«Le travail m'éclate!»: Forum œcuménique romand du Monde du travail

«Le travail m’éclate!» Le slogan choisi pour le Forum œcuménique romand du Monde du travail, qui se tient le 18 novembre 2017 à Lausanne, entretient l’ambiguïté. «Je peux trouver du plaisir et de l’épanouissement dans mon travail, mais il peut aussi me faire exploser dans toutes les directions», explique Jean-Claude Huot.

L’animateur de la Pastorale du travail de l’Eglise catholique pour le canton de Vaud, accompagné de Jean-Louis Crétin, qui exerce la même fonction pour le Jura Pastoral, revient sur les enjeux de l’évolution actuel du travail.

La Pastorale du Monde du travail (PMT) a pour but de promouvoir une «culture de la solidarité». Elle s’engage dans la proposition de la foi, invite à la conscientisation, permet aux personnes de devenir sujets et acteurs de leur histoire, rappelle Jean-Claude Huot. Elle chemine avec les groupes PMT existants et accompagne les personnes avec ou sans travail. Elle développe des suivis personnalisés.

Cath.ch: Le sous-titre du Forum œcuménique romand du monde du travail pose la question: «choix réels ou contraints?»

Jean-Claude Huot (JCH): Je constate que les demandes les plus récurrentes tournent autour de la relation humaine. Comment suis-je reconnu, respecté dans mon travail? Quelle est ma relation avec mes collègues ou mes responsables? Les tensions apparaissent rapidement parce que la pression pour la productivité et le contrôle augmentent. Même dans les métiers relationnels comme l’éducation ou la santé, l’espace de la relation se réduit.

Jean-Louis Crétin (JLC): Il s’agit d’abord de libérer la parole face aux difficultés au travail. Le faire en groupe permet de remettre les gens debout. Pouvoir exprimer ses problèmes, mais aussi ses joies est important. Tout le monde est touché par le monde du travail, y compris celui qui n’en a pas.

Les révolutions informatiques et technologiques devraient a priori rendre le travail plus facile et plus intéressant?
JCH: Parfois la machine remplace un travail répétitif, mais souvent elle est un outil de contrôle. On voit alors le volume de travail augmenter. J’accompagne une personne active depuis dix ans dans une entreprise. Au fil des changements de direction et d’organisation, on lui donne toujours plus de travail. En fin de compte, elle n’y arrive plus et perd sa confiance en elle. S’ensuit un avertissement avec peut-être au bout un licenciement. Cela pose la problématique de la place de l’humain dans l’organisation du travail. Comment réagir aux contraintes liées au monde économique, à l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle, au fait d’être homme ou femme? Comment ne pas se laisser enfermer?

«Je rencontre assez souvent des patrons qui me disent leur hantise de devoir licencier»

JLC: Je vois une fracture grandissante entre ceux qui ont un travail qui fait sens, qui les nourrit, qui les épanouit et ceux qui restent en marge, qui ne voient pas de sens à ce qu’ils font. C’est la porte ouverte à la dépression ou au burn-out.

JCH: Dans des secteurs comme celui de la santé, la contradiction entre le sens de son activité et la réalité devient toujours plus forte. Dieu sait si le métier d’infirmière fait sens, mais lorsqu’on ne peut plus faire correctement le travail pour lequel on est payé, la contradiction est très difficile à vivre.

La pression pour l’augmentation de l’efficacité et de la productivité s’exerce partout.

JLC. Mon expérience dans le Jura et le Jura bernois me fait recontrer surtout des petites entreprises dans lesquelles une relation directe existe entre l’employé et son patron. L’ouvrier a un vis-à-vis avec qui il peut discuter. Dans de petites structures, le patron se rend peut être aussi mieux compte que la qualité de vie de ses employés est dans son intérêt. Je rencontre assez souvent des patrons qui me disent leur hantise de devoir licencier. Ce qui ne veut pas dire que la pression pour augmenter la productivité n’existe pas, mais une certaine solidarité subsiste. Nous avons ouvert dans le Jura une permanence dans un bistrot pour permettre de rencontrer les ouvriers, les patrons et leurs familles, ou encore des retraités.

JCH: Les entreprises s’interrogent sur la problématique de l’humain face à la technologie. Mais en fin de compte, la productivité et le profit l’emportent le plus souvent. Une personne active dans les bio-techs me disait l’ambiance délétère qui y règne avec la course aux résultats. Dans sa réflexion, le pape Jean Paul II avait fait la distinction entre nature objective du travail et son aspect subjectif. Un travail peut être objectivement très intéressant, par exemple dans la recherche, mais sans sa dimension subjective de respect et de dignité, il ne peut que provoquer une souffrance.

Entre jobs temporaires et travail à temps partiel, le monde du travail est toujours plus précaire.
JLC:
Une de nos préoccupations est celle des «woorking poors» (travailleurs pauvres) dont le salaire est insuffisant pour vivre décemment, ou des personnes obligées de cumuler plusieurs emplois pour s’en sortir. Les femmes qui élèvent seules leurs enfants sont souvent à cet égard les plus vulnérables.

«Une fois payées toutes mes charges fixes, il ne me reste que 300 francs pour vivre»

JCH: Une personne me disait: «Une fois payées toutes mes charges fixes, il ne me reste que 300 francs pour vivre durant un mois.» Cette personne a trois jobs à temps partiel. Les agences de placements dans le domaine de la santé ou du nettoyage fonctionnent beaucoup sur ce système. Un travail sur appel, en fonction des missions, qui ne permet pas aux employés d’améliorer leur situation. Par exemple pour le nettoyage des bureaux cinq soirs par semaine entre 18h et 21 h. Comment une mère de famille peut-elle faire? Avec cet horaire de 15h par semaine, il lui sera en outre très difficile de prendre un autre emploi pour compléter son revenu.

Peut-on dès lors parler d’exploitation?
JCH : Effectivement, on ne peut pas appeler cela autrement que de l’exploitation. Elle touche aussi beaucoup les migrants titulaires d’un permis ou non. Avec 12 ou 15 heures par semaine, un ressortissant de l’Union européenne ne peut pas obtenir de permis B. A mon sens, il y a là un vrai problème systémique que l’on constate aussi dans le domaine de la construction. On emploie les gens deux ou trois mois, soit un temps suffisamment court pour qu’ils ne puissent pas obtenir un permis de séjour.

JLC: A cet aspect du travail s’ajoute celui de l’intégration sociale qui concerne l’ensemble de la famille. Il est très difficile de savoir combien de personnes vivent dans cette clandestinité ou semi-clandestinité, sans liens sociaux.

Face à ces situations quel est le rôle de l’Eglise?
JCH: Il est très important que l’Eglise soit présente dans cet espace. Mais les forces de la Pastorale du monde du travail restent très limitées.  (20% coordination romande, VD 50% catholique + 50% protestant; Jura pastoral 30%, Fribourg, 20%, Genève 60% rien à Neuchâtel ni en Valais). Nous ne sommes pas chrétiens juste le dimanche, mais toute la semaine. L’invitation du pape François à aller vers les périphéries, vers les marges, est essentielle. Pour ses deux premiers voyages en 2013, à Lampedusa puis en Sardaigne, il a rencontré d’abord les migrants puis les jeunes sans emploi.

«Nous ne sommes pas chrétiens juste le dimanche, mais toute la semaine»

Cette exigence reprend les premiers mots de la déclaration du Concile Vatican II Gaudium et spes: «Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ».

L’Eglise dont les forces s’amenuisent, en Occident au moins, n’a-t-elle pas tendance à vouloir se limiter à l’administration des sacrements et à la catéchèse?
JCH: L’Eglise a encore beaucoup de vitalité et fait de belles choses. La catéchèse et la liturgie sont essentielles, mais sans lien avec la réalité sociale, elles n’ont pas de sens. Quand on célèbre l’eucharistie, on offre le pain et le vin «fruits de la terre et du travail des hommes«. Si nous ne sommes pas à l’écoute du monde du travail, quel sens a la messe? Si la porte n’est pas ouverte aux préoccupations de la vie quotidienne et aux soucis des familles qui demandent un sacrement, nous sommes à côté de la plaque.

JLC: Beaucoup de personnes que je rencontre sont intéressées de savoir que l’Eglise se soucie de ces questions. Nous pouvons apporter l’écoute et la gratuité qui manquent souvent dans le monde du travail. Je suis très heureux de pouvoir accompagner les gens et de leur permettre de déposer leurs souffrances, mais aussi leurs joies.

La révolution numérique nous promet des changements profonds dans le monde du travail. Comment les abordez-vous?
JLC:
La réflexion sur l’avenir du travail est plutôt la tâche de la plateforme Dignité et Développement mise en place par le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. Il y a des enjeux humains énormes que l’Eglise ne peut ignorer. Je n’ai pas forcément peur, mais je pense qu’il faut néanmoins s’y préparer. Que faire avec toutes les personnes qui risquent d’être mises en marge?

JCH: On parle beaucoup de formation. Très bien, mais tous n’ont pas les capacités pour être ingénieurs. Nous devons offrir un espace de travail aussi pour ces personnes-là. Pouvoir contribuer au bien commun par son travail fait partie de la dignité humaine.

«Il faut trouver de nouveaux modes de solidarité»

Un autre aspect est le vieillissement de la population. Le travail des soins sera toujours plus important, mais il reste largement sous-payé et son financement n’est pas assuré. Il faut donc trouver de nouveaux modes de solidarité. Certains parlent de taxer les robots, d’autres les flux financiers, d’autres l’énergie et l’utilisation des ressources naturelles. Aujourd’hui, l’essentiel du financement de l’Etat et des assurances sociales repose sur la taxation des revenus du travail. A l’avenir, il faudra trouver un nouvel équilibrage.

JLC: Un petit exemple concret est celui de la disparition progressive de l’usage de l’argent liquide dans la vie courante. Ce changement a des effets sociaux indéniables. Il risque de marginaliser les personnes qui n’ont pas accès aux moyens de payement électroniques. (cath.ch/mp)

Maurice Page

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