Mohamed Shahrour: pour une réforme radicale de l'islam

«L’islam est parti d’Arabie, le salafisme aussi… La réforme urgente et radicale de l’islam doit maintenant partir d’Arabie, Si elle part de là, elle se répandra très vite !», confie l’ingénieur Mohamed Shahrour, natif de Damas. Cath.ch a rencontré ce représentant de l’islam libéral, qui vit à Abou Dhabi, lors de son passage à Genève le 22 novembre 2017.

Fort de sa rationalité scientifique, Mohamed Shahrour, exégète contemporain du Coran, se réjouit de ne pas être un théologien. , ce qui lui permet de réfléchir sans tabou, depuis 50 ans, à une relecture des fondements de l’islam. Et de débarrasser sa religion des scories de la dogmatique juridique codifiée deux cents ans après la naissance du prophète Mohamed (Mahomet, La Mecque vers 570, Médine en 632, ndlr) par l’imam Al-Chafii (767-820) et ses disciples.

Un ingénieur s’intéresse au Coran

Mohamed Shahrour, 79 ans, spécialiste de la mécanique des sols formé en URSS et à Dublin, ancien professeur à l’Université de Damas,  a commencé s’intéresser au le Coran et aux fondements de l’islam après son retour de Moscou. Ce penseur original, issu d’une famille sunnite damascène, est célèbre dans le monde arabe, où certains de ses livres se sont vendus à des centaines de milliers d’exemplaires.

Il s’est fait connaître surtout après la parution à Damas en 1990 de son ouvrage Al-Kitab wal Qur’an, «Le Livre et le Coran, une lecture contemporaine». Sa réinterprétation radicale du Coran lui vaudra une mise à l’index dans certains pays musulmans, notamment en Arabie Saoudite, et certains théologiens de l’Université Al-Azhar, au Caire, «une université très conservatrice», l’ont déclaré apostat.

Chez les arabo-musulmans, un problème de mentalité

«Le problème des pays arabo-musulmans vient de la mentalité dominante dans le peuple. Tous refusent le pluralisme, les partis islamiques, les nationalistes arabes ou les communistes. Tous refusent l’opposition. Leur vision, c’est soit la califat, pour les islamistes, soit le modèle de la Corée du Nord», lance Mohamed Shahrour. Pour lui, les chrétiens du Moyen-Orient ont d’ailleurs la même façon de voir les choses: «Nous n’aimons pas l’esprit critique et le pluralisme des idées, et c’est cela qui nous laisse en arrière et empêche le développement!»

Alors qu’il était assistant à l’Université de Damas, et que la Syrie venait d’être vaincue par les Israéliens lors de la Guerre des Six Jours, il a pu mesurer ce qui était à la source du problème: à la mosquée, l’imam expliquait la défaite par le fait que les femmes ne portaient pas le voile et que l’on abandonnait la religion! D’un autre côté, il y avait des communistes qui disaient qu’il y avait justement trop de religion: les soldats n’avaient pas la force de se battre parce qu’ils pratiquaient le jeûne du ramadan…

Absence de pensée critique

«J’ai alors réalisé que l’on avait un gros problème de rationalité, les uns voulant copier le modèle soviétique d’alors, les autres retourner à l’islam du VIIe siècle», déplore-t-il. L’absence de pensée critique fait que l’on copie des modèles anciens ou extérieurs à la réalité contemporaine. «C’est ce qui crée le retard dans le monde arabo-musulman, plus d’un millénaire de stagnation!»

Mohamed Shahrour regrette les tentatives séculaires d’étouffer la pensée critique dans le monde musulman, notamment le fait que toute exégèse ait été interdite dès le XIe siècle, lorsque la porte fut définitivement fermée à l’effort de recherche, appelé l’ijtihad. Ceux qui pensent différemment du courant dominant sont immédiatement qualifiés d’hérétiques ou d’apostats.

Hérétiques ou apostats

«Notre mentalité fonctionne sur le mode binaire, à savoir l’autorisé et le pur (halal) et l’interdit et l’impur (haram), licite ou illicite. Ainsi, la télévision peut être déclarée halal ou haram, mais on se dispense de savoir comment elle fonctionne… Ma pensée mathématique m’a aidé à réfléchir différemment, je voulais comprendre pourquoi nos sociétés étaient aussi arriérées…»

Son dernier ouvrage en anglais «Islam and Humanity" devrait paraître en français en mars prochain avec le soutien de l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris, qui s’est chargé de trouver un éditeur. «J’ai envoyé mon dernier livre au prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane Al Saoud, MBS, en souhaitant qu’il mène à bien les réformes entreprises. Là aussi, les choses changent: j’ai été invité, lors du dernier ramadan, à une émission de télévision sur une chaîne saoudienne basée à Abou Dhabi. Mon œuvre a reçu un accueil très positif à Abou Dhabi, où j’ai reçu le ‘Prix Cheikh Zayed’. Je n’ai pas le même accueil du côté des wahhabites ou d’Al-Azhar: j’ai eu des débats avec des azharis, mais c’était stérile au niveau intellectuel!»

Le Coran relégué au second plan

Dans son combat intellectuel, Mohamed Shahrour veut retourner directement au texte du Coran, relégué au second plan par l’école chaféite (de l’imam Al-Chafii, VIIIe-IXe siècle). C’est elle qui instauré en référence absolue la biographie du Prophète et le recueil des hadiths, soit l’ensemble des traditions relatives aux actes et aux paroles de Mohamed et de ses compagnons. Le chercheur syrien veut restaurer la primauté du Coran, «qui n’attribue pas à la religion le pouvoir de régir toute la société, tous les aspects de la vie», alors que les hadiths ont été sacralisés. Pour lui, le droit musulman est une production tout à fait humaine «et le plus souvent ne correspond pas à ce que l’on trouve dans le texte coranique».

Rejetant tout autant Al-Azhar que les salafistes et les Frères musulmans, Mohamed Shahrour, en contradiction avec l’establishment religieux, veut «remettre le Coran au centre». Il veut  débarrasser l’islam de ce qui relève des contingences culturelles et historiques, pour revenir aux principes universels, car pour lui, «la liberté de choix des croyants a été oblitérée par les clercs». (cath.ch/be)


«Le Martin Luther de l’islam»

Partisan d’un islam libéral, surnommé parfois «le Martin Luther de l’islam», Mohamed Shahrour était de passage à Genève le 22 novembre 2017. Invité par Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation de l’Entre-Connaissance, le pasteur William McComish, ancien doyen de la cathédrale St-Pierre, et Ventzeslav Sabev, vice-président de l’Appel Spirituel de Genève, l’ingénieur syrien est venu dans la Cité de Calvin «en tant que penseur, pas en tant que missionnaire ou prédicateur».

Le 500e anniversaire de la Réforme, ont souligné les organisateurs, a rappelé au monde la contribution séculaire de Genève dans la promotion des Droits humains, des libertés religieuses et la laïcité. C’est dans ce cadre qu’ils invitent des penseurs de renommée internationale qui trouvent dans cette ville «un espace unique pour un dialogue indépendant et apolitique autour des principes qui unissent les grandes religions». JB


Le texte coranique peut être interprété

Présent à Genève, et traduisant les propos de Mohamed Shahrour, Makram Abbès,  professeur de philosophie politique à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, affirme que les idées exprimées par le penseur syrien «renouvellent le champ de la théologie islamique et montrent notamment que le texte coranique peut être interprété, lu et compris de l’intérieur même de ses versets et sans faire appel à d’autres littératures secondaires qui ne sont que le produit de l’histoire et qui vont forcément hypothéquer le sens originel du texte et nous induire en erreur, car aujourd’hui la littérature de la Sunna a tendance à l’emporter sur le texte coranique lui-même, à conditionner et emprisonner sa compréhension». JB

 

 

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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