Hâte-toi lentement – Festina lente

La Cop 23 vient de s’achever à Bonn sur un double sentiment d’urgence et d’impuissance. Il y a urgence parce qu’un certain nombre d’événements semblent pré-programmés à l’échéance des prochaines décennies. Ils découleraient du jeu des «lois de la nature» – pour autant que la science contemporaine ait su les déchiffrer. Il y a impuissance, parce que l’humanité préfère aux prédictions écologiques – et au projet de frugalité qui va avec!–, la jouissance insouciante de «l’après-nous le Déluge».

«Il est urgent de ralentir la marche pour regarder la réalité d’une autre manière.»

Ainsi s’affrontent deux manières d’appréhender le temps: le moment présent propre à nos existences, et l’après-demain, qu’aucun d’entre nous ne veut ni ne peut imaginer. Le temps court et concret de nos vies – notre temps – se trouve aujourd’hui en tension, pour ne pas dire en conflit, avec le temps long et abstrait des générations futures. Les temporalités se rencontrent dans le moment présent mais ne coïncident pas pour autant. L’expérience de ces tensions rarement synchrones relève du quotidien. Plus la connaissance et la maîtrise augmentent, plus augmente aussi la capacité – et peut-être la tentation – de se projeter dans l’avenir et de le prendre pour acquis: celui du trafic aérien et des rendez-vous pris des mois à l’avance, celui des retraites touchées au bout d’un demi-siècle de cotisation et des crédits hypothécaires à l’horizon de 20 ou 30 ans…

La Plateforme Dignité et Développement, un groupe de réflexion et de propositions à la lumière de l’enseignement social chrétien en Suisse romande, vient de consacrer son deuxième atelier à cette problématique: comment s’en sortir avec des temporalités multiples sans perdre pied? Comment le chrétien est-il appelé à chercher le moment adéquat pour poser un choix? La tension entre le chronos (le temps habituel) et le kairos (le moment opportun) est bien connue des théologiens et des philosophes. Mais elle est si difficile à mettre en pratique: il en va du kairos du geste quotidien posé pour éviter la catastrophe écologique, à celui de l’artiste saisi par une inspiration soudaine, jusqu’aux préoccupations du manager qui guette le temps juste où les choses deviennent mûres pour prendre la bonne décision. Un atelier n’a pas vocation à tout trancher ni à fournir des réponses clés en main. Il s’agit avant tout d’un lieu et d’un temps de partage, donc d’enrichissement réciproque et de travail en commun.

Le pape François, dans Evangelii Gaudium (n° 223) donne la priorité au temps nécessaire pour initier des dynamiques nouvelles dans la société, plutôt qu’aux espaces de pouvoir du court-terme. Ainsi cherche-t-il à nous propulser dans une perspective eschatologique où chaque moment présent devient, déjà pour ici-bas, comme un éclat d’éternité. En effet, essayer de voir plus loin que l’impitoyable chronos passe pour une forte prise de conscience éthique. Pour ne pas succomber au chronos déshumanisant – et sans pour autant le rejeter – il redevient indispensable de mieux tenir compte des temporalités propres à l’homme et à la nature. Pour continuer plus sereinement, il importe aussi d’éviter la paralysie de la peur et de l’impuissance. Ou comme le dit François dans Laudato Sí (n°114): il est urgent de ralentir la marche pour regarder la réalité d’une autre manière, recueillir les avancées positives et durables, et en même temps récupérer les valeurs et les grandes finalités qui ont été détruites par une frénésie mégalomane». Sous cet angle, chaque moment devient dès lors porteur d’espérance. C’est à nous d’en faire un mini-kairos, un éclat d’éternité et de fécondité pour l’avenir.

Paul Dembinski & Pascal Ortelli | 21.11.2017

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