Frère Ibrahim: Dans Alep libérée, les terroristes maintiennent des «cellules dormantes»

Dans Alep libérée, les terroristes maintiennent des «cellules dormantes, prêtes à frapper», lâche le Père Ibrahim Alsabagh, curé de la paroisse latine St-François d’Assise à Alep. Aujourd’hui, la métropole qui, avant le conflit, fournissait le 60% de la production industrielle de la Syrie, est paralysée et «ne produit même pas un kilo de tomates».

Le religieux franciscain de 44 ans, qui occupe la charge de vicaire épiscopal depuis 2014 dans l’ancienne capitale économique de la Syrie, vit à quelques dizaines de mètres de l’ancienne ligne de front, avant la réunification de la ville. «De producteurs, nous sommes devenus uniquement des consommateurs, nous dépendons totalement de l’aide extérieure. Des personnes qui connaissaient la prospérité avant la guerre font maintenant face à la famine», confiait-il ce printemps à cath.ch.

L’ancien poumon économique de la Syrie est dévasté

De passage en Italie, il déclare à l’agence de presse catholique AsiaNews  que l’ancien poumon industriel et commercial de la Syrie est paralysé. «Alep n’est plus qu’une grande consommatrice; le gouvernement n’est pas en mesure de lancer des projets de reconstruction», alors que problème de la sécurité n’est pas résolu, étant donné la présence de cellules terroristes clandestines qui peuvent être réactivées à tout moment.

Malgré l’enfer de la guerre, 1,4 million de personnes sont restées dans la ville, dont 200’000 vivaient dans la partie orientale évacuée par les rebelles en décembre dernier. La métropole du nord de la Syrie abritait quelque 4 millions d’habitants avant le début des hostilités.

La situation est loin d’être normalisée

Le religieux, qui vivait dans la partie sous contrôle gouvernemental, rappelle les années «où nous vivions tous les jours sous les bombardements». La majorité de la population d’Alep est musulmane. Elle a subi, elle aussi, les bombardements venant de la partie orientale de la ville aux mains des rebelles. Frère Ibrahim se souvient des grands froids de l’hiver, en l’absence de chauffage, et de l’étouffante chaleur de l’été, sans climatisation, des missiles qui tombaient partout et avaient également visé son église lors d’une célébration. «Par miracle, la bombe n’a pas explosé, elle aurait pu causer un massacre, faire des dizaines de victimes, mais nous n’avons compté que des blessés légers».

A l’époque, les missiles tombaient à cadence régulière sur la partie occidentale de la ville, détruisant écoles, hôpitaux, églises et mosquées. Plus de 60% des églises ont été tellement endommagées qu’on ne peut plus y dire la messe. Si la ville est désormais réunifiée, la situation est loin d’être normalisée: conséquence du manque d’eau potable, les infections intestinales apparaissent périodiquement alors que l’approvisionnement en électricité s’est récemment amélioré. Cette année, pour la période des fêtes musulmanes de l’Aïd, la lumière était de retour pendant quelques heures. «Et après tant de temps, les familles ont pu réutiliser le fer à repasser, la machine à laver … des petits gestes d’un quotidien oublié depuis longtemps».

Des raisons d’espérer

Le religieux franciscain ne perd cependant pas l’espoir, en mentionnant les projets lancés par la communauté chrétienne pour ramener un «avenir» de paix et de coexistence dans la ville et dans le pays. Si les chrétiens étaient 30% il y a quelques décennies à Alep, ils sont désormais moins de 4%. Deux familles sur trois ont quitté la ville, un exode qui n’a pas seulement touché les chrétiens et qui a laissé de profondes séquelles psychologiques.

Pour Frère Ibrahim, un des problèmes principaux «est cette génération d’enfants détruits par la guerre: ils sont inquiets, agités, résistent à tout projet d’éducation, montrent des signes de violence, leurs jeux rappellent souvent des actes de guerre, qui se combinent avec des propos insultants». La violence est devenue une réalité quotidienne qui, de la rue, est entrée dans les familles. «L’un des principaux défis est de reconstruire la personnalité de ces enfants. Un thème qui ne concerne pas seulement l’école, mais comprend un soutien psychologique et implique l’Eglise et la paroisse, avec des activités ciblées».

L’idéologie fondamentaliste a pris racine

Si l’arrêt des hostilités en décembre dernier a marqué la fin du conflit ouvert et la division de la ville en deux zones, certains quartiers subissent toujours des tirs de missiles et mortiers. La population craint la persistance sur place de groupes extrémistes «inactifs mais prêts à frapper», même si, jusqu’à maintenant, il n’y a pas encore eu de graves actes de violence. Le danger vient de l’idéologie fondamentaliste qui a pris racine dans les esprits d’une partie de la population, tirant parti de l’ignorance, de la pauvreté et du désir de revanche.

Le religieux dit son espoir que le terrorisme en reste au stade de peur latente et ne se concrétise pas contre une population civile qui recommence à vivre et à espérer.

12 jeunes filles pour chaque jeune homme

Les défis auxquels Alep doit faire face aujourd’hui sont nombreux: dans cette société déséquilibrée, les aînés sont abandonnés à leur sort et meurent seuls parce que personne ne s’occupe d’eux. Et puis il y a les veuves, les jeunes mamans seules avec leurs enfants parce que les pères ont disparu. Ceux qui ne sont pas morts à cause du conflit ont fui à l’étranger pour échapper au service militaire obligatoire.

«D’un côté, il est important de défendre la famille, la patrie, mais il est également compréhensible qu’un jeune homme ne veuille pas mourir. Beaucoup sont au Liban ou en Jordanie, à la recherche d’un emploi pour survivre. Il y a 12 jeunes filles pour chaque jeune homme, une énorme disproportion!»

Face à des besoins toujours croissants, l’Eglise locale a lancé plusieurs projets ces derniers mois: du nettoyage de la ville à l’aide aux jeunes couples, des colis alimentaires aux fournitures d’électricité, des camps d’été pour des centaines des enfants aux contributions pour couvrir les frais de santé et les médicaments, les visites, les examens et les soins. «Toutes choses, insiste Frère Ibrahim – que les gens, appauvris, ne peuvent pas se permettre, faute de moyens».

Développer de petites entreprises

«Jusqu’à présent, a-t-il poursuivi, nous avons donné à 250 personnes l’opportunité de créer une petite entreprise: menuiserie, pâtisserie, textiles, petites boutiques, pour contribuer à la subsistance de la famille. Après avoir évalué le plan d’affaires, nous avons mis à disposition de 1’000 à 1’500 euros pour le démarrage de l’entreprise. 300 autres personnes attendent une réponse après avoir soumis leurs projets».

Parmi les activités qui tiennent le plus à cœur, pour Frère Ibrahim, «c’est le soutien aux jeunes couples. A ce jour, ce projet concerne environ 940 familles chrétiennes de tous les rites. Combien d’effort, mais aussi combien de joie procure ce projet qui a également attiré l’attention de nombreuses familles musulmanes! «

Dialogue concret avec l’islam

Et c’est précisément sur les œuvres, les activités de bienfaisance et les gestes quotidiens que se jouent la rencontre et le dialogue concret avec l’islam, au-delà des discours et des propositions de façade.

«Le poids du fondamentalisme – conclut Frère Ibrahim – nous a rapprochés, les réunions sont plus fréquentes et il n’y a pas seulement des compromis, mais des dialogues sincères. Il faut regarder le bien commun, l’éducation d’une génération qui doit surmonter l’idéologie extrémiste et reconstruire une ville, une nation, par l’identité, le témoignage et la charité qui touche les cœurs». (cath.ch/asian/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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