«A Noël, Dieu nous donne son Fils comme frère»

«A Noël, Dieu nous donne son Fils comme frère», rappelle l’abbé Bernard Miserez. Telle est l’incroyable révélation d’un Dieu qui veut faire de nous ses enfants. Le curé modérateur de l’Unité pastorale Notre Dame de la Compassion à Bulle, revient pour cath.ch sur le sens de la fête.

Cath.ch: La célébration de Noël, au cœur de l’hiver, si possible sous les flocons, est faite de sapins, de guirlandes, de bougies, de cadeaux. Mais comme le dit le pape François, sans Jésus, Noël est une fête vide…
Bernard Miserez: Je ne viens pas aux célébrations de Noël pour récupérer des bouts d’enfance, revivre des instants de nostalgie. L’enfant-Dieu de la crèche me donne rendez-vous avec le dernier des derniers. C’est le rassemblement de l’humanité. Il nous faut le courage de la vérité pour oser sortir de soi. Noël vient nous chercher dans nos résistances. Nous devons tellement paraître, être comme ceci, ou comme cela. Mais il s’agit d’être poreux à mes sœurs et à mes frères. Noël, c’est un don à recevoir pour me donner, c’est le sens du cadeau.

De ce point de vue, quelle est la signification profonde de Noël?
Noël est l’expression de l’humilité de Dieu qui nous associe à sa vie. Pour cela, il passe par le mystère de l’incarnation qui nous dit une chose essentielle: Dieu se fait homme pour que l’homme devienne Dieu, comme l’affirmaient déjà les Pères de l’Eglise. A Noël, se réalise le dessein du Père qui nous donne son Fils comme frère. Dieu se fait proche, il est l’Emmanuel ‘Dieu avec nous’.

Comment accueillir ce mystère?
La tradition des évangiles nous fait découvrir cette naissance dans un lieu étonnant, à l’écart, dans la nuit, loin des lumières de la bourgade de Bethléem, au milieu des bergers. Ce récit nous dit que la naissance de Dieu se passe en nous, dans ce que nous avons de plus fragile, dans cette part de nous-mêmes que nous tenons à distance, parfois que nous n’osons pas visiter parce qu’elle sent mauvais. Noël a lieu en toute femme et en tout homme, si nous laissons Dieu prendre corps dans nos faiblesses, nos pauvretés. C’est le lieu où l’homme est révélé, où il trouve sa véritable identité. Je dirais son destin. Dans l’incarnation, le destin de Dieu et le destin de l’homme ne font plus qu’un. L’incarnation est la mise en mouvement de mon existence, comme une naissance permanente de Dieu en moi.

Les récits de Noël évoquent tous la lumière.
Si nos nuits intérieures, nos ténèbres nous tiennent dans l’obscurité, Noël vient éclairer le mystère du mal, de la souffrance parce que Dieu s’y rend présent. A partir de Noël, la lumière va croître pour atteindre la plénitude à laquelle je suis appelé. Cette lumière, nous l’expérimentons quand nous osons nous risquer à la suite de Jésus. Dieu se risque vers l’homme et ce risque va lui coûter la vie. Jésus nous dit aussi: ‘vous êtes la lumière du monde’, pour que l’espérance ne s’éteigne pas, pour que l’amour soit sauvé.

Le prologue de l’évangile de Jean, lu à la messe du jour de Noël, parle du Verbe fait chair. Qu’est-ce que cela veut dire?
J’ai toujours gardé en mémoire le témoignage d’une rescapée d’Auschwitz. Réfugiée en France, elle se convertit et parallèlement apprend le français. La religieuse qui lui enseigne la catéchèse lui parle du ‘Verbe fait chair’. Elle ne comprend pas ce terme et pose la question à sa professeure de français. Qui lui répond: le verbe est ce qui donne son sens à la phrase, ce qui la met en mouvement. Ce jour-là elle a compris le rôle du Verbe de Dieu, expliquera-t-elle plus tard. Le Verbe est cette Parole incarnée et en même temps éternelle. Ce n’est pas une parole lointaine absente et vide, elle s’incarne dans un corps. Ce Dieu qui se fait enfant cette nuit-là. C’est une parole silencieuse ou peut-être un cri qui montre combien Dieu s’est dépossédé de lui-même.

«Savoir que Dieu est père nous délivre de la hantise de nous-mêmes.»

Le même texte de Jean dit «Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu.»
Ce prologue de l’évangile de Jean contient déjà tout le drame de Jésus, l’opposition à la lumière, à ce Messie qui désinstalle l’homme de ses certitudes, qui révèle une autre justice, qui accomplit la loi, qui dépasse tout légalisme. Comme le dit saint François d’Assise, ‘l’amour n’est pas aimé’. C’est vrai, certains ne l’ont pas reçu, mais lui s’est donné. Sans conditions. Le cœur du prologue de Jean est le verset 12 où il est dit: «Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu.» C’est l’incroyable révélation de Dieu qui veut faire de nous ses enfants.

Cet élan d’amour a souvent été traduit dans l’Eglise en commandements, en normes, en dogmes, en catalogue du permis et du défendu.
Nous avons une relation fausse avec l’éthique chrétienne qui n’est pas un moralisme qui tue la vie. L’éthique n’est rien d’autre que la vie du baptême. Elle est le fruit de l’Esprit Saint. Si on reste dans la peur, le regard tourné sur soi, le légalisme nous rassure, mais c’est un piège. C’est une façon de mesurer son être et son histoire, donc une forme d’orgueil. En accueillant l’enfant-Dieu de Noël, nous acquérons une liberté que personne d’autre ne peut nous donner. Savoir que Dieu est père et nous fait vivre sur la crête de l’amour, nous délivre de la hantise de nous-mêmes. Dans un monde où la paternité est malmenée, je comprends que l’on soit en crise avec ce fondement de la foi. Mais la foi qui ne conduit pas à la liberté n’est pas la foi en Jésus-Christ.

«Noël apporte une joie ‘imprenable'»

Cela nous amène beaucoup plus loin que l’image pieuse de la crèche et des bergers devenue banale…
Oui, nous voyons déjà le destin de Jésus. Né dans la pauvreté de la crèche, il mourra seul, crucifié entre deux bandits. Dieu prend le chemin des exclus. Sa mission va le conduire à la croix.

Noël est pourtant d’abord considéré comme la fête de la joie.
Justement, savoir que ma souffrance est le lieu où Dieu vient s’incarner, savoir que je n’ai pas à me tirer tout seul de mon histoire, mais qu’il y a toujours un commencement possible est source d’une joie profonde. L’espérance est en mouvement. Pour reprendre un mot de la pasteure Lytta Basset, Noël apporte une joie ‘imprenable’. C’est une vraie renaissance. Nous sommes vrillés par la peur, par le qu’en-dira-t-on, par les habitudes. Nous assumons notre vie parfois comme une corvée, un fardeau ou une compétition. Mais accueillir ce don de devenir enfant de Dieu, à la manière de Marie, de Joseph ou des bergers, c’est accueillir cette transfiguration, cette transformation. La joie de Noël est de se recevoir soi-même comme un cadeau. Quoi de plus beau?

Cette force d’enfant de Dieu pousse aussi vers les autres…
Je ne suis pas enfant de Dieu tout seul. Vivre cette fraternité passe par la solidarité et le partage. C’est prendre sur soi le bonheur et la joie de l’autre, prendre la mesure de sa dignité. Noël devrait inspirer tous nos gestes quotidiens, tout au long de l’année. Ce partage est planétaire dans une humanité en marche. A la cathédrale de Chartres, il y a un vitrail où l’on voit les apôtres sur les épaules des prophètes. Pourquoi? Pour regarder plus loin. C’est cela être disciple du Christ. Je suis solidaire du devenir du monde. Le Christ à Noël révèle cet ordre nouveau. Pour aller à Dieu, il n’y pas d’autre chemin que la fraternité. Noël vient casser la privatisation de la foi.

Comment faire passer ce message dans la vie d’une communauté, d’une paroisse?
Le soir d’un dimanche de l’Avent un bébé pleurait pendant la messe. J’ai dit à sa maman: «Surtout ne quittez pas l’église. Il n’y a pas de meilleure manière de nous préparer à Noël que de supporter les pleurs d’un enfant qui nous dérangent, qui nous obligent à sortir de nous-mêmes, de notre confort. Nous avons un grand défi. La société et le commerce anticipent la fête de Noël de manière chahutante. Noël s’étend sur presque deux mois et l’Avent est supprimé. Ici à Bulle, nous avons retenu l’idée de l’attente, notamment à travers des veillées autour de textes et de musiques qui attisent ce désir.

Pour beaucoup Noël est surtout le temps de la consommation et des cadeaux…
Le deuxième axe est celui de la fraternité. Nous avons reçu le 1er dimanche de l’Avent un religieux de Syrie. Il nous a expliqué que dans un pays en guerre, sous les bombes, tous les matins, au monastère, les religieux ‘décidaient de croire’. Et que la seule chose qui leur restait à offrir à la population était l’espérance. Cela a fortement coloré notre temps d’attente. Dès lors se mobiliser pour la solidarité était une évidence. Ce que nous donnons ne va pas rétablir la justice ou faire cesser la guerre, mais nous rappelle qu’il n’y a pas de Noël sans les petits, les pauvres, les opprimés. Ne pas réduire Noël au mercantilisme est essentiel. Apporter un peu de cette Bonne Nouvelle aux personnes isolée est aussi une de nos tâches durant cette période. Une quinzaine de membres de la paroisse iront animer deux messes de Noël au pénitencier de Bellechasse. Dans cette cure arrivent tous les jours des gens abîmés. Je n’ai pas grand-chose d’autre à leur dire que malgré leurs épreuves, malgré leurs souffrances, ils portent en eux une part d’invisible et d’infini qui est la source de leur lumière intérieure.

«L’essentiel n’est pas d’avoir une belle messe bien chantée, une belle prédication, une jolie crèche.»

Estimez-vous que ce message de Noël peut encore passer aujourd’hui?
Oui, mais malheureusement cela ne dure pas. Nous sommes dans une société de consommation. On participe, on apprécie peut-être et on passe à autre chose. A Noël, nos églises sont encore souvent pleines. Mais l’essentiel n’est pas d’avoir une belle messe bien chantée, une belle prédication, une jolie crèche. Je n’attache que peu d’importance aux échos reçus. Il ne faut pas se laisser piéger par la tradition, l’émotion de la nostalgie mais accueillir la nouveauté de Noël. Ce qui compte, c’est d’annoncer cette parole gratuite, que les anges ont apportée aux bergers de Bethléem. Pour que chacun puisse accueillir cette folie de Dieu. (cath.ch/mp)


Le Noël de l’aubergiste

Bernard Miserez raconte une anecdote emblématique du véritable esprit de Noël entendue en Valais. Dans une classe enfantine de ce canton, la catéchiste prépare avec les enfants une saynète de Noël. L’enseignante demande à un petit garçon de jouer le rôle d’un berger. «Non je ne veux pas être un berger!» Mais pourquoi, le berger a beaucoup de chance, il est tout près de l’enfant Jésus au pied de la crèche, lui répond-elle. L’enfant persiste dans son refus en pleurant: «Non je ne veux pas!» «Quel rôle veux-tu avoir? – Je veux être l’aubergiste. L’enfant apprend son rôle au cours des diverses répétitions. Vient le jour de la représentation. Joseph et Marie arrivent à l’auberge pour demander s’il y a de la place pour eux. Sortant de son rôle et de son texte le garçon répond: «Oui, ici il y a de place pour tout le monde. Et s’il n’y en a pas, nous allons en faire.» Tout le monde a applaudi à sa réplique. Il a eu un courage incroyable en se mettant dans la situation de l’aubergiste. Cette innocence rappelle que Noël est la fête de tous les possibles, commente Bernard Miserez. (cath.ch/mp)

Maurice Page

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