Henri Schwery, les confidences du cardinal

Dimanche le diocèse de Sion honorera son cardinal. L’occasion pour Mgr Henri Schwery, qui fête cette année 60 ans de presbytérat et 40 ans d’épiscopat, d’évoquer les grandes étapes de sa vie, avec humour et sans langue de bois.

«Satané bidule! Je suis physicien et je n’arrive pas à faire fonctionner ce machin!» Le machin en question, c’est l’interphone du cardinal Schwery. «Vous attendiez depuis longtemps?» Un brin de persévérance s’avère nécessaire pour rencontrer le cardinal valaisan qui fête, à 85 ans, 60 ans d’ordination sacerdotale et 40 ans d’ordination épiscopale. Durant toutes ces années, Henri Schwery aura connu l’émulation du Concile Vatican II, l’accès à l’épiscopat, la proximité du pape Jean-Paul II autour du schisme lefebvriste, un conclave et certaines vilenies de la Curie romaine. Il a également goûté aux joies de la recherche scientifique et de l’enseignement dans un parcours ecclésial atypique, fondé en grande partie sur l’obéissance aux plans que d’autres ont établis pour lui. Jusqu’à sa démission à la tête du diocèse de Sion. «Au fait, bonjour. Installez-vous, je vous attendais».

«Je suis le dernier de dix enfants. Il a fallu neuf brouillons pour me réussir», explique le cardinal avec un sourire malicieux. Le ton est donné. Enfant, il voit d’un bon œil la prestance des Rédemptoristes qui, à l’époque, avaient pignon sur rue dans son village natal, Saint-Léonard. «Ils avaient meilleure façon que Monsieur le curé et sa vieille soutane abimée».

Il n’en faut pas plus pour que l’idée du sacerdoce prenne racine en lui. «J’avais 13 ans, je suis allé les voir quelques fois pour discuter». Mais la santé fragile du futur cardinal, qui fréquentait à l’époque les colonies organisées par la ligue pulmonaire valaisanne, ne convainc pas les religieux.

«L’écrasante majorité des prêtres de la Curie ne rêvent que de porter des boutons violets ou rouges et attendent pour cela le départ de leur chef de service.»

Elle ne rebute pas le séminaire de Sion qui l’accueille quelques années plus tard. Henri Schwery en franchit la porte avec une idée derrière la tête: devenir vicaire du petit village anniviard de Chandolin. Mais l’évêque de l’époque, Mgr Nestor Adam, a d’autres vues. Henri Schwery est envoyé à Rome. Il y poursuit ses études de théologie pour devenir professeur au séminaire diocésain.

La Ville éternelle, son séjour au Séminaire français et ses études à l’Université Grégorienne le fascinent durant deux ans. Jusqu’à son retour en Suisse pour son ordination sacerdotale, le 7 juillet 1957 à Saint-Léonard. «J’ai presque tout reçu dans cette église. Le baptême, la première communion, la confirmation, le sacerdoce. Mais pas encore le mariage», sourit le cardinal.

S’ensuit un nouveau revirement. Alors que l’abbé Schwery s’est préparé à prendre une charge d’enseignement auprès des futurs prêtres du diocèse, le voilà envoyé à Fribourg pour des études de physique théorique. Mgr Adam souhaite lui confier un poste d’enseignant au collège de Sion.

Einstein, une référence

Durant ces années, Einstein devient une référence à ses yeux. «J’ai tout lu de lui. C’est le génie des génies. Il n’est pas religieux au sens pieux du terme, mais nous sommes sur la même longueur d’onde lorsqu’il écrit: ‘L’univers est à ce point cohérent qu’il est impossible qu’il n’ait pas été l’œuvre d’un être pensant’. Nous avons un même fond commun que chacun interprète à sa manière, avec loyauté». Le milieu scientifique n’a jamais mis en doute sa foi. «Au contraire, le monde académique est neutre, pas athée. Bien comprise, la science est un lieu où la théologie peut grappiller ici ou là des arguments qui lui permettront d’entrer en discussion avec d’autres disciplines».

Son diplôme en poche, l’abbé Schwery partage son temps entre enseignement au collège, traduction en langage machine de calculs scientifiques et quelques engagements pastoraux – auprès notamment d’un confrère en prise avec un certain penchant pour la bouteille. «J’avais mis en place la messe du samedi soir dans sa paroisse, pour être auprès de lui le week-end et dépanner le dimanche, s’il ne pouvait pas célébrer».

Manigances

En 1977, Henri Schwery, devenu entretemps recteur du collège de Sion, passe ses vacances dans son chalet de Vernamiège lorsqu’il reçoit un courrier. De la pure manigance en vue de préparer la succession de Mgr Adam. «Des auteurs anonymes expliquent que l’évêque atteindra l’année suivante l’âge de la retraite, fixée à 75 ans par le droit canon. Il est prévu qu’un curé doyen relativement âgé soit nommé évêque durant cinq ans avant de laisser la place à son neveu, un grand docteur. Il s’est avéré par la suite qu’il s’agissait du curé Jérémie Mayor et de François Varone». Mgr Adam, au courant de cette lettre qui circulait parmi son clergé, décide de couper court. Il démissionne en secret au début de l’été 77.

«Quand le nonce m’a appelé pour me convoquer, j’ai cru à un canular. ‘Allo, l’abbé Schwery? C’est le nonce qui vous parle.’ ‘Oui, et moi je suis la reine d’Angleterre!’ Il n’a pas apprécié.» Le problème c’est que le recteur n’avait pas son pareil pour imiter l’évêque et piéger ses confrères par téléphone. Il soupçonne une farce. Mais le nonce, soucieux d’accomplir sa mission, persiste: «Je vous attends demain à 9 heures à la nonciature à Berne. C’est secret, n’en parlez à personne». Mi-figue mi-raisin, l’abbé Schwery se rend à la nonciature bien à l’avance. «Je suis arrivé à 8 heures. Je me suis installé dans un Tea-Room en face de la nonciature, histoire d’observer si l’un de mes confrères ne venait pas se planquer dans la cour pour me cueillir quand j’arriverai. Je n’ai vu personne.» Le futur évêque de Sion sonne à la porte et reconnaît la voix de celui qui l’avait appelé la veille. «Sa sainteté le pape Paul VI vous nomme évêque de Sion. J’étais tellement remué en repartant que je me suis installé sur le siège passager de ma voiture».

«Ecône, c’est l’intégrisme de ceux qui ont la trouille»

«Je me suis attelé à ce nouveau mandat comme j’ai pu, en commençant par respecter les personnes en place. Quelques années après la fin du Concile, il fallait mettre en place un tas de choses. Il n’y avait pas de quoi roupiller, mais j’étais heureux». En vacances aux Mayens de Sion, l’archevêque de Toulouse découvre le nouvel évêque du lieu dans la presse locale. Le cardinal Garonne, qui est aussi préfet de la Congrégation pour l’éducation catholique, l’invite à partager un repas. «Il m’a fait blaguer. Je lui ai partagé mon parcours. Sur le coup, il ne m’a rien dit. Mais en janvier 78, il me nommait membre de la Congrégation qu’il dirigeait». Depuis, et durant tout son mandat épiscopal à la tête du diocèse de Sion jusqu’en en 1995, Henri Schwery passera une semaine par mois à Rome. «J’ai fait le tour de toutes les congrégations, plusieurs fois».

Facteur du pape

«Les journaux ont souvent parlé des problèmes de la Curie. Hélas, ils ont raison», soupire le cardinal qui connaît de l’intérieur les arcanes du Vatican. Son constat est sans appel: «L’écrasante majorité des prêtres qui travaillent au Vatican sont tout simplement des fils à papa, de nobles romains, qui ne rêvent que de porter des boutons violets ou rouges et attendent pour cela le départ de leur chef de service. Ils n’ont jamais vu une paroisse de près. L’écrasante majorité, répète-t-il, avant de se taire un instant. Un jour, un séminariste est venu me voir en me disant: ‘Une fois ordonné, je veux aller à l’école des nonces [prestigieuses académie de formation des futurs ambassadeurs du Saint-Siège, ndlr]. Je lui ai répondu qu’il ne fallait même pas y penser sans s’être plongé pendant au moins dix ans dans la réalité d’une paroisse».

Au fil de son épiscopat, Mgr Schwery devient proche du pape Jean-Paul II qui le créera cardinal en 1991. Il le rencontre à plusieurs reprises. Alors que la crise avec Mgr Lefebvre s’envenime, il se fait le «facteur du pape». «Jean-Paul II m’appelait et me disait: ‘Je veux que vous posiez cette question à Mgr Lefebvre et que vous me transmettiez sa réponse, de vive voix, sans papier'». Mgr Schwery effectuera plusieurs allers-retours entre Sion et Ecône, jusqu’à ce que la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X tombe «dans un intégrisme qu’on ne peut plus récupérer. Un intégrisme de sergent-major. On serre les boulons parce qu’on a la trouille de perdre le pouvoir, affirme l’ancien capitaine aumônier. Ce n’est pas le pire des intégrismes».

Qu’y a-t-donc de plus dangereux? «Une forme d’intégrisme qui, dans l’Eglise, confond la justice civile et la justice de Dieu. Il y a un groupe en Valais qui a demandé à l’évêque actuel de m’interdire de parole et, si possible, de m’exiler du canton, sous prétexte que je suis pour l’avortement, explique le cardinal pour illustrer son propos. En 2014, je m’étais prononcé contre l’initiative ‘financer l’avortement est une affaire privée’, précisément parce que je considère qu’il ne nous appartient pas d’exercer une forme de justice sur de tels actes. L’avortement est contraire à la loi de Dieu qui nous demande de respecter la vie. L’acte est condamnable. Faut-il pour autant condamner la personne? Et ce, sans prendre en compte sa situation? Était-elle libre d’avorter? A-t-elle été violée? Je pourrais multiplier les cas. Du point de vue de la loi, la mort ne nous appartient pas. Dieu ne veut pas qu’on se suicide. Mais si un type saute de son balcon et se casse les deux jambes et le bassin, vais-je pour autant interdire le remboursement de sa prise en charge médicale? C’est idiot! Il est urgent d’apprendre à aimer les personnes!», tranche le cardinal.

«On m’a démissionné»

«Je parle trop? Vous voulez boire un verre? On essaie une espèce de rosé italien?» L’occasion d’aborder un autre sujet: la fin de son mandat épiscopal à la tête du diocèse de Sion. «Démissionner? Je n’ai jamais démissionné! On m’a démissionné. Peut-être étais-je trop exigeant? Et puis, c’est bien, il ne faut pas rester évêque trop longtemps, après tout. J’ai vécu des choses assez cocasses. Mais bon, tant pis. Il faut… C’est peut-être le purgatoire sur terre.»

«Les derniers mois à l’évêché, tous mes collaborateurs me disaient de penser davantage à ma santé. ‘Tu vas finir par devenir malade, accorde-toi du repos’. Ça devenait systématique. ‘Qu’est-ce qu’ils ont tous à pleurnicher comme ça?’, me disais-je à l’époque. Et puis un jour, j’essaie de joindre mon vicaire général. Personne. Mes vicaires épiscopaux. Personne. Alors j’appelle la secrétaire qui m’apprend qu’ils sont partis pour Berne. Ils sont revenus le soir en disant. ‘Ne t’inquiète pas, Henri, le nonce a bien compris que tu es fatigué, il va s’occuper de toi'». Quelques jours plus tard, l’évêque recevait sa lettre de démission. «J’ai signé et voilà. Ça m’a blessé dans mon orgueil. Mais dans ma tête et dans mon cœur, je me suis raisonné. ‘Tu as fait 17 ans, ce n’est pas si mal. Laisse la place à un autre.’ Pourquoi? Par qui tout cela est arrivé? Je n’ai jamais cherché à savoir.»

Plus de vingt plus tard, il n’y a plus vraiment d’amertume dans le cœur du cardinal. Retiré dans son petit appartement, il reste à l’écoute du monde et de Dieu. Il avoue que certaines choses lui échappent: des dates, des noms. Il reconnaît quelques ennuis de santé. La mort l’effraie-t-elle? " J’en ai vu tellement mourir. Mon papa, ma maman. Des frères, des sœurs, des neveux, des nièces. Je ne suis pas effrayé du tout. Si ça fait mal, je pleurerai. Voilà tout.»

Et une fois là-haut, vous espérez qu’il vous dise quoi le Bon Dieu? «Ha tiens, tiens, c’est le moment de te reprendre en main mon cher Henri». Il éclate d’un rire joyeux. «Oh, on n’a pas que des qualités, hein!», sourit le cardinal. Une dernière confidence: «vous savez, je trouve que la confession, si elle est bien pratiquée, c’est l’occasion de réordonner les choses. Tu as fait une connerie? Oui. Eh bien, regardons les choses calmement et remettons-les en place. C’est tout simple et c’est un apaisement permanent.» (cath.ch/pp)


Henri Schwery en quatre dates


Dédicace de la cathédrale de Sion

Le diocèse de Sion fêtera ce dimanche 8 octobre 2017 ses prêtres jubilaires à l’occasion de la dédicace de sa cathédrale, dont Mgr Henri Schwery, ordonné prêtre en 1957 et évêque en 1977. A noter que, durant cette célébration, Mgr Jean-Marie Lovey ordonnera diacre Philippe Genoud, actuel directeur du home St-Sylve à Vex (VS).

Pierre Pistoletti

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