Urgences, protocole et personnes âgées

Le décès d’une personne âgée (86 ans) au mois d’août, à l’hôpital de Fribourg, soulève des questions d’éthique que nous voudrions reprendre ici. En très mauvaise santé, cette personne souffrait en plus d’une fracture du col du fémur. N’étant pas considérée comme une urgence absolue, selon le protocole des soins, cette personne a attendu plus de trois heures sur un fauteuil avant d’être prise en charge. Cette longue attente est monnaie courante durant les vacances et les weekends en raison de la surcharge du service des Urgences. Le patient a subi alors toute une série d’examens dont certains redondants car déjà fait au home et n’a pu être installé dans une chambre qu’en fin de soirée. Sa famille a eu toutes les peines du monde à le retrouver et finalement il s’est éteint seul au petit matin.

Comme l’a relevé le médecin-chef du service, cette personne a été traitée selon le protocole en vigueur. Le médecin a donc jugé dans la presse que le traitement médical du patient a été correct. Mais le problème n’est pas là. Il se situe à deux niveaux : celui du home d’une part, celui de la déshumanisation des soins d’autre part.

Vu l’état très déficient de ce malade, il était inhumain de le faire passer par les urgences d’autant plus que le médecin du home avait fait les radios nécessaires et posé le diagnostic. Contact aurai dû être pris directement avec le service d’orthopédie pour trouver un arrangement. Le faire passer par la case urgences, en sachant que la personne âgée risquait d’attendre durant des heures, était un risque que le home n’aurait pas dû prendre.

Cette situation se renouvelle chaque fois que l’on traite des individus très vulnérables avec des normes qui ne leur sont pas adaptées

Venons-en au protocole. Tous les services hospitaliers suivent ce genre de prescription, d’une part pour assurer la qualité des soins, d’autre part pour dégager sa responsabilité en cas d’incident médical, par définition imprévisible. Le problème est que ce genre de protocole est établi pour un patient moyen capable de subir sans dommage une longue attente aux urgences. Je l’ai moi-même vécu. Malheureusement dans le cas présent le service n’a pas eu à faire à un patient normal mais à une personne très diminuée physiquement qui n’aurait pas dû être soumis à ce protocole. Le respect de l’humanité de cette personne exigeait que l’on tempère le protocole ou que l’on en sorte et cela n’a pas été fait.

Cette situation se renouvelle chaque fois que l’on traite des individus très vulnérables avec des normes qui ne leur sont pas adaptées. Le respect dû à l’autre exige que l’on sorte des sentiers battus et rebattus. Ce problème des normes ne se pose pas que dans la santé. Il existe dans tous les services publics qui travaillent directement avec des personnes. La nouvelle gestion publique, qui impose que l’on travaille avec des grilles de prise charge fondées sur un individu moyen, rencontre partout le même écueil. Les personnes ont l’impression d’être considérées comme des numéros et s’en plaignent amèrement.

La personne moyenne n’existe pas, sauf dans les statistiques. Quand nos dirigeants, dans la santé et ailleurs, comprendront-ils que cette tyrannie des statistiques déshumanise profondément nos communautés et créent une société hostile aux plus faibles ? Si la mort de ce monsieur pouvait servir à cette prise de conscience, cela serait une consolation pour ses descendants.

Jean-Jacques Friboulet | 11.10.2017

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