Rencontre avec Abdel Fattah Husseiny El-Sheikh, (250594)

APIC – Interview

recteur de l’Université islamique d’Al-Azhar

Al-Azhar, l’islam tolérant?

Jacques Berset, Agence APIC

Le Caire, 25mai(APIC) « A Al-Azhar, nous représentons l’islam modéré et

ouvert:il n’y a ni intégristes ni fanatiques parmi nos étudiants ». Abdel

Fattah Husseiny El-Sheikh, recteur de la grande Université islamique du

Caire (100’000 étudiants musulmans de 83 nationalités), nous accueille dans

les bâtiments administratifs modernes de Nasr City, où l’on achève la construction d’une nouvelle mosquée. Il se veut rassurant:en Egypte, les extrémistes représenteraient moins de 1% de la population, et les islamistes

qui ensanglantent le pays depuis plusieurs années n’ont absolument aucun

droit de se réclamer de l’islam.

Dans la rue, des voitures avec un autocollant bien visible sur la vitre

arrière: »Sauvez l’islam en Bosnie ». Dans les journaux, à la télévision, un

même leitmotiv, quotidien, lancinant: on viole des femmes musulmanes, on

tue des enfants musulmans, on veut éradiquer l’islam en Bosnie. Ce message

répétitif accusant les chrétiens occidentaux de mener une « nouvelle croisade contre l’islam » crée un climat de plus en plus malsain pour la minorité

copte d’Egypte. Des terroristes islamiques s’en sont déjà pris aux chrétiens sous prétexte de venger les morts musulmans de Sarajevo.

L’islam, affirme pourtant le professeur Abdel Fattah Husseiny, ne sera

jamais une menace pour l’Occident, car c’est une religion par nature pacifique. Mais l’homme est souvent ennemi de ce qu’il ignore, poursuit le recteur d’Al-Azhar, et la méconnaissance de l’islam est totale en Occident. Et

d’estimer que depuis la chute du communisme, l’Occident a besoin d’un nouvel ennemi. Il a trouvé en l’islam une victime toute désignée. La preuve:

l’agression actuelle contre la minorité musulmane désarmée de Bosnie. « Un

vrai génocide pour éliminer l’islam d’Europe et le monde ne bouge pas! ».

APICLa guerre en Bosnie a-t-elle amené un regain de tension entre les

communautés musulmanes et chrétiennes en Egypte ?

AbdelFattahHusseiny:En tant que musulman, je partage les sentiments d’un

musulman, d’un frère, quand j’apprends qu’en Bosnie, il y a des massacres

et des viols collectifs. C’est normal qu’il y ait des tensions interreligieuses, d’autant plus qu’on a l’impression qu’il y a deux poids et deux

mesures face au génocide des musulmans. Je comprends les événements de Bosnie comme une guerre religieuse, la volonté de peuples chrétiens d’en finir

avec l’islam en Europe. Pourquoi tant d’hostilité contre cette petite minorité musulmane?

APIC:Pourenrevenirà Al-Azhar, vous considérez votre Université comme

une institution de formation destinée à répandre l’islam…

AbdelFattahHusseiny:Dès le départ, l’Université d’Al-Azhar a été conçue

comme école pour propager l’islam, former les savants en religion et conserver les principes de l’islam dans le monde entier. C’était une mission

scientifique et universelle. Dès le début du 19ème siècle, Muhammad-’Ali,

« père de l’Egypte moderne », assigna de nouvelles tâches à Al-Azhar, envoya

des boursiers en Europe qui furent les pionniers du développement de la

science moderne en Egypte.

Notons que les étudiants en médecine par exemple, comme ceux de toutes

les autres Facultés, ont des cours de théologie islamique et de langue arabe. Tous nos étudiants – Egyptiens ou étrangers – sont musulmans.

APIC:Al-Azhar n’accepte donc que les étudiants musulmans?

AbdelFattahHusseiny:Vous acceptez des étudiants musulmans dans une Université catholique…C’est une autre façon de voir les choses.Quant à notre Université d’Al-Azhar, elle n’a été prévue que pour les musulmans.

C’est pour ne pas imposer aux chrétiens nos idées et nos principes (Sourire

entendu de la part du recteur, NDA). Cette question touche à la politique!

N’oubliez pas qu’il y a 13 Universités au Caire, donc suffisamment d’institutions d’enseignement pour tous, où il n’y a pas de différences en

fonction de la religion. La Constitution égyptienne déclare en fait que

l’Egypte est un pays musulman et que la loi de l’Etat est l’islam.

APIC:Etes-vous partisan de l’introduction de la « charia » pour tous les citoyens égyptiens ?

AbdelFattahHusseiny:Jamais de la vie, car les chrétiens coptes, qu’ils

soient catholiques, orthodoxes ou protestants, sont régis par leurs propres

lois en matière de mariage ou de divorce. Tout cela est réglé par le « statut personnel » des chrétiens. Ainsi, on ne peut pas appliquer aux catholiques les dispositions musulmanes réglant la polygamie ou le divorce.

Il existe certes des mariages mixtes, car il est permis à un musulman

d’épouser une chrétienne ou une juive, car elles appartiennent aux « Gens du

Livre » (Ahl Al-Kitab). Le contraire est interdit: il n’est pas possible

qu’un chrétien ou un juif épouse une musulmane. La loi islamique interdit

qu’une femme musulmane marie un non-musulman. Si elle le fait, le mariage

est déclaré nul et n’est pas considéré comme légitime tant par l’Etat que

par les institutions religieuses de l’Egypte.

APIC:Un chrétien peut se convertir à l’islam, mais un musulman ne peut

choisir une autre religion…

AbdelFattahHusseiny:Il n’y pas de libre choix: l’apostasie d’un musulman

est condamnable, car un adepte de l’islam ne peut changer de religion. S’il

le faisait quand même, il serait puni. La question ne se pose pas, car il

s’agit de principes indiscutables. Cela se passe dans toutes les religions,

et si vous avez maintenant en Occident la possibilité de vous marier avec

des gens d’autres religions, c’est une liberté de cette époque moderne.

APIC:On dit que l’islam a fermé, depuis bientôt un millénaire, l’ »ijtihad », la « porte de l’effort » juridique. Les musulmans sont donc en principe

régis encore aujourd’hui par des lois des premiers siècles de l’islam…

AbdelFattahHusseiny:En vérité, la « porte de l’ijtihad » n’est pas fermée,

elle reste ouverte. Il faut cependant faire une différence entre les principes déjà établis, qu’on ne peut discuter – comme les cinq piliers de

l’islam -, ou les principes sur lesquels le Prophète et ses compagnons sont

tous d’accord. Ici, le problème est résolu depuis longtemps, on ne discute

pas. Mais il y a de petits détails qui changent, qui s’adaptent à l’époque,

mais qui ne touchent en rien le fondement.

En ce qui concerne le courant fondamentaliste en Egypte, nous n’avons en

général pas de problèmes d’extrémistes. En effet, 99% des musulmans sont

des modérés qui aiment leurs compatriotes chrétiens et cherchent à travailler en commun au service de la patrie. Il existe certes peut-être 1% de

fanatiques ou d’extrémistes, mais c’est l’exception qui confirme la règle.

Vous avez d’ailleurs aussi vos propres minorités intégristes en Occident.

APIC:Considérez-vous les terroristes qui commettent des attentats contre

les autorités ou les chrétiens comme de bons musulmans?

AbdelFattahHusseiny:En vérité, nous ne connaissons pas jusqu’à maintenant l’identité réelle de ces terroristes, qui ne sont qu’une goutte dans

l’océan de la population égyptienne. Si ces terroristes croient réellement

qu’ils peuvent imposer leurs vues par la violence et l’assassinat d’innocents, ils se trompent lourdement. En réalité, le Prophète lui-même a demandé que l’on n’impose pas une opinion par la force, mais que l’on discute

avec quelqu’un d’un autre avis. De ce fait, le Prophète a utilisé la méthode de la démocratie, la « choura » (le conseil). Comment une si petite fraction de terroristes peut-elle vouloir imposer son point de vue à la grande

majorité des musulmans? S’ils se réclament de l’islam, ils en sont bien

loin, et l’islam n’est pas fier d’avoir de tels gens parmi ses partisans.

(apic/be)

Encadré

La célèbre Université islamique d’Al-Azhar, au Caire, fondée il y a plus

d’un millénaire sous la dynastie des Fatimides, se targue d’être la plus

ancienne Université religieuse du monde. Elle a été établie à ses débuts

pour propager la religion chiite, qui dominait alors en Egypte, avant de

devenir la référence mondiale pour l’islam sunnite.

En effet, après la disparition des centres culturels islamiques d’Andalousie, avec la reconquête catholique en Espagne, et de Bagdad, après l’invasion mongole en Asie centrale, Al-Azhar est devenue le plus grand centre

d’études arabes et islamiques du monde musulman. Parmi ses quelque 100’000

étudiantes et étudiants inscrits dans ses 52 Facultés du Caire et de ses

autres branches locales, Al-Azhar accueille 10’000 étudiants étrangers (musulmans uniquement!) de 82 pays des cinq continents. Les Facultés ne sont

pas mixtes, mais séparées selon les sexes.

Outre sa tâche scientifique au niveau de l’enseignement et de la recherche dans ses nombreuses Facultés, l’Université islamique d’Al-Azhar considère comme l’une de ses missions principales de « propager la religion musulmane et de montrer le vrai visage de l’islam et son impact sur le progrès et le bien-être de l’humanité ». (apic/be)

Les divers reportages que l’agence APIC a publiés sur l’Egypte et la chrétienté copte sont illustrés par les photos de l’agence CIRIC, Chemin des

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