APIC – RENCONTRE
Un éternel révolté aux côtés des paumés de la vie
Paris, 11août(APIC) Grand, mince, l’élégance sobre et pour tout dire un
côté très « british », le Père Patrick Giros est simple et accueillant, fraternel sans démagogie. Cigarette sans filtre à la main, il adopte vite un
tutoiement de rigueur auquel il est difficile de résister. Sur son bureau,
le livre de Mgr Gaillot, évêque d’Evreux, « Coup de gueule contre l’exclusion », ainsi qu’une photo de sainte Thérèse de Lisieux, avec ce commentaire: « Tout est grâce ». Difficile de deviner le fils d’un grand banquier derrière ce prêtre de 55 ans, tout entier investi, depuis presque 30 ans, dans
l’action auprès des paumés des rues.
Détaché de la paroisse Saint-Joseph artisan, dans le 10e arrondissement
de Paris, il dirige au sein de son association « Aux captifs la libération »,
fondée en 1981, une équipe de 18 salariés et de 60 bénévoles. Ce sociologue
de formation, éternel révolté, motard enfourchant un gros cube, vient de
publier « Les enfants perdus dans la ville », paru au Seuil. Un livre dans
lequel il narre son expérience. Rencontre avec un curé de rue qui, pour
être moins médiatique que Guy Gilbert, le prêtre des loubards, n’en est pas
moins intéressant.
APIC: Quel type d’actions menez-vous sur le terrain?
P. G.: On a un programme en trois volets: le contact avec un territoire
donné, inlassablement sillonné à pied sur un trajet régulier, à la rencontre des gens de la rue. De la paroisse de St-Leu, dans le quartier des Halles, jusqu’au bois de Boulogne, parcouru en moto; nous tenons une permanence d’accueil, un point de contact où les « paumés » peuvent faire une pausecafé mais aussi avoir des conseils et des adresses pour se soigner, suivre
une formation…. On s’efforce d’assurer un suivi régulier. On travaille
ainsi non seulement avec les prostituées mais aussi avec leurs enfants; des
programmes d’ »évangélisation » enfin, adaptés à la situation…
APIC: Selon vous, la plainte des jeunes drogués n’a pas été entendue.
Pouvez-vous préciser?
P. G.: Les médecins ont accaparé, kidnappé le discours sur la drogue.
Ils ont défini les drogués plus comme des malades que comme des délinquants… Selon moi, il y avait autre chose à donner que des soins, stricto-senso: leur quête intérieure n’a pas été entendue. Je voudrais insister
sur cette dimension, essentielle à mes yeux. Il y a eu une espèce de « prise
de pouvoir » sur la drogue par certains, dont le Dr Olievenstein, lui-même
spécialiste très connu dans l’hexagone. La même chose s’est du reste reproduite avec le sida. Le partenariat mis en place pour y faire face est par
ailleurs notoirement insuffisant.
APIC: En quoi les enfants perdus sont-ils chemins de conversion?
P. G.: Ce qu’on partage avec les jeunes des rues, comme prêtre, c’est
une quête commune. On a cela en commun qu’on est pas « du monde ». Et que
quelque chose manque fondamentalement. Qu’ils cherchent, eux, à combler
avec les stupéfiants, moi avec ma quête évangélique. L’absence de sens dans
leur vie les amène à chercher à s’évader dans un tourbillon: plus on va vite, plus on croit échapper. A cet égard, la drogue est le royaume de la vitesse: tout est accéléré, sentiments et sensations. Le temps est suspendu.
Il y a là, à mon sens, quelque chose qui a à voir avec la mystique. Mais ce
discours là, on ne veut pas l’entendre. Par ailleurs, la consommation de
drogue, au fond, est un révélateur exemplaire de notre société de consommation. Et son marché décrit en accéléré l’injustice mondiale de l’actuel système économique. Idem pour le sida: tout se passe comme si un produit, le
préservatif, permettait de faire l’économie d’un regard exigeant, critique,
sur notre manière de vivre, nos pratiques sexuelles, finalement marquées,
elles aussi, par le consumérisme.
APIC: Qu’est-ce que les jeunes de la « galère » ont à nous dire….?
P. G.: Ce que les gens de la rue nous décrivent, et notamment les jeunes, ce sont nos propres limites: des limites qu’on ne veut pas voir… On
les fait disparaître. Ils mettent par exemple les syndicats devant leurs
contradictions. Maintenant les gens sont extrêmement fragilisés et meurent
de tout, y compris de misère absolue. De fait la folie entre de plus en
plus dans la rue, elle erre. Et le phénomène d’urbanisation massive est
très préoccupant. On dépit des avertissements des experts, on continue à
faire comme si de rien n’était. La ville est un organsime vivant qui nous
décrit. A cet égard toutes les nouvelles zones de prostitution, qui se multiplient, sont des signes très visibles de maladie sociale, dont on ne
prend pas la pleine mesure. Il faut transmettre le cri de la rue. Mais on
ne veut pas l’entendre. Dommage, car ce cri changerait notre vie. Je veux
continuer à écrire là-dessus.
APIC: Vous parlez de « résurrections étonnantes »…
P. G.: Il y a des gens absolument étonnants… et pas toujours ceux
qu’on attend. Dans la rue, il y a une humanité déconcertante. Certains trajets sont fabuleux. Un de mes copains de la rue est aujourd’hui directeur
d’une agence bancaire. Un autre est PdG d’une entreprise. Cela dépend beaucoup des femmes qu’ils rencontrent. Certaines les aident énormément à se
stabiliser. Ce qui m’attriste, c’est la difficulté de réinsertion. C’est
très long, très dur.
APIC: Vous avez été ordonné en 68. Cette coïncidence historique vous at-elle marqué?
P. G.: Oui, bien sûr. J’ai été longtemps très marqué par le marxisme, le
trotskisme en particulier. Le Secours rouge, par exemple, était formidable.
Et puis le 18e arrondissement, où je travaillais, était un sacré terrain de
lutte. C’est le philosophe Paul Virilio qui m’a aidé à sortir du post-marxisme. Ma chance a été la rue: là on est vraiment sur terre. J’ai failli
partir au Brésil… mais je me suis dit qu’il fallait se battre ici même.
Ce boulot est très dur, on est bousculé tout le temps. Il faut être très
prudent, on est confronté à des situations graves et le plus souvent urgentes. Mais comme prêtre, je suis en contact avec un peuple formidable.
(apic/jcn/pr) Propos reccueillis par Jean-Claude Noye.
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