APIC – Interview
monde, signe d’espérance pour les hommes
Mgr Mamie, à la veille du Synode des évêques sur la vie consacrée
Jacques Berset, Agence APIC
Fribourg, 27septembre(APIC) « Les religieux sont bien un signe de contradiction pour le monde, mais surtout un signe d’espérance pour les hommes ».
Mgr Pierre Mamie, qui participera pour la première fois à une Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, est le délégué des évêques suisses
au Synode sur « la vie consacrée et sa mission dans l’Eglise et dans le monde » qui débute dimanche 2 octobre. L’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg
souligne ici la mission spécifique du religieux aujourd’hui.
Les religieux catholiques – hommes et femmes – sont plus d’un million à
travers le monde. Les femmes forment la très grande majorité des personnes
qui ont choisi la vie consacrée. D’autre part, plus d’un tiers des quelque
400’000 prêtres dans le monde sont des religieux. Il y a aujourd’hui 1’423
Instituts religieux féminins de droit pontifical, et 1’550 de droit diocésain. Parmi les Instituts religieux masculins, on en compte 250 de droit
pontifical, et 242 de droit diocésain, sans parler des 39 Sociétés de vie
apostolique, de droit pontifical. Considérant ces données, il apparaît
clairement que les religieux, à côté du clergé diocésain et des laïcs, représentent toujours – certainement plus que jamais !- un apport indispensable à la vie de l’Eglise de ce temps.
APIC:MgrMamie, quel est l’apport particulier de la Suisse à ce Synode sur
les religieux?
MgrMamie:Quand on me demande ce que je vais dire à Rome, je réponds
qu’avant de parler, je vais écouter… Pensons à la richesse représentée
par tous les délégués, les experts, les observateurs. Au Synode, on apprend
énormément des autres, notamment sur la manière dont ils répondent à des
problèmes que nous avons aussi chez nous. Ils ont peut-être trouvé des solutions auxquelles nous n’avions pas pensé. Certes, en regardant les problèmes auxquels nous sommes confrontés en Suisse, on pourrait parler du rôle des religieux face à des réalités comme celle des marginaux, des drogués, des chômeurs, des réfugiés, de la jeunesse…
Comme le temps de mon intervention est limité, j’aborderai l’engagement
des communautés religieuses en faveur de l’unité des chrétiens. La Suisse
est l’un des endroits du monde où beaucoup souffrent du scandale de la division des chrétiens et des tensions interreligieuses: problèmes posés par
la douloureuse rupture entre catholiques et réformés, nouveaux problèmes
posés par les anglicans, rapports difficiles avec l’orthodoxie, notamment
avec les Serbes orthodoxes… Notre pays accueille sur son territoire le
Conseil oecuménique des Eglises (COE) et le Centre orthodoxe de Chambésy.
Nous nous sommes donc demandé comment les religieux chez nous peuvent
s’engager dans le mouvement oecuménique pour supprimer les divisions actuelles. J’ai l’intention de le dire au pape lui-même et aux évêques présents au Synode: la prière de Jésus, « que tous soient un! », concerne
l’Eglise universelle, dans le monde entier. Ainsi, les consacrés – et spécialement les contemplatifs – où qu’ils se trouvent, devraient l’intégrer
dans leur prière et dans leur manière de vivre, dans l’obéissance à la
prière quotidienne pour l’unité des chrétiens.
C’est aussi la conviction du cardinal anglais George Basil Hume, l’un
des présidents du Synode désigné par le pape. Il y a dix ans déjà, il soulignait à propos du dialogue oecuménique: « Nous n’avançons pas assez, nous
sommes dans des problèmes si difficiles qu’il faut prendre beaucoup plus de
temps pour prier, pour demander à Dieu la grâce de l’unité. C’est Lui qui
la donnera, ce n’est pas nous qui la feront ».
APIC:Les religieux et religieuses de Suisse ont été consultés…
MgrMamie:Non seulement ils ont participé largement à la consultation,
mais à partir des « lineamenta », ils ont fait de nombreuses suggestions qui
ont été en grande partie intégrées dans « l’instrumentum laboris ». Ainsi, ce
grand document qu’est « l’instrument de travail » répond bien davantage à ce
que souhaitent les religieux si l’on compare avec l’esquisse qu’ils avaient
reçue auparavant. On a ainsi tenu compte de la sensibilité des religieux et
religieuses qui sont en Suisse: ils tiennent à souligner qu’ils ne sont pas
en priorité au service des paroisses.
Ils insistent pour ne pas être considérés comme des auxiliaires de paroisses: ce n’est pas leur première mission. Ils ont un autre témoignage à
donner selon la lettre et l’esprit du Concile: être des témoins d’une autre
vie par leur vie religieuse et communautaire, ici et maintenant. Et cela a
été bien repris dans le deuxième texte.
APIC:La tentation existe pourtant bel et bien d’utiliser les religieux
pour « boucher les trous » quand il y a manque de prêtres diocésains…
MgrMamie:En ce qui me concerne, je n’ai jamais cherché à éloigner un religieux ou une religieuse de sa mission propre pour l’engager dans la pastorale du diocèse. Il est vrai que nous avons confié trois ou quatre paroisses à des religieux parce qu’une paroisse assumée par des religieux
comme les Dominicains ou les Pères du Saint-Sacrement représente un témoignage particulier dans la pastorale d’un diocèse.
C’était déjà l’option de Mgr Besson et de Mgr Charrière. Je l’ai poursuivie. Il ne s’agit pas pour eux d’exercer un ministère identique au clergé séculier, mais de le faire avec la spécificité propre aux religieux. En
particulier en ce qui concerne la place de la « prière des heures » (l’office) dans leur vie quotidienne. Les religieux ont ainsi un témoignage particulier à apporter.
Ils offrent une troisième dimension que n’apportent ni le prêtre séculier ni le laïcat, dont les premiers modèles sont Jean-Baptiste, Marie-Madeleine et Jésus au désert, les premiers moines ermites en Egypte aussi.
Cela a toujours été dans l’Eglise un témoignage tout à fait spécifique, un
de nos trésors.
Cependant, si en raison du manque de prêtres, les fidèles venaient à
être privés de la messe, de l’eucharistie et du sacrement de pénitence durant une longue période, on demandera éventuellement à un religieux d’assumer – pour un temps limité – sa tâche de prêtre, lorsqu’il est religieuxprêtre. En effet, les fidèles ont droit à l’eucharistie; les « dimanches
sans prêtres » ne sont pas la meilleure solution. De fait, cela ne s’est encore produit chez nous que très rarement.
Prenons par exemple, la Vallée de la Jogne, en Gruyère, avec la chartreuse de la Valsainte. Il n’y a plus de curé résidant à Cerniat et cette
paroisse est actuellement assumée par le curé de Charmey. Cela fonctionne
bien. Il y a une bonne douzaine de religieux-prêtres à la Valsainte, et les
fidèles me demandent parfois si l’on ne pourrait pas en prendre un comme
curé pour Cerniat. J’ai toujours assuré le prieur de la Valsainte que je ne
lui demanderai jamais d’assumer une telle mission.
Mais j’ai précisé que s’il arrivait qu’il n’y ait vraiment pas de prêtre
pour la messe du dimanche, je demanderais à un chartreux d’aller y célébrer
l’eucharistie. Mais pas plus! Cela vaut aussi pour les cisterciens d’Hauterive. Les religieux moines ont une mission différente et je ne vais pas
leur confier des paroisses. J’attends d’eux plus et autre chose.
APIC:Comment comprendre la vie religieuse aujourd’hui dans une société sécularisée et hédoniste?
MgrMamie:Il est vrai que le témoignage des religieux n’est pas très facile à expliquer, parce que l’on n’est pas dans l’ordre de l’efficacité et de
l’action. Leur témoignage dans le monde d’aujourd’hui est moins visible que
celui d’un prêtre séculier ou d’un laïc engagé. Ce n’est pas très visible
de vivre dans la pauvreté, la chasteté et l’obéissance.
Je prends souvent l’exemple du temps de la Renaissance, une période très
importante de l’histoire de l’Europe au point de vue culturel ou politique,
mais qui ne fut pas très brillante au plan spirituel pour l’Eglise. Certains prêtres et religieux – et même des évêques et des papes – étaient
alors loin d’être exemplaires. Mais c’est plus tard, quand les siècles ont
passé, que l’on s’est aperçu qu’il y avait eu durant cette grande période
des saints que l’on ne connaissait pas.
Dans les périodes troublées de la vie de l’Eglise, il y a toujours eu de
très grand saints, pas tellement connus au moment même où ils vivaient,
mais qui de fait portaient toute l’Eglise. Aujourd’hui, et je ne suis pas
le seul à le penser, dans la situation très troublée du monde contemporain,
si l’Eglise continue, si le monde continue, c’est certainement parce qu’il
y a des saintetés cachées que l’on découvrira au siècle prochain.
La part de bien dans le monde et dans l’Eglise est toujours plus grande
que la part de mal, même si on ne le voit pas. Je dis souvent que certains
couvents contemplatifs sont les « paratonnerres » d’une région, d’un diocèse,
d’un pays. Ils nous protègent de beaucoup de malheurs, sans le savoir.
APIC:Un renouveau de la vie religieuse paraît nécessaire…
MgrMamie:Je n’ai pas tellement à insister sur un renouveau de la vie religieuse. Il y a certainement des éléments nouveaux à trouver pour répondre
aux besoins de notre temps, mais ce qui me paraît beaucoup plus important,
c’est de voir dans la manière de vivre, dans le comportement quotidien des
religieux et religieuses les améliorations à apporter pour que la jeunesse
se sente attirée et ait envie de suivre ce chemin-là. C’est dans la manière
de vivre la vie religieuse que je vois des nécessités de réadaptation, de
réflexion, de purification, de fidélité aussi. Dans le bon sens du terme,
c’est une question de séduction.
Si la jeunesse – chez nous – ne s’intéresse pas davantage à la vie religieuse ou sacerdotale, c’est peut-être que l’on ne lui donne pas tellement
envie de vivre ce que nous vivons, parce que notre témoignage est parfois
très insuffisant. Mais il y a aussi une partie de la jeunesse qui a peur de
l’engagement définitif, cela se voit à propos du mariage, du divorce, de
tout l’amour humain. Les engagements définitifs ne sont plus très à la mode.
Si je pense à l’exemple du Père Charles de Foucauld, il n’est pas impossible que le monde de notre temps nous demande de réinventer – sans détruire le passé – des nouvelles formes de vie religieuse pour notre temps, marqué tout à la fois par la sécularisation et l’absence de Dieu, et par la
faim de l’absolu et de Dieu. (apic/be)
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