Dialogue incontournable

A l’occasion de l’ouverture de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, je voudrais ici parler du récent ouvrage de mon ami le jésuite français Bernard Sesboüé: L’acte théologique d’Irénée de Lyon à Karl Rahner. Les grandes créations en théologie chrétienne*.

C’est un grand et beau panorama reconstruisant la compréhension de la théologie chrétienne d’Irénée à Rahner.  Il reconstruit magistralement la conception chrétienne de l’acte théologique. C’est une tentative d’une grande actualité, si l’on pense à la dévalorisation regrettable de la théologie que nous vivons actuellement. Avant de critiquer la vision du jésuite français, il convient donc de se réjouir de son optimisme théologique. Sesboüé croit profondément à la possibilité de développer une idée de la théologie. L’acte théologique n’est pas seulement inhérent à chaque grande époque de la théologie, il accompagne aussi l’essor la théologie au cours des siècles, avec une remarquable continuité. Mais cette vision cohérente et unitaire de l’acte théologique est très typiquement catholique. Sesboüé l’assume et le pense.

En fait, il reste par choix dans une conception uniquement catholique de la théologie. Une seule exception concerne le passage par Luther et Calvin. Mais les Réformateurs sont pour ainsi dire insérés dans la vision catholique. Le fait que ni Schleiermacher, ni Barth, Bultmann ou Tillich n’apparaissent ensuite est un indice assez sûr de cette restriction regrettable. La question est dès lors de savoir quelle relation la théologie catholique entretient-elle avec la culture et avec la modernité dans son éclatement constitutif. Origène reste ainsi traité de manière assez conventionnelle, alors qu’il eût été possible d’en montrer d’avantage l’audace et l’originalité. Luther lui-même est plus abordé comme une variante de la tradition catholique que comme un geste théologique révolutionnaire et déstabilisant. Une mise en perspective critique de Möhler et de Schleiermacher aurait obligé l’auteur à thématiser les différentes approches de la modernité. Rahner apparaîtrait différemment s’il était mis en regard de Bultmann. Enfin une comparaison de Balthasar et de Barth radicaliserait les théologies les plus radicales. Bref : la problématisation oecuménique et moderne ne saurait se contenter de juxtaposer position catholique et position protestante: elle prendrait en compte le pluralisme critique interne de l’acte théologique lui-même. La critique méthodologique que je formule ici a des retombées doctrinales et pratiques.

L’œcuménisme n’est jamais, à mon sens, une synthèse commode et conventionnelle, il est toujours le fruit d’une tension vivante et créatrice, interne et externe. Le catholicisme n’est jamais unitaire, le protestantisme n’est jamais univoque. Entre les deux le dialogue est incontournable et exigeant.

Denis Müller | 17 janvier 2018

*Namur-Paris, Lessius, Donner raison-théologie, 350 pages.

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