Pérou: Un prêtre genevois recevra le pape en Amazonie

Le Père Xavier Arbex de Morsier ne recherche ni les éloges, ni la lumière des projecteurs. C’est pourtant à ce prêtre genevois de 75 ans, fondateur du foyer d’enfants et d’adolescents «El Principito» (le Petit Prince), que le pape François rendra visite, le 19 janvier prochain lors de son étape à Puerto Maldonado, au cœur de l’Amazonie péruvienne.

Rencontre avec un missionnaire qui a consacré 45 ans de son existence au Pérou, entre plateaux andins et forêt équatoriale. Il ne mâche pas ses mots pour dénoncer l’exploitation inacceptable des enfants et de l’environnement.

«Je crois qu’au fond, la population n’a pas tellement envie de voir venir le pape»

 Qu’attendent les gens de la venue du pape à Puerto Maldonado?
Je crois qu’au fond, la population n’a pas tellement envie de voir venir le pape. Cela ne se dit pas, mais cela se sent. Les gens pensent que le pape va dénoncer l’exploitation minière et la déforestation illégale et informelle et leurs conséquences sociales et environnementales. Ils craignent qu’après la visite du pape, l’État aura un prétexte pour arriver avec l’armée et faire une razzia qui risque de les priver de travail.

Il est difficile d’estimer combien de personnes vivent ici de cette activité minière illégale ou informelle, car il y a de nombreux emplois indirects. Et les gens ont peur de se retrouver du jour au lendemain sans travail. Il faut savoir que des dizaines de tonnes d’or sortent de cette région chaque année !

Ce qui m’intéresse, c’est de voir si le pape va prendre position en faveur des peuples natifs et contre la détérioration de l’environnement. Sa visite, puis la perspective d’un synode sur l’Amazonie en octobre 2019, sont des moments très intéressants pour l’Amazonie et un motif d’espoir pour l’Église.

Comment avez-vous réagi à l’annonce de la visite du pape dans votre foyer d’accueil «El Principito»?
Quand Mgr David Martínez de Aguirre Guinea, l’évêque du vicariat apostolique de Puerto Maldonado, m’a appelé en disant que le pape souhaitait visiter le foyer, comme un bon Genevois, j’aurais pu lui répondre: «et bien qu’il vienne !» En fait, j’aime beaucoup le pape François. Son élection a été l’un des moments les plus heureux de ma vie. C’est donc avec beaucoup de joie que nous allons l’accueillir dans le foyer. Même si sa visite donne beaucoup de travail ! La presse, les services de l’État péruvien, les forces de l’ordre, le Vatican… Depuis plus de quatre mois, ça n’arrête pas ! Il a fallu que j’envoie à Rome le discours que je vais prononcer. En revanche, j’ai demandé à l’évêque qu’il reste à côté de moi lorsque je m’exprimerai, car je pense que je vais être très ému et je ne suis pas sûr de pouvoir aller jusqu’au bout !

«Au total, plus de 250 enfants et jeunes sont passés par El Principito»

Quel est le rôle et le fonctionnement de ce foyer?
Nous accueillons ici entre 20 et 40 enfants et jeunes. Leur âge est compris entre 3 et 25 ans. Le principe est qu’ils se sentent comme dans une famille. Ils sont dans leur maison. Ils sortent pour aller à l’école ou à l’université. Ils sont chez eux. On ne les met pas à la rue à 18 ans. Certains passent ici quelques mois, d’autres toute leur jeunesse. Au total, plus de 250 enfants et jeunes sont passés par El Principito, dont une soixantaine sont restés fidèles, c’est à dire qu’ils donnent des nouvelles, ou passent nous voir.

Les critères d’admission sont de plus en plus compliqués, car la loi a évolué depuis deux ans et souhaite favoriser les placements familiaux. Mais être placé en famille d’accueil ne constitue pas forcément une garantie de bien être pour les enfants. Le plus souvent il s’agit d’une main-d’œuvre bon marché ou d’assurance vieillesse pour les familles d’accueil. Auparavant, nous recevions des enfants suite à des décisions de justice. Maintenant, ce sont les parents eux-mêmes qui vont chez le notaire et qui nous donnent un pouvoir de tutelle. Désormais, les situations à risques ou d’extrême misère constituent la majorité des cas.

Pour faire fonctionner le foyer, il y a deux directrices, trois personnes d’encadrement, plus la cuisinière et une personne pour les services divers. Les pensionnaires plus âgés qui étudient doivent donner un peu de leur temps pour encadrer les devoirs des plus jeunes.

Le budget est d’environ 600’000 soles (180’000 CHF) par an. C’est un chiffre plutôt élevé par rapport à d’autres institutions du même genre, mais c’est le prix de l’exigence et cela comprend également le financement de bourses d’études des étudiants. Nous nous finançons en partie grâce à l’activité de nos trois entreprises: un lodge éco-touristique, une pâtisserie-glacier dans le centre de la ville, et une papeterie. (cath.ch/jcg/mp)


 Père Xavier Arbex

Ordonné prêtre en 1968, Xavier Arbex a passé 45 ans de ministère comme prêtre fidei donum (en service dans un autre pays) au Pérou. Il revient sur ce long itinéraire.

 Vous êtes prêtre depuis 50 ans, comment est née cette vocation au sacerdoce?
Ma mère était issue d’une des plus vieilles familles calvinistes de Genève. Après, elle s’est convertie au catholicisme. Mon père était professeur à l’école d’interprètes. Je n’ai pas spécialement reçu d’éducation religieuse, mais j’aimais bien le scoutisme par exemple. A l’époque, il y avait deux prêtres dans ma paroisse qui étaient formidables. Cela me plaisait. Alors, j’ai voulu les imiter. J’ai été ordonné prêtre en juin 1968. Cela fait 50 ans, cette année!

Lors de mes études, j’étais assez traditionaliste. Ensuite, je me suis occupé d’adolescents qui avaient, notamment, des problèmes de drogue. Puis, à Genève, j’ai travaillé dans une paroisse ouvrière. Comme je parlais espagnol, j’étais en contact avec des ouvriers espagnols exploités. Je me suis rendu compte que je devais changer de regard. Que je devais observer le monde depuis le prisme des plus pauvres. Cela m’a prédisposé à avoir une vision d’Église, comme celle du pape François aujourd’hui… Enfin !

Pourquoi le Pérou?
Alfred de Vigny dit: «une vie réussie, c’est un rêve d’adolescent réalisé à l’âge mûr». Lorsque j’étais adolescent, je m’étais dit que quand j’aurais trente ans -pas avant, parce qu’avant on ne sait rien- j’irais «au tiers-monde», comme on disait à l’époque. Un jour, Mgr Louis Dalle, un évêque français de la Creuse, est arrivé dans ma paroisse et il a expliqué que sur les hauts-plateaux andins, la méthode d’évangélisation partait de la culture et des gens pour l’éclairer par l’Évangile. L’évangélisation se faisait donc à partir de l’histoire des pauvres. Et en fait c’était la Théologie de la Libération. En 1973, tous les évêques du sud andin étaient dans ce mouvement. Cette manière de faire m’a enthousiasmé et je me suis dit: je vais aller voir sur place si c’est vrai. Je suis parti la même année.

Le premier souvenir au Pérou…
Je suis arrivé dans le pays à l’époque du président Juan Velasco Alvarado. Il était nationaliste et anti-étranger. Ce qui était frappant, c’est qu’il n’y avait pas d’importations de produits étrangers. Il venait d’y avoir un grand tremblement de terre. Je dormais dans une chambre encore toute lézardée. Comme il n’y avait plus d’aumônier à la prison de Lima, je me suis proposé pour y aller. Mais je ne savais pas à quel point c’était horrible! Je n’y suis resté que trois mois. Puis je suis parti dans l’Altiplano, à 4300 mètres d’altitude. J’ai alors ressenti beaucoup de solitude et de découragement. Je souffrais du froid. Je manquais de préparation à la compréhension de la culture locale et je ne comprenais pas la langue quechua. L’évêque m’avait mis là en me disant: «débrouille-toi.» Je commençais à aller à cheval dans les communautés éloignées, les plus hautes, très froides. J’y étais bien accueilli, car il y a un syncrétisme religieux très fort. Ma présence était souvent l’occasion de fêtes formellement en l’honneur des saints, mais en réalité en l’honneur de la Pacha Mama. En tant qu’homme d’Église, j’ai senti un peu de frustration d’arriver dans un lieu où la spiritualité était très dense mais aussi très éloignée de l’Évangile. C’est un sentiment que je ressens encore aujourd’hui, d’ailleurs. Ici, les processions sont souvent plus importantes que l’Évangile. Mais enfin… Ce qui importe est que les gens aient la foi et l’espérance et qu’ils aient un comportement éthique en conséquence. Que leur foi soit basée sur la raison ou sur l’imaginaire, après tout ce ne sont que deux chemins différents.

Puis vous êtes descendu des Andes vers la forêt amazonienne.
Quand je travaillais dans les hauts plateaux, où les gens étaient très pauvres, il était très fréquent de voir des enfants de 12 ou 13 ans, descendre dans la forêt amazonienne pour travailler, ou plutôt être exploités, à la mine. Ils travaillaient 90 jours à 100 brouettées de terre par jour, pour gagner à peine de quoi payer leurs fournitures scolaires. Et beaucoup ne remontaient jamais. Ils disparaissaient. Cette situation m’a poussé à partir pour Mazuko dans l’Amazonie péruvienne. Personne ne voulait y aller car le climat chaud et humide est épuisant. Mais moi j’aime ça! Très vite, je suis allé à la rencontre des mineurs. J’allais y célébrer la messe et j’en profitais pour leur dire que ce qu’ils faisaient avec les enfants, c’était mal. J’ai aussi créé un foyer destiné à épargner les jeunes adolescents des conséquences de la présence des chercheurs d’or. Depuis, ce lieu est devenu un centre d’accueil pour les jeunes filles qui veulent sortir de la prostitution.

L’étape suivante a été Puerto Maldonado, où vous vivez encore aujourd’hui…
A cause de mes douleurs au dos, après des années de déplacement à cheval ou en jeep, j’ai migré à Puerto Maldonado. J’y ai acheté un terrain avec l’héritage de mes parents. C’est à cette époque qu’a été créée au Pérou la Défense municipale des enfants et adolescents (Demuna). A Puerto Maldonado, cette structure n’avait pas vraiment de moyens pour travailler. J’ai souhaité les aider. D’où la création avec quelques amis, en 1996, de l’Association de protection de l’enfance et de l’adolescence (Apronia) (https://apronia.ch/index.php/fr/en-un-clin-doeil/).

Dès le début des années 2000, j’ai également commencé à faire de la sensibilisation concernant l’impact de l’activité minière sur l’environnement. Mais je n’étais pas écouté. Tout le monde s’offusquait de la situation que je décrivais, mais personne n’agissait. Moi je ressentais beaucoup de frustration, car je voyais que l’environnement se détériorait toujours davantage. (cath.ch/jcg/mp)

Maurice Page

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