Décès d'Henri Burin des Roziers, défenseur des petits paysans au Brésil

Frère dominicain français et avocat de la Commission pastorale de la terre (CPT) au Brésil pendant plus de 30 ans, Henri Burin des Roziers est mort le 26 novembre 2017 à Paris à l’âge de 87 ans. Il n’aura cessé, en tant qu’avocat, de défendre les droits des paysans sans terre et de lutter contre le travail esclave, malgré les menaces de mort qui ont souvent pesé sur lui.

Henri Burin des Roziers est né le 18 février 1930 dans une famille de la haute bourgeoisie catholique, traditionnelle et croyante. Ses parents ont opté, lors de la Deuxième guerre mondiale, pour la France libre. Il en avait gardé «une valeur qui m’a accompagné tout au long de ma vie: la résistance et le droit d’un peuple à son autonomie». Des sentiments qu’il a ressenti avec plus de force encore lorsque, entre 1954 et 1956, il a été appelé sous les drapeaux au Maroc, en Tunisie, puis en Algérie, au moment de l’insurrection. «J’y ai découvert alors la tragédie de la guerre et la lutte d’un peuple pour sa liberté et pour son indépendance. Cela m’a amené à me questionner sur mon option de vie». Lui qui avait envisagé d’étudier le droit pour enseigner, le monde académique lui paraissait désormais dénué de sens.

Premier contact avec les dominicains

De son propre aveu, Henri Burin des Roziers ne se souvenait clairement pas de sa première rencontre avec la foi. Enfant et même adolescent, il ne lisait pas beaucoup la Bible et n’était pas un fervent pratiquant. En revanche, il a toujours gardé un souvenir très marquant de ses visites chez les familles pauvres de la région parisienne qu’il a commencé à faire, à la fin de ses études secondaires, dans le cadre de groupes de chrétiens. La guerre venait de se terminer. Au contact de ces personnes, il admettait avoir senti que «l’élan de solidarité qui me portait était profondément ancré en moi. C’était quelque chose qui touchait ma foi».

A son retour d’Algérie, en 1956, Henri Burin des Roziers a rencontré quelques dominicains à Paris et commencé à penser à la vie religieuse. Il a obtenu une bourse d’études pour aller faire son doctorat de droit à Cambridge, qu’il a décroché en 1957. Là-bas, il y a rencontré le Père Congar, un brillant théologien dominicain, condamné à l’époque au silence par le pape Pie XII pour ses prises de position progressistes, mais qui sera ensuite l’un des principaux inspirateurs du Concile Vatican II. «Il m’a aidé à comprendre ma vocation, expliquait Henri Burin des Roziers. Il avait une foi très profonde, une grande ouverture d’esprit et surtout une grande liberté à l’égard de l’institution». Après avoir obtenu son doctorat en droit, Henri Burin des Roziers est revenu à Paris. Sa décision était prise: «j’allais entrer chez les dominicains. Mes parents ont été stupéfaits, mais ils ont accepté».

Aux côtés des travailleurs émigrés

Entré chez les dominicains au couvent de Lille en 1958, ordonné prêtre le 7 juillet 1963, il a été, jusqu’à fin 1968, aumônier des étudiants de droit, rue Gay-Lussac, en compagnie de son ami Jean Raguenes, un autre frère dominicain. En cette époque de conflit social, c’était le seul centre ouvert pendant les mouvements étudiants de mai 68. Là encore, Frère Henri Burin des Roziers s’interrogeait sur la distance entre le monde religieux et la vie réelle, celle du monde du travail. C’est la raison pour laquelle il est parti travailler dans l’est de la France, comme chauffeur routier. En 1970, il est devenu employé à la Direction des affaires sanitaires et sociales d’Annecy. Là, il s’est senti révolté par le traitement réservé aux clochards ou aux travailleurs saisonniers. Entre 1973 et 1978, il a travaillé également dans plusieurs entreprises métallurgiques du sud de la France, aux côtés de travailleurs immigrés exploités et victimes de racisme. Il a également fait la connaissance de Frère Tito Alencar de Lima, un Frère dominicain brésilien réfugié en France dès le début de la dictature au Brésil en 1964. Ce religieux, qui avait été torturé dans son pays, est mort en France en 1974. C’est à la suite des longues conversations qu’il avait eu avec Frère Tito, que Frère Henri avait demandé à ses supérieurs de partir au Brésil.

Le «choc» du Brésil

Là-bas, Henri Burin des Roziers a vécu un choc. «J’ai été profondément marqué par la situation socio-économique, politique et religieuse que j’ai découverte en arrivant dans ce pays», expliquait il. Dans le ‘Bec du Perroquet’, une région du sud de l’Amazonie où il a été envoyé par la Commission pastorale de la terre (CPT) pour y travailler, Frère Henri réalise l’oppression féroce qu’exerçaient les plus puissants -grands propriétaires terriens, politiciens, policiers et représentants de la Justice- sur les plus démunis. «Des hommes et des femmes dont la vie valaient souvent moins que celle d’une tête de bétail, vitupérait il. Pourtant, ces pauvres, ces préférés de Dieu, luttent pour la dignité et la justice, face à un système qui les marginalisent, au point parfois de les éliminer physiquement».

Plusieurs fois menacé de mort

A l’origine, Frère Henri devait rester trois mois dans cette région de l’Amazonie. Il y est resté 33 ans. «Pendant toutes ces années, disait il, défendre les pauvres et lutter pour la reconnaissance de leurs droits a alimenté ma foi». Elle lui a valu aussi de nombreuses menaces de mort, notamment en 2000 lorsque, devenu avocat, il a réussi à faire condamner à 20 ans de prison le commanditaire du crime d’un leader syndical. Des menaces, il en a reçues également en 2005. Lorsque, cette même année, la religieuse américaine Dorothy Stang, qui était son amie, a été assassinée, il dû accepter, à contre cœur, une protection policière permanente. Ce qui ne l’a pas empêché de recevoir, en novembre 2007, de nouvelles menaces de mort.

Malade mais toujours actif

En 2013, malade, Frère Henri Burin des Roziers est rentré en France. Même à distance, il a continué à être très actif et à soutenir le travail et les actions de la CPT, créée en 1975, en pleine dictature, par l’aile progressiste de l’Eglise catholique brésilienne. L’organisation était largement inspirée par la théologie de la libération et ‘l’option prioritaire pour les pauvres ‘. Lutte pour la réforme agraire, rapports sur les conflits de la terre et le travail esclave, accompagnement juridique des paysans et leaders syndicaux… sa mobilisation a été toujours importante et ses domaines de travail ont été nombreux. S’il ne suivait plus personnellement les dossiers, Frère Henri restait néanmoins présent et n’hésitait pas, lorsque c’est nécessaire, à dénoncer une justice partiale.

 Bartolomé de las Casas, «sa» figure spirituelle

Dans les dernières années de sa vie, Frère Henri Burin des Roziers méditait beaucoup sur le parcours de Bartolomé de las Casas qui constituait pour lui «un exemple exceptionnel de conversion progressive, patiente, réfléchie, aux pauvres, aux sans droits de son époque, les indiens d’Amérique latine, esclaves des colons espagnols». Il méditait également chaque jour sur cette parole de Jésus : «Ce que vous faites à l’un de ces petits, c’est à moi que vous le faites». (Mt 25,31-46). (cath.ch/jcg/rz)

Raphaël Zbinden

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