme? L’Eglise a donc encouragé les comités de

parents à cotiser pour donner aux enseignants une prime supplémentaire,

évaluée en dollars et parfois distribuée en vivres. Ceci a permis de remobiliser des enseignants et de rouvrir des écoles.

Il est possible que l’Eglise accepte un jour de jouer à nouveau un rôle

de pouvoir organisateur dans l’enseignement, mais à la condition que l’Etat

assume réellement le rôle qui lui revient: celui de fournir aux écoles les

ressources suffisantes pour exister. Non seulement l’Eglise n’a pas les

moyens de subsidier elle-même un réseau d’écoles libres, mais l’éducation

doit rester d’abord de la responsabilité de l’Etat.

Question: La situation matérielle de l’Eglise au Zaïre ne doit pas être

brillante? Peut-elle encore compter sur la solidarité de ses soeurs aînées

en Europe?

Mgr NGABU: Notre situation matérielle reste précaire. Nous avons pu compter

jusqu’ici sur la solidarité occidentale, mais nos communautés doivent apprendre à se prendre en charge autant que possible. Pendant des décennies,

nos jeunes communautés ont été peu attentives à ce problème dans la mesure

où elles étaient animées par des missionnaires, belges notamment, qui pouvaient facilement faire appel à la solidarité de leurs compatriotes. Aujourd’hui, les missionnaires qui cèdent le relais aux prêtres africains

prennent soin de dire aux communautés locales qu’elles devront demain davantage compter sur elles-mêmes. Et je constate avec plaisir, dans mon diocèse en tout cas, que ce message est bien compris: les communautés locales,

petit à petit, mettent un point d’honneur à veiller à la subsistance de

leurs prêtres.

Actuellement, au Zaïre, nous sommes en train d’évaluer par région les

initiatives déjà mises en oeuvre pour promouvoir dans les communautés une

prise en charge maximale des besoins matériels. La Conférence épiscopale

sera amenée, dans les mois à venir, à donner des orientations précises aux

communautés.

Question: Comment le peuple peut-il tenir bon dans une situation de pauvreté et d’oppression qui n’en finit pas ?

Mgr NGABU: C’est la solidarité interne du peuple qui nourrit son espoir

quotidien. L’animation ecclésiale, et donc la vitalité de la foi, y contribue assurément. Mais l’Eglise n’a pas tous les mérites. L’espoir du peuple

s’enracine aussi dans la solidarité naturelle entre les gens. Il peut arriver que cette solidarité soit prisonnière d’un cadre tribal. Alors, il est

heureux qu’une perspective de foi élargisse ses horizons.

Question: Au cours des dernières années, l’idée d’un Synode et même d’un

Concile africain a trouvé un large écho au Zaïre. Par deux fois, l’épiscopat zaïrois en a fait explicitement la demande au pape. Quelles sont aujourd’hui les attentes des Zaïrois à la veille du Synode?

Mgr NGABU: – L’idée d’un Concile africain n’est pas née au Zaïre, mais dans

le cadre d’une célébration culturelle organisée en Côte d’Ivoire pour

l’Afrique tout entière. Je ne voudrais pas jouer au prophète: le Synode est

un événement qu’il faut laisser à l’Esprit Saint. Mais j’ai perçu, en tout

cas, chez les catholiques zaïrois un désir que le Synode fasse grandir

encore leur amour de l’Eglise. Les Africains savent qu’ils ne peuvent en

attendre un miracle du jour au lendemain. En revanche, ils espèrent du

Synode un encouragement et une impulsion pour l’approfondissement de leur

foi et de leur responsabilité personnelle. Le Synode portera déjà du fruit

s’il permet aux chrétiens d’Afrique de se dire un peu plus: l’Eglise, c’est

nous.

Ce Synode survient à un moment très difficile pour l’Afrique, qui est

aujourd’hui un continent en ébullition. Humainement parlant, on pourrait

s’interroger sur l’opportunité d’une telle rencontre. Mais sous le regard

de la foi, il me semble que le moment ne peut pas être meilleur. Je vois

personnellement le Synode comme un événement capable de susciter, du coeur

de l’Afrique, un immense mouvement de réconciliation. Notre continent est

actuellement déchiré par de multiples divisions et affrontements entre entités tribales et régionales. J’espère que le Synode apportera au moins à

l’Eglise une impulsion nouvelle qui l’aidera à faire oeuvre de réconciliation, à aider chaque peuple africain à se bâtir et à trouver son bonheur.

(apic/cip/mp)

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