Le trouble instantané

Le monde est un perpétuel va-et-vient. Tout change, rien n’est stable. Sommes-nous dans une époque nouvelle, période trouble, incertaine, déstabilisante ? Ou faut-il au contraire accréditer la thèse classique que plus ça change, plus c’est la même chose ?

La vogue des réseaux sociaux nous porterait plutôt à croire que le changement ne cesse de s’accélérer. Le débat actuel sur l’accélération du monde a pris la relève de celui sur la modernité et la postmodernité. Il y a comme un culte de l’instant. Je crois nécessaire de résister à cette immédiateté. Le temps court n’est rien sans le temps long, comme l’a montré l’historien français Fernand Braudel, auteur d’un ouvrage classique sur la Méditerranée. Quand j’ai commencé mon enseignement universitaire à Lausanne en 1988, j’ai dû apprendre à utiliser un ordinateur et les réseaux sociaux n’existaient pas. On a passé lentement mais inexorablement du courriel (pour parler bon français c’est-à-dire québecois) à facebook et à twitter.

«Comment transcender la sauvagerie inhérente au réseautage de toute sorte»?

Mais on observe aussi de nos jours un retour de manivelle : il va falloir doubler le nombre de signes sur twitter  – pour surmonter les raccourcis vertigineux et le crétinisme à la Donald Trump ? La concision peut en effet être synonyme de violence plutôt que d’élégance ou de précision. Les réseaux sociaux dégénèrent souvent en nœuds de discorde et d’insulte. Autrement dit, le monde nouveau, tissé de liens et de dialogues, est en même temps la reproduction et la multiplication des conflits antérieurs. Notre question actuelle est tout autant religieuse que sociale et politique: comment transcender la sauvagerie et le désordre inhérents au réseautage de toute sorte ? Comment réguler politiquement et démocratiquement l’effervescence médiatique et informatique ? Comment faire comprendre que le vrai libéralisme pense la liberté comme une liberté sociable et responsable ?

«Nous sommes devenus aveugles au long terme»

Comment, donc, cesser de caricaturer les pensées politiques libérales (Macron, par exemple) comme des néolibéralismes autoritaires et technocratiques, quand il s’agit en fait de déployer la pluralité démocratique des libertés individuelles et personnelles ? La gauche et le progressisme ne sont pas sans la promotion de ces libertés, et une droite vraiment libérale ne saurait faire l’économie des valeurs de la justice et de la solidarité. Mais nous vivons, encore une fois, dans une époque qui voudrait limiter la vérité à une idéologie passagère et violente, passant par des renversements électoraux spectaculaires. Nous sommes devenus aveugles au long terme, à la durée créatrice. Nous avons besoin de régulation, non de réglementation politicarde. Nous avons besoin de mémoire et de culture, de pluralité et de patience, d’espérance têtue et de fraternité contradictoire (au contraire de la fraternité lisse et bien-pensante).

Denis Müller | 21 février 2018

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