Vénérable Madeleine Delbrêl (1904 – 1964)

Guy Musy | Cette menue Gasconne, un peu futée, aurait ri aux éclats si elle avait appris de son vivant que la curie romaine la traiterait un jour de «vénérable», promise à une béatification prochaine. Elle aurait sans doute ameuté sa petite équipe d’assistantes sociales qui partageaient son très modeste logis d’Ivry sur Seine, dans la ceinture rouge de Paris, Avec elles, elle aurait fêté à sa manière cette étrange nouvelle. Ses amies lui aurait sans doute rappelé le proverbe qu’elle servit un jour au cardinal Marella dépêché en France en vue de mettre fin à l’ »expérience» des prêtres ouvriers : «Si chacun balaie devant sa maison, la rue sera propre».

La rue ? Madeleine la connaissait. Et même, elle se l’était appropriée, comme l’indique le titre de son ouvrage, paru en 1966, «Nous autres gens des rues». Elle se voulait missionnaire, mais ne se déplaçant qu’à pied ou en métro, à défaut de paquebots ou de vols transcontinentaux. C’est une ville marxiste de son pays qu’elle s’était choisie comme terre de mission. Elle y resta fidèle plus de trente ans, jusqu’au jour où ses compagnes la trouvèrent terrassée au pied de sa table de lecture et d’écriture, épuisée, mais heureuse de rendre à son Dieu son tablier en toute discrétion. Elle avait 60 ans.

Discrète dans son travail social quotidien, un service officiel d’une mairie communiste qui lui interdisait tout prosélytisme religieux, mais qui ne l’empêchait pas de réserver au petit peuple qu’elle rencontrait dans ses tournées et visites une place de choix dans son cœur et sa prière. Elle aurait pu sans doute parcourir une brillante carrière professorale ou littéraire, tant elle était douée et préparée pour le faire. Mais sa conversion et sa découverte de l’Evangile l’avaient orientée sur cette humble voie, «l’héroïsme d’une vie banale», comme le faisait remarquer une de ses proches. Non qu’elle méprisait ses dons naturels ou acquis, mais elle savait dans ses ouvrages et autres interventions en tirer profit au bénéfice de la cause qui lui était devenue prioritaire. Même son humour décapant, mis en œuvre dans Alcide ou La spiritualité du vélo que des comédiens se plaisent encore à mettre en scène de nos jours.

Ce petit bout de femme fragile d’où émanait tant d’énergie rappelait Edith Piaf, sa contemporaine. Madeleine n’était pas étrangère au monde du spectacle. On lui doit cette lettre savoureuse adressée à un certain Johnny, datée du 29 avril 1963. Le chanteur avait alors 20 ans. Ces lignes devraient suffire à brosser le portrait de la nouvelle «Vénérable»:

«Je ne vous écris pas au hasard. Seuls vieillissent pour de bon ceux qui ne furent pas jeunes pour de bon. Sans complexe, j’ai cherché à connaître Johnny dans ses disques, ses interviews. Mon seul tact est de ne pas vous tutoyer !

Je viens vous demander de l’argent parce que je n’en ai pas et pour que des gens mangent. Je le demande à vous parce que c’est pressé et que vous vivez vite ; parce que la vie vous intéresse et qu’il s’agit de faire vivre par un travail temporaire des gens sans travail normal pendant quelques mois ; parce que votre propre histoire vous a ouvert le cœur ; parce qu’en ‘roulant’ dans les foules, vous savez aimer sans voir.

Pas sûre que vous receviez ce papier, pas sûre que vous y répondiez… Sûre que vous ne vous en moquerez pas; je vous dis pour cela ‘merci'». Madeleine Delbrêl

Hélas, on ne connaît pas la suite de l’histoire. Johnny, assurément vénérable à sa façon, aurait-il répondu à Madeleine?

 

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