Contre la fabrique des enfants, Jacques Testart défend les 'bébés du hasard'

Pour le professeur Jacques Testart, «père» du premier bébé-éprouvette français, en 1982, il est essentiel que les couples puissent continuer d’avoir des bébés du hasard. Face aux graves risques d’eugénisme, notamment avec la procréation médicalement assistée (PMA), la gestation pour autrui (GPA) et le diagnostic préimplantatoire (DPI), le scientifique met en garde contre les apprentis sorciers de la mystique trans-humaniste.

Invité de la 21e rencontre Dorothée et Nicolas de Flüe, le 2 décembre 2017 à St-Maurice, le professeur Testart a démontré avec la foi d’un scientifique athée l’évolution inquiétante des techniques concernant la reproduction humaine. «J’ai commencé en 1964 par m’occuper de l’insémination de vaches laitières afin de les rendre plus productives. On voulait alors des animaux compétitifs.» Cinquante ans après, de glissement en glissement, cette notion de compétitivité s’applique désormais à la ‘qualité du produit-enfant’, dénonce le professeur français. En l’absence de vraie réflexion éthique, on prétend ‘réparer’ les embryons voire augmenter leur résistance aux maladies ou même améliorer leurs capacités intellectuelles. De là à généraliser la fabrique de l’humain pour concevoir des individus conformes à un projet eugénique, il n’y a qu’un pas que beaucoup sont prêts à franchir. On en arriverait à des OGM humains, ou plutôt des HGM pour humains génétiquement modifiés.

Le refus des questions éthiques

Jusqu’à la naissance d’Amandine, le premier bébé-éprouvette français en 1982, Jacques Testart avoue que lui et son équipe ne s’étaient guère préoccupés de questions éthiques. Il s’agissait d’aider les couples infertiles à avoir des enfants. «J’étais un biologiste de terrain. Je n’avais aucun contact avec les sciences humaines.» Rapidement néanmoins, il se rend compte des dérives potentielles et publie, en 1986, L’oeuf transparent puis, en 1990, Le magasin des enfants. Deux titres évocateurs d’une intuition qui 30 ans plus tard s’est généralisée dans toute la société. Du désir d’enfant, on est passé au droit à l’enfant avec la procréation médicalement assistée (PMA), puis au droit à l’enfant pour tous, y compris les couples de même sexe, avec la gestation pour autrui (GPA) et enfin à la sélection des embryons avec le diagnostic préimplantatoire (DPI). Le problème n’est ni médical ni technique, mais bien sociétal. Et l’on s’interroge beaucoup trop peu sur ses enjeux.

«Il y a toujours un maquignon derrière le chercheur, dans la médecine comme dans l’élevage»

Au départ, le DPI a été conçu pour aider les parents porteurs de maladies génétiques graves à avoir des enfants sains, rappelle Jacques Testart. Moins invasif que le diagnostic prénatal conduisant à des interruptions volontaires de grossesse, il semblait souhaitable. Mais du dépistage de maladies génétiques graves, on est passé d’abord à la détection du handicap tel que la trisomie 21 puis aux prédispositions aux maladies comme le cancer, pour en arriver aujourd’hui au strabisme ou au choix du sexe de l’enfant. En 30 ans,  on est passé de l’interdit du tri des embryons  à l’acclimatation de ces technologies.

L’homme est ‘mal-foutu’

L’idéologie trans-humaniste en train de débarquer des Etats-Unis en Europe estime que l’homme est ‘mal foutu’ qu’il faut non seulement le réparer mais aussi l’améliorer. «J’ai entendu un trans humaniste juger intolérable que le vieillissement tue 80% de la population!» Plus que le rêve du cyborg de cinéma de science-fiction, la dérive eugénique est beaucoup plus dangereuse, relève Jacques Testart.

«Certains prédisent que tous les enfants seront conçus en laboratoire avant le milieu du siècle»

L’eugénisme a toujours existé dans toutes les sociétés. Il commence par l’infanticide de tous les bébés malformés à la naissance. Se poursuit par la stérilisation des personnes handicapées, le foeticide dans le sein de la mère par l’avortement et enfin dans le tri des embryons par le DPI. En trente ans, on a ainsi ouvert un marché international de l’enfant que l’on peut sélectionner selon le pedigree de la mère ou du père. «Il y a toujours un maquignon derrière le chercheur dans la médecine comme dans l’élevage». «Jeune étudiant et chercheur, j’étais un scientiste qui croyait que la science pourrait enchanter le monde. Je suis devenu un retraité critique de la science.»

L’inutile devenu obligatoire

3% des enfants naissent dans le monde occidental grâce à une assistance à la procréation et un tiers des fécondations in vitro concernent des couples non stériles, s’alarme Jacques Testart. Le chercheur dénonce la fascination de la technologie, la compétition entre les équipes de recherche et les souhaits des parents qui font que l’inutile devient souvent obligatoire et que des phénomènes aussi naturels que la ménopause ou le vieillissement sont considérés comme des maladies à combattre. D’où un nombre croissant d’usages illégitimes et une marchandisation inquiétante. «A la notion de couple et de parents, on risque rapidement de substituer celle de géniteurs agréés, exactement comme pour l’élevage bovin. Certains prédisent que tous les enfants seront conçus en laboratoire avant le milieu du siècle.» Ce qui ne manque pas d’effrayer le généticien pour qui le risque est grand de réduire ainsi la diversité gage de survie de l’espèce. «Va-t-on donner aux robots la dignité que l’on retire à l’humain? Avec une administration centralisée de la norme et une planification sanitaire?»

Seules des règles globales mondiales et un refus net du trans-humanisme permettraient de stopper les dérives. Mais Jacques Testart se dit conscient que son discours n’est plus audible. «On me répond: si les gens ont l’enfant qu’il souhaitent, cet enfant sera heureux. En quoi cela vous gêne-t-il?» Et le vieux chercheur de plaider pour une culture de l’humanisme contre l’idéologie des robots. (cath.ch/mp)


Jacques Testart: «Je suis un critique de science»

Jacques Testart, né en 1939 en Bretagne, est un biologiste français qui a permis la naissance du premier bébé-éprouvette en France, en 1982.

Biologiste de formation, docteur en sciences, directeur de recherche honoraire à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale); ex président de la Commission française du développement durable (CFDD) (1999-2003), Jacques Testart s’est consacré aux problèmes de procréation naturelle et artificielle chez l’animal et l’homme.

Il est l’auteur des premières «mères porteuses» chez les bovins en 1972 puis, avec son équipe biomédicale, des premiers succès en France de fécondation in vitro humaine (1982), de la congélation de l’embryon humain (1986), de la FIV avec injection du spermatozoïde (1994).

Jacques Testart a écrit de nombreux ouvrages de vulgarisation et de réflexion où il expose ses prises de position scientifiques et éthiques. Il se définit lui-même comme un critique de science, expliquant que «comme le critique d’art ou le critique littéraire, le critique de science, qui n’est absolument pas un ennemi des sciences, s’autorise à porter des jugements plutôt qu’applaudir religieusement toutes les productions de laboratoire». (cath.ch/mp)

Maurice Page

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