Lampedusa: l’accueil contre l'indifférence et l'égoïsme

Lampedusa, petite île de 20km2 et peuplée de moins de six mille habitants est devenue ces dernières années le symbole d’une crise migratoire et humanitaire sans précédents. L’ancienne maire, Giusi Nicolini a fait le choix de suivre l’exhortation du pape François en étant un «artisan de paix».

Giusi Nicolini, ancienne maire de Lampedusa, était, le 13 octobre 2017, l’invitée de l’Université de Genève à l’occasion de la Semaine des droits humains. Elle a exposé devant un auditoire bondé, son combat pour la vie et le droit à la dignité. Lors d’un entretien avec cath.ch en marge de la conférence, elle a évoqué combien la visite du pape avait marqué son mandat et les Lampedusani.

Lampedusa est une minuscule île au centre de la Méditerranée. Ce pont entre l’Afrique et l’Europe n’est pas devenu l’épicentre de la crise du jour au lendemain. Cela faisait déjà plus de 20 ans que les insulaires accomplissaient «leur devoir d’accueil». Dans l’indifférence totale, que la visite du pape François en juillet 2013 est venue rompre. «Le pape est venu pour remercier les habitants de Lampedusa qui ont considéré l’aide et le soutien aux naufragés comme un devoir». Malgré la mauvaise image véhiculée par les migrants, les insulaires ont ressenti de la fierté. Grâce au pape, ils ont compris que le sens de l’accueil était une valeur. «La visite du pape a eu un impact extraordinaire, très beau. Il a fait connaître Lampedusa au monde entier. L’île n’était plus uniquement connue pour ses débarquements de migrants».

«L’expérience de mon île, c’est la mort»

Ces débarquements de migrants font la une des médias et s’accompagnent aussi de nombreux décès. Des morts injustes qui obligent à se ranger du côté de la vie. Le naufrage du 3 octobre 2013 a été un moment particulièrement difficile du mandat de Giusi Nicolini. Trois cent soixante six personnes ont trouvé la mort dans ce naufrage. «La récupération des corps a duré des jours et des jours, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cela ne s’arrêtait jamais. Il n’y avait plus de sacs pour envelopper les corps et je ne savais même plus où les enterrer». Cette tragédie largement médiatisée n’a «rien changé», affirme Giusi Nicolini sur un ton dépité. L’ancienne maire désirait que ces morts soient montrés à la face du monde afin que d’autres Etats leur viennent en aide. Malgré l’émotion suscitée par ce naufrage, «l’égoïsme de la grande Europe est resté à son comble», en n’accueillant qu’un nombre restreint de migrants et en se repliant sur elle-même.

«La récupération des corps a duré des jours et des jours, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.»

«Le secret pour endurer tout cela, c’est la vie»

Pour Giusi Nicolini, toutes ces tragédies poussent à se ranger du côté de la vie. Critiquée de toutes parts lorsqu’elle espérait que les migrants allaient débarquer en vie, elle ne lâche pas son combat. Bien au contraire, des enfants naissent dans les bras des garde-côtes. Ils transmettent courage et espoir et sont la preuve que tout ça a valu la peine : «Grâce à mon île, près de trois-cent milles personnes ont pu être sauvées».

Le pape François avait qualifié Lampedusa de «phare au milieu de la Méditerranée». Pour l’ancienne maire, cette métaphore n’est pas incompatible avec le bien-être de la population locale. Bien au contraire, le tourisme en berne jusque là a augmenté de trente-six pourcent durant cette période. Giusi Nicolini ajoute même «que la beauté et la richesse d’un endroit repose aussi sur son humanité». Ces processus migratoires qui existent depuis des millénaires, «ne vont pas cesser, mais plutôt s’amplifier». La crise des migrants illustre bien le destin qui nous rassemble tous, maintenant «à chacun de chercher comment partager cette responsabilité», enjoint Giusi Nicolini.

Des paroles qui font écho à l’homélie du pape François lors de sa visite à Lampedusa, sur le manque de responsabilité, la globalisation de l’indifférence et l’anesthésie du cœur. L’engagement de Mme Nicolini lui a très certainement coûté sa réélection en tant que maire. Une élection qu’elle considère cependant bien moins importante que la bataille contre l’indifférence et l’égoïsme. (cath.ch/myb/mp)

 

Maurice Page

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