Prieuré Saint-François de Sales: la fragilité au cœur de la vocation

Le prieuré Saint-François de Sales, à Evian (France), accueille des moines «en petite santé». Ici le handicap physique ou psychique n’empêche pas les Frères de la communauté de prier et de travailler selon la règle de saint Benoît. Accepter leur fragilité les «réunit autour du Christ».

L’office de tierce achevé, les moines se retrouvent dans le hall. Ils entourent le Frère Guy-Marie, prieur du lieu, qui répartit le travail pour la matinée et s’assure que chacun est occupé. Si ce n’est un Frère en chaise roulante, rien ne laisse penser que le prieuré Saint-François de Sales d’Evian accueille des moines «en petite santé». «Ici les Frères sont avant tout des moines, ils vivent leur vocation de consacré», précise Frère Guy-Marie.

«En petite santé»: les termes renvoient au handicap physique ou à la fragilité psychique de certains des moines du lieu, précise Frère Guy-Marie. D’autres sont en bonne santé. «Mais que veut dire en ›bonne santé’? Nous avons tous nos fragilités», relève le prieur. Le prieuré d’Evian, au bord du lac Léman, est une des dix communautés de la congrégation de Notre-Dame d’Espérance dont le charisme est d’accueillir de moines en situation de handicap.

Dans la quiétude, les Frères s’éparpillent dans les escaliers et les couloirs d’un bâtiment qui fut moderne à sa construction, en 1977. Il était occupé par les sÅ“urs Clarisse jusqu’en 1997, date à laquelle les moines en ont pris possession. Le temps a fait son Å“uvre. Pas de faste. Béton, murs crépis, carrelage sobre et des frais de chauffage importants. Dans les années 1970, l’isolation et les économies d’énergie n’étaient pas la priorité. Il est toutefois prévu de poser des doubles-vitrages et de refaire l’isolation extérieure. Les murs sont nus. Des meubles dépareillés, hérités de l’ancien monastère, ou offerts occupent un couloir. On ne veut pas jeter. La décoration n’est visiblement pas une préoccupation. Le temps semble s’être arrêté.

 Prière, travail et pauvreté

«Nous tenons compte des situations de chacun mais l’effort est demandé à tous. La maladie ne doit pas être un prétexte au ralentissement du travail», rappelle le prieur. Les 12 Frères et 3 postulants du prieuré ne dérogent pas à la règle de saint Benoît: Ora et labora prie et travaille. La prière achevée, les moines effectuent leur journée de travail entre le ménage, la lessive, la cuisine, le jardin potager.

L’atelier en contre-bas du bâtiment principal permet aux Frères de tresser des paniers en bois d’érable. Une source de revenus modestes pour la communauté et une occupation pour les moines.
Pour les plus fragiles, le rythme est allégé. Les plus robustes donnent un coup de peinture ou effectuent des réparations dans le bâtiment. Mais il n’y a aucune ségrégation: tous  passent aussi éplucher les légumes à la cuisine.

Les offices rythment la journée de travail. L’adaptation à la santé des plus fragiles se concrétise par le passage d’un infirmier qui passe quotidiennement entre vigile et laudes puis après les vêpres, pour distribuer les médicaments et préparer les piluliers. «Tant que l’on peut soigner, on accueille», assure Frère Guy-Marie. Il en va de même pour les Frères qui suivent un traitement pour des troubles psychiques. Le prieur ne s’étend pas sur la nature de ces «troubles» avec lesquels «on vit très bien en étant sous traitement». Une psychologue passe quelques jours sur place, deux fois par an pour un suivi.

«Nous nous ajustons au Christ»

La vie communautaire reste un défi permanent, rendu encore plus difficile par les différences entre Frères. «C’est aussi notre chemin vers le Christ. Les plus faibles doivent parvenir à accepter leur fragilité et les plus forts admettre les leurs pour se mettre au service de leur frère malade». La prière aide à avancer, de même que la fraternité dans la communauté. «Nous nous ajustons au Christ. Il nous réunit», sourit Frère Guy-Marie.

«Vivre  ensemble nous oblige à nous rappeler que nous sommes fragiles, ajoute Frère Jérôme. Nous nous portons mutuellement». Reconnaître ses failles aide à accepter celles des autres, et nous rend humbles. «C’est l’Evangile».

En raison d’une santé psychique fragile, la  première communauté bénédictine chez qui il a frappé ne l’a pas accepté. La vocation était là pourtant. Très forte. Il a été orienté vers la congrégation de Notre-Dame d’Espérance. «Ce fut un signe de la Providence!»
Inévitablement, la comparaison survient. «Aux yeux des grandes congrégations, on ne présente pas de la même manière. C’est moins prestigieux. Nous brillons par nos pauvretés.»

Il y a une quinzaine d’années, la congrégation a dérangé l’Eglise qui ne voyait pas d’un très bon Å“il ces moines ‘en petite santé’, relève le prieur. Certains évêques n’étaient pas favorables à ces communautés qu’ils assimilaient plus à des hôpitaux qu’à des monastères. «On acceptait plus de vocations à l’époque. Nous avons été jusqu’à 25 dans la communauté d’Evian. C’est bien différent aujourd’hui: ce ne sont pas tant les vocations des personnes en situation de handicap qui posent problème, mais le manque de responsables formés pour encadrer nos communautés», analyse le prieur.

Un discernement plus «serré»

Le discernement est plus «serré» qu’auparavant. Handicap ou non, on parle d’abord de vocation. L’évaluation porte sur les motivations du postulant. Il ne s’agit pas d’accueillir une personne qui se verrait bien nourrie, logée, blanchie par la congrégation. L’accueil d’un frère engage aussi la congrégation financièrement. La prudence est donc de mise. Chacun est inscrit à la Cavimac, la caisse maladie et de retraite pour les religieux, qui implique une cotisation mensuelle de 500»‚¬. L’inscription obligatoire a été voulue par la Conférence épiscopale française il y a quelques années.

Le candidat effectue d’abord un stage de «regardant» durant un mois. Puis il est renvoyé chez lui pour réfléchir. Le retour dans la communauté s’effectue sous la forme d’un pré-postulat d’une durée d’un an, au terme duquel un bilan de personnalité est dressé, y compris tests psychologiques et entretiens avec, entre autres, une psychologue. Suivent deux ou trois ans de postulat puis le noviciat. Les vÅ“ux définitifs sont généralement prononcés huit à dix ans après l’entrée dans la communauté.

«On n’arrive pas ici par hasard». Le prieur déplore malgré tout des cas où la santé défaillante d’un Frère l’a contraint à renoncer à la vie en communauté. Il n’y a pas de miracle. En cas de crise ou d’urgence, l’hospitalisation d’un Frère est parfois inévitable. Il peut revenir ensuite dans la communauté si son état de santé le permet.

Un mieux-être

Avec la stabilité exigée par la congrégation qui impose, sauf cas exceptionnel, aux moines de rester dans leur communauté, certains ont amélioré leur état de santé. La vie spirituelle, rythmée par les offices,» et le fait que beaucoup de Frères puissent vivre pleinement leur vocation, contribue grandement à l’amélioration de leur état de santé», indique le prieur. Un mieux-être qui profite à toute la communauté.

Le facteur médical explique aussi l’amélioration de l’état de santé des moines. La congrégation les envoie dans des communautés situées à proximité de leur famille auxquelles ils peuvent rendre visite une fois par an. Un contact important pour l’équilibre de certains. «Cela contribue à la transparence et à l’ouverture de la congrégation sur le monde», relève le prieur.

«Je suis ici depuis 21 ans. Je n’aurais pas fait ce choix d’avance, le Seigneur m’y a mis», explique frère Guy-Marie. «Nous sommes heureux d’avoir des Frères fragiles avec nous, nous sommes une famille. Nous avançons avec le Seigneur. Cela justifie ma vie religieuse». (cath.ch/bh)


 

«C’est en acceptant nos fragilités que le Christ nous rejoint»

«On n’entre pas au monastère parce qu’on est parfait. C’est une école de charité. Nous sommes tous handicapés. C’est en acceptant nos fragilités que le Christ nous rejoint». Frère Frédéric compare le monastère à un hôpital où le Christ serait le médecin. Il travaillait à Paris, menait une vie active et était laïc dans le tiers ordre franciscain. En 2005, il était bénévole chez les Frères missionnaires de la Charité, l’équivalent masculin des Sœurs de la Charité de Mère Teresa, au service des sans-abris de la capitale.

A 37 ans le gaillard qui ne souffre pas de handicap est postulant depuis juillet 2017. La prise de croix s’est faite en octobre dernier. Il a toujours été attiré par la spiritualité monastique. En 2009, une retraite de 15 jours pour les fêtes de Pâques à Croixrault, où se situe la maison mère de la congrégation, lui fait découvrir la vie monastique. Il ne s’en détournera plus. «La vocation n’a pas été immédiate». Plusieurs séjours dans différentes maisons de la congrégation le renforcent dans sa conviction qui devient une vocation.

Il s’y trouve bien. Parce que le monde «a besoin de la prière des moines pour tenir». Et parce que la congrégation est l’icône vivante du serviteur souffrant, du Christ défiguré. «Avec le temps, on ne voit plus le handicap, on est moine d’abord». (bh)


 

Mettre la vie monastique à la portée des faibles, des petits

Le Prieuré Notre Dame d’Espérance a été fondé par le Père Henri-Marie Guilly (1911 – 2008) le 1er octobre 1966 à Croixrault, dans la Somme, au nord de la France. L’objectif du fondateur est de mettre à la portée des malades, des faibles, des petits, cette vie monastique bénédictine qu’il a connue pendant trente ans.

Le Père Guilluy, qui a exercé la charge de Maître des Novices, s’est heurté à la difficulté d’accueillir des postulants handicapés. De nombreuses personnes, désireuses de mener la vie monastique, ne pouvaient réaliser leur voeu par suite d’un handicap de santé.

Le Prieuré Notre-Dame d’Espérance a permis aux hommes malades, handicapés ou de faible santé de devenir moines à part entière, en suivant la règle de Saint Benoît dans la mesure de leurs possibilités. Seuls sont exceptés les malades mentaux non stabilisés par un traitement approprié et les grabataires.

L’expérience va prouver que l’intuition était juste: les vocations vont venir. Rapidement, il apparaît que la fondation nouvelle répond, dans l’Eglise, à un besoin auquel aucun institut jusqu’ici ne pouvait répondre pleinement, sous peine de s’éloigner de son observance propre.

Ce développement s’accompagne de la reconnaissance officielle par l’Etat en 1977, et par l’Eglise: d’abord «Pieuse Union», Notre-Dame d’Espérance est érigée en Congrégation Diocésaine par Monseigneur l’Evêque d’Amiens le 2 février 1984. Elle est ensuite Associée à l’Ordre bénédictin le 29 septembre 1990. La congrégation compte actuellement 120 membres répartis dans 10 monastères. Elle est dirigée par le Père Jean Yves Mercier, supérieur général de la congrégation. (com/bh)

Bernard Hallet

Portail catholique suisse

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