Prédication I : Pasteur Gottfried Locher, président de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS)
«Mon Seigneur et mon Dieu, éloigne de moi tout ce qui m’éloigne de toi.»
Telle est la prière de Nicolas de Flue. Elle a 500 ans mais elle reste actuelle pour le monde d’aujourd’hui.
«Eloigne de moi tout ce qui m’éloigne de toi.»: c’est quelque chose que nous connaissons aussi: tout ce que nous traînons avec nous sans en avoir vraiment besoin. Année après année, nous achetons toujours plus de vêtements, toujours plus de meubles, toujours plus de livres, la maison est pleine depuis longtemps et elle continue à se remplir, alors que nous n’utilisons réellement qu’une infime partie de tout cela. Et le jour où nous déménageons, nous nous tenons devant la pile de cartons à bananes, nous secouons la tête et nous nous demandons comment nous avons pu en arriver là.
«Eloigne de moi tout ce qui m’éloigne de toi.»: Frère Nicolas ne pense pas seulement aux choses matérielles. Il pense aussi à tout ce que nous accumulons au cours des années: du prestige, par exemple, de la considération, une position dirigeante dans notre métier ou encore un réseau influent, un titre universitaire devant lequel tous se figent de respect ou peut-être la célébrité, qui sait. Il existe une infinité de choses que nous pensons être enviables.
Et le sont-elles? A chacun de décider pour lui-même. Le bien-être n’est pas mauvais en soi et les biens immatériels font partie de la vie. Mais la question demeure : lesquelles de toutes ces choses qui font envie font-elles vraiment du bien?
Frère Nicolas exprime ce que nous sentons aussi: il y a beaucoup trop de «trucs» dans notre vie qui nous freinent, nous paralysent, nous oppressent. Nous avons, pour ainsi dire, librement aliéné notre liberté avec tous ces biens, matériels et immatériels.
Et telle est notre vie actuelle, avec trop de tout et dans une cage dorée. Et le pire est que nous nous en débarrasserons difficilement tout seuls. Nous y avons investi trop de travail, trop de passion pour nous en séparer.
«Eloigne de moi», dit Frère Nicolas. Et, ce disant, il dit ce que nous savons: c’est à un autre de nous enlever tout ce qui ne nous fait pas du bien. Nous n’y réussissons pas seuls. Frère Nicolas a raison.
Et il nous rappelle aussi le texte biblique: «Ne vous faites pas de trésors sur la terre, là où les mites et les vers les dévorent, où les voleurs percent les murs pour voler. Mais faites-vous des trésors dans le ciel, là où il n’y a pas de mites, ni de vers qui dévorent, pas de voleurs qui percent les murs pour voler. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.»
Et c’est de cela qu’il s’agit: là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.
Les voitures?
Ainsi donc, laissez-moi vous poser la question: où donc se trouve votre trésor? Dites-moi, est-il, par exemple, fait de tôle, une tôle belle, chère et rapide, avec beaucoup de chevaux sous le capot? Brille-t-il encore, votre trésor ou rouille-t-il déjà ?
Les vêtements?
Dites-moi, est-il peut-être en étoffe, votre trésor, en étoffe précieuse, par exemple de Chanel ou Dior ou Louis Vuitton? Êtes-vous encore pleinement à la mode ou déjà mités?
Ce n’est qu’une question de temps. Les voitures, les vêtements, rien ne dure.
Ah! vous n’accordez guère d’importance aux choses matérielles, dites-vous? Il existe des trésors terrestres qui sont immatériels comme nous l’avons vu: exercer de l’influence; pouvoir commander; être important. Ou la célébrité. Avoir bonne réputation. Être admiré. Être aimé. Tout cela d’ailleurs est aussi périssable, sans rouille ni mites.
D’où cette question dérangeante: Où est votre trésor? La réponse révèle quelque chose de vous. Là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur.
Trésor dans le ciel
Sœurs et frères, si seulement Jésus était un peu plus flexible en la matière, un peu moins noir ou blanc! Mais non: il est limpide. Ne placez pas votre cœur dans des trésors terrestres – toi non plus, chère Église. Ne vous mettez pas en quatre pour de l’argent, le pouvoir, la louange, les applaudissements. Vous n’êtes pas au monde pour les trésors terrestres. Faites-en usage, protégez-les, mais ne leur offrez jamais votre cœur. Votre cœur doit aller ailleurs.
Chers fidèles, il y a beaucoup de bonnes prières. Celle de Frère Nicolas fait partie des rares qu’il est facile d’apprendre par cœur.
Apprenez-la par cœur! Celui qui garde toujours ces mots dans son cœur s’en souviendra au quotidien. Aussi, au moment où il faudra ne pas vouloir encore plus mais, pour une fois, abandonner quelque chose, se détacher, peut-être de son plein gré, peut-être pas. «Éloigne de moi tout ce qui m’éloigne de toi.»
Voilà des paroles sages. Depuis 600 ans.
Prédication II : Cardinal Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des chrétiens
Dieu offre au jeune roi Salomon d’exaucer une prière lors de son accession au trône. Salomon ne demande ni succès, ni richesse, ni longue vie ni même l’anéantissement de ses ennemis. Sa seule prière est celle-ci: «Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal» (1 Rois 3,9). Cette demande d’un cœur attentif rejoint tout à fait la prière de saint Nicolas de Flue.
Le président Gottfried Locher nous a expliqué la première strophe de la prière de Frère Nicolas et montré ce qui doit nous être enlevé pour ne pas nous éloigner de Dieu. C’est seulement lorsque notre cœur est vide de tout ce qui l’encombre qu’il peut s’emplir de l’essentiel et abriter le vrai trésor. Frère Nicolas montre, dans la deuxième strophe, que nous devons aussi recevoir beaucoup de choses qui nous rapprochent de Dieu. «Mon Seigneur et mon Dieu, donne-moi tout ce qui me rapproche de Toi.»
Frère Nicolas prie aussi, en premier lieu, pour avoir un cœur attentif à Dieu. Il s’est retiré dans un ermitage au fond des gorges de la Melchaa pour être dans le silence et entendre Dieu qui nous parle à voix basse.
Cette prière est d’une actualité particulière à notre époque, où nous sommes partiellement voire totalement sourds à Dieu. Nous avons tellement de fréquences différentes dans l’oreille, nous avons même fermé nos oreilles, si bien que nous n’entendons plus guère Dieu. Frère Nicolas a fait du silence sa maison pour entendre le murmure de Dieu. Il est ainsi devenu au plus profond de lui-même un ami de Dieu.
Frère Nicolas a aussi demandé un cœur attentif aux autres. Lorsqu’il a quitté sa famille et son activité publique et qu’il s’est retiré dans la solitude, il n’a aucunement pris congé du monde et il ne s’est pas détourné des humains. Il les a plutôt emportés avec lui dans son cœur.
Il est devenu véritablement réceptif aux soucis et aux souhaits des gens. Et il est devenu un conseiller sage même en politique en s’engageant pour la paix dans la Confédération. Mais le miracle politique de Stans, sa médiation de paix en 1481, n’est pas pensable sans le miracle religieux de son amitié avec Dieu au Ranft.
Les deux choses sont indissociables chez lui: il est entré si profondément dans le mystère divin qu’il a toujours eu un cœur attentif aux hommes qui ont cherché son conseil. En tant qu’ami de Dieu, il a aussi été grandement un ami des hommes.
Celui qui plonge en Dieu, réapparaît chez ses contemporains et s’engage surtout pour la réconciliation et la paix entre les hommes et entre les peuples. Car la paix véritable ne peut être cherchée qu’auprès de Dieu et c’est à lui seul qu’on peut la demander. La première paix et la plus importante, c’est la paix de l’homme qui porte Dieu dans son cœur. Elle est la paix véritable et toutes les autres formes de paix sont des reflets de cette paix élémentaire de Dieu. La paix du monde commence en réalité dans son propre cœur avec la paix que seul Dieu peut donner.
Le cœur attentif à Dieu et aux humains de Frère Nicolas s’exprime de la plus belle façon, sans aucun doute, dans son image de méditation. Celle-ci montre les différents mystères de l’histoire du salut et en même temps les œuvres physiques de la charité dont nous sommes chargés envers les humains en réponse au cadeau de l’amour de Dieu. Les deux choses, les mystères de la foi et les œuvres de charité sont vues comme une seule. Et nous pouvons ainsi entrevoir le cœur du mystère de la vie de Frère Nicolas: il se révèle être un témoin crédible de la foi parce qu’il réunissait ce qui ne se laisse pas séparer dans l’écologie du christianisme: Dieu et le monde, le service à Dieu et le service aux hommes, la piété et la responsabilité publique.
Les deux sont ensemble dans la tête couronnée au milieu de son image de méditation.
C’est en ceci que je vois le grand héritage spirituel et le défi permanent que nous laisse le saint des gorges de la Melchaa à nous, les chrétiens d’aujourd’hui. Nous ne pouvons relever ce défi de manière crédible qu’en communauté œcuménique. Le Réformateur Ulrich Zwingli n’était pas, en son temps, impressionné uniquement par l’action politique de Frère Nicolas mais aussi par la force du rayonnement de sa foi. Frère Nicolas ne nous sépare pas, nous chrétiens, mais nous réunit, surtout aujourd’hui. Pouvoir fêter son 600e anniversaire pendant les célébrations des 500 ans de la Réforme avec un service œcuménique est une belle rencontre qui fait réfléchir.
Demandons, nous aussi, dans l’esprit de Frère Nicolas, de recevoir un cœur attentif. Car seul un tel cœur peut nous rapprocher de Dieu. Frère Nicolas a demandé un cœur attentif à Dieu et aux humains. Et il a encore prié pour plus que cela, il a même demandé que la prière lui soit donnée. Car il savait que la prière n’est pas notre mérite mais qu’elle est l’œuvre de Dieu en nous comme Saint Paul l’a déjà dit: «Nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables» (Rom. 8,26). Dans ce sens, ce n’est donc pas nous, les humains, qui prions.
C’est l’Esprit Saint qui prie en nous. C’est pourquoi la prière fait partie des grands dons de l’amour de Dieu envers nous, humains. La prière, elle aussi, doit nous être donnée pour qu’elle nous rapproche de Dieu. Et c’est ainsi que, comme Frère Nicolas et avec lui, nous pouvons résumer nos demandes en une seule prière: celle de devenir toujours plus des priants : « Mon Seigneur et mon Dieu, donne-moi tout ce qui me rapproche de Toi.» Oui, donne-moi surtout un cœur attentif à Toi et aux humains et fais-moi le don de la prière.
Amen.