La réforme de Luther: s’engager et rester critique

Le 31 octobre 1517, selon un des mythes fondateurs de la Réforme (*), Martin Luther affichait ses 95 thèses sur les portes de la chapelle de Wittemberg afin d’ouvrir une controverse sur le bien-fondé du commerce des «indulgences».

500 ans plus tard, le Frère dominicain Guido Vergauwen a développé le 14 octobre à la Paroisse Saint-Paul, à Genève, les raisons de la révolte et de la réforme protestante.

«De qui est-ce que nous parlons vraiment ? De Luther, le moine du Moyen-âge très pieux et angoissé ? Ou plutôt de Luther, le théologien, rebelle et critique en son temps ?», lance Guido Vergauwen, Prieur de la Province suisse des frères Prêcheurs (Dominicains), en ouverture de sa conférence.

Le professeur de théologie fondamentale et ancien recteur de l’Université de Fribourg a conduit une petite assemblée d’auditeurs sur les traces de la révolte de Luther, samedi soir à la Paroisse Saint-Paul.

Martin le libre

Le thème de la liberté habite toute la théologie de Luther, en allant jusqu’à imprégner l’identité même du réformateur. Portant le nom de Luder avant la Réforme, il le transforme en Luther. D’un patronyme à la signification très péjorative en allemand, il lui préférera Martinus Eleutherios, «Martin le libre».

Le théologien comprend que l’être humain ne peut être vraiment libre que lorsque Dieu lui donne sa grâce. Cette question fondamentale conduira par la suite toute la réflexion de Luther, ajoute le conférencier.

Dieu aime l’Homme

En effet, pour le réformateur, la liberté n’est donnée à l’être humain qu’en acceptant ce Dieu qui nous accepte tels que nous sommes. Cette présence divine doit radicalement déterminer notre vie et pousser au changement. Dieu aime l’Homme et lui vient en aide par pure grâce. Selon Luther, l’Eglise de son temps n’avait pas saisi cela.

Le dominicain précise que «le prédicateur aimait la dispute théologique» et qu’il attaque très fortement les scolastiques, disciples de Saint Thomas d’Aquin, car ils ne savent pas interpréter correctement la Bible. Le réformateur veut être un homme libre, mais pas n’importe comment. L’étude et la compréhension des Saintes Ecritures étaient déterminantes pour Luther qui les commente «encore et encore», ajoute Guido Vergauwen.

«Chacun doit avoir la tête dans la Bible»

«Luther avait une relation très personnelle avec la Bible», avance l’ancien recteur. Le réformateur considère les Ecritures comme une présence vivante, qui se déploie dans la vie du chrétien. Il ajoute que Luther se devait de «lire et réfléchir la Bible mots par mots», en affirmant que «chaque chrétien devrait lire la Bible comme si elle fut écrite uniquement pour lui».

Le conférencier interroge, «cherchons-nous cette rencontre vivante avec le Seigneur pour nous laisser changer par sa parole vivante ?» Cette inlassable recherche menée par Luther pour repenser la compréhension de la Bible a aussi conduit à développer une nouvelle théologie.

Une position au départ «très catholique»

Mais cette doctrine du Dieu miséricordieux qui rend juste et pardonne est «l’essentiel même de la bonne théologie catholique», selon Guido Vergauwen. Il ajoute que le désaccord sur la justification n’est pas fondé et qu’ «il n’y avait donc pas lieu d’instituer une nouvelle Eglise». Il ajoute que la position de Luther sur les sacrements était au départ «très catholique», puis qu’elle a progressivement évolué.

Luther «délie» progressivement l’unité entre parole et signe pour donner la préséance à la parole. Le sacrement disparaît pour ne laisser place qu’à la prédication. Guido Vergauwen explique en outre que Luther reste «passablement catholique concernant la Cène».

Refus de la transsubstantiation

Le réformateur insiste sur la présence réelle du Christ dans l’eucharistie tout en refusant la transsubstantiation. Il a explicitement rejeté cette dernière en affirmant toutefois que le pain et le vin sont vraiment le corps et le sang du Christ.

Pour Guido Vergauwen, Luther a «sans doute été une réponse à son temps – mais il est allé son chemin, en opposition à l’Eglise catholique et à son autorité d’interprétation de l’Ecriture et de la gestion des sacrements. Le point crucial est devenu dès lors la question de l’Eglise et de sa sacramentalité».

«Luther, un homme sur le seuil»

Entre deux époques, Luther a sans aucun doute été marqué par les intérêts politiques de son temps et le territorialisme naissant en opposition au Saint-Empire romain germanique et à l’universalité de l’Eglise catholique romaine. Il a partagé les stéréotypes et les préjugés de son époque, vis-à-vis des juifs, de l’islam, du rôle de la femme. «Il a vécu dans une société où la religion était omniprésente et dominante, dans ses excès populaires et dans sa sainteté, mais aussi la fragilité de ses représentants officiels», note Guido Vergauwen.

Luther témoigne d’une forte expérience de foi, il insiste sur l’individualité de chaque croyant. C’est pourquoi, selon l’ancien recteur, «il est important de lire les écrits de Luther afin de découvrir la force spirituelle qu’il a puisée de sa lecture assidue de la Bible, des Pères de l’Eglise, des écrits mystiques, entre autres de Bernard de Clairvaux et de la mystique rhénane».

Il reste pourtant très difficile de parler de Luther «sans trahir sa personnalité théologique. C’est une théologie riche, issue d’une forte expérience croyante, mais qui laisse beaucoup de questions ouvertes pour le dialogue œcuménique aujourd’hui», conclut le Frère Vergauwen. (cath.ch/myb/be)


(*) Voir à ce propos: Uwe Wolff, ISERLOH. Der Thesenanschlag fand nicht statt (STUDIA OECUMENICA FRIBURGENSIA 61) – Institut d’études œcuméniques de l’Université de Fribourg, Friedrich Reinhardt Verlag, Bâle 2013. Selon Iserloh, les 95 thèses de Luther sur le trafic des indulgences n’avaient pas été placardées sur la porte de l’église de Wittemberg le 31 octobre 1517, comme le veut la tradition. Le moine augustin aurait en fait d’abord cherché à provoquer une réaction pastorale des évêques allemands face au scandale des indulgences; ces derniers n’auraient pas bougé, précipitant ainsi la déchirure de la Réforme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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