Vienne: des leaders religieux s'unissent «contre la violence au nom de la religion»

Une bonne vingtaine de représentants religieux chrétiens et musulmans de haut rang ont lancé une plate-forme de dialogue pour la région du Moyen-Orient à l’occasion d’un congrès, les 26 et 27 février 2018 à Vienne. Le but de cette première historique est de s’unir «contre la violence au nom de la religion».

Les chefs religieux se sont engagés à promouvoir, dans les régions arabes, la diversité et la citoyenneté par le dialogue et le travail en commun afin de reconstruire et de protéger leurs communautés des effets de la rhétorique et des actions extrémistes et violentes.

Organisée par le Centre international du Roi Abdallah ben Abdelaziz pour le dialogue interreligieux et interculturel (KAICIID), basé à Vienne, des importants responsables musulmans, chrétiens et juifs ainsi que des représentants d’autres communautés religieuses se sont exprimés d’une seule voix en faveur de la cohésion sociale, de la coexistence pacifique et du respect de la diversité religieuse.

Faire de l’islam une partie de la solution

A Vienne, l’Arabie saoudite a confirmé sa volonté «de faire de l’islam une partie de la solution et non plus du problème», a confié au quotidien francophone libanais L’Orient-Le Jour le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï. «Je pense que le royaume est sincère dans sa volonté d’ouverture, mais je regrette l’insuffisance de la représentation chiite», a-t-il déclaré.

Le patriarche libanais considère comme «très positifs» les efforts déployés par le centre KAICIID. Il a déclaré participer à la conférence de Vienne «dans l’esprit qui a présidé à ma visite en Arabie saoudite, en décembre 2017, et en signe de gratitude pour l’accueil fastueux, qui, pour la première fois, m’a été manifesté en ma qualité de patriarche maronite, au palais des hôtes».

Les chiites quasiment absents

Fort de l’ouverture des chrétiens à toutes les communautés, le patriarche Raï déplore l’absence à Vienne d’une représentation chiite digne de ce nom et affirme que les organisateurs auraient dû s’y efforcer «à tout prix», relève le journaliste Fady Noun, responsable de la rubrique religieuse à L’Orient-Le Jour.

«Dans l’état actuel des rapports entre l’Iran et l’Arabie saoudite, l’effort, de toute évidence, n’a pas été fait». En effet, il y avait à Vienne, venu du Liban, le cheikh Sayyed Ali el-Amine, ancien mufti de Tyr, ainsi qu’un confrère venu d’Irak, «une représentation insuffisante au regard des ambitions déclarées».

L’expertise libanaise dans le vivre-ensemble

L’expertise libanaise dans le vivre-ensemble s’est signalée par la présence sur place du mufti de la République, Abdellatif Deriane, du métropolite de Beyrouth Elias Audi, d’un représentant du cheikh Akl, le cheikh Gandhi Makarem, du catholicos arménien Aram Ier, de l’archevêque de Beyrouth, Boulos Matar, de la secrétaire générale du Conseil des églises du Moyen-Orient (MECC), Souraya Bechaalani, première femme à occuper ce poste, et du Père Fadi Daou, d’Adyan, une fondation libanaise pour les études interreligieuses et la solidarité spirituelle. Elle a été fondée le 6 août 2006 par des membres de confessions chrétiennes et musulmanes.

«Jésus a détruit la violence dans son corps même»

«Jésus a détruit la violence dans son corps même», a résumé pour son auditoire, à l’hôtel Hilton, le patriarche Raï, soucieux de faire passer la pensée des présents, comme l’avait éloquemment affirmé un peu auparavant le patriarche de Constantinople, Bartholomée, «de la tolérance à l’amour». Le patriarche devait également affirmer avec vigueur que «le moment» – le «kairos» – est là, et qu’il faut le saisir. «L’Eglise a tourné un jour la page de la violence exercée au nom de Dieu». Le moment est donc venu pour que l’islam «saisisse l’occasion que l’Esprit Saint lui offre et le fasse à son tour». Les crimes commis au nom de la religion sont désormais «une offense pour plus d’un milliard de croyants».

«Convertir le monde au dialogue»

Fayçal ben Muammar, secrétaire général du Centre international du Roi Abdallah ben Abdelaziz pour le dialogue interreligieux et interculturel (KAICIID), a déclaré en ouverture qu’il fallait «convertir le monde au dialogue». L’Arabie saoudite, qui traîne une réputation sulfureuse de promotion du salafisme, se veut désormais «l’un des moteurs d’une révolution culturelle et religieuse qui conduirait l’islam à être une partie de la solution, et non plus du problème».

La monarchie wahhabite viendrait ainsi au secours de «la majorité modérée» qui souffre en silence des ravages de l’extrémisme, tel qu’il a, entre autres, assombri la plaine de Ninive, en Irak, ensanglanté les plages de Libye, ravi à leurs parents de jeunes pensionnaires au Nigeria, heurté et écrasé à mort des promeneurs à Nice, mitraillé des spectateurs au Bataclan à Paris et décapité la rédaction de la revue Charlie Hebdo.

Mohammad ben Salmane face au wahhabisme

La présence à l’inauguration des travaux du congrès de personnalités saoudiennes de premier plan, comme le ministre d’Etat aux Affaires étrangères Nizar Madani, et Mohammad ben Abdul Karim el-Issa, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, reflèterait l’aspiration du prince héritier Mohammad ben Salmane (MBS) de faire de son royaume le centre d’un «islam du juste milieu et de la modération».

Il a en tout cas affirmé que «l’usage de la religion à des fins de violence est une faute grave», relevant que les Saoudiens se faisaient «les avocats de la diversité, de la citoyenneté et de la participation». Rappelons que la Ligue islamique mondiale est l’institution qui finance les mosquées et dissémine la doctrine rigoriste wahhabite dans le monde. En tout cas jusqu’à récemment, car ce financement aurait désormais cessé.

Guerre déclarée à l’extrémisme ?

«C’est, sans aucun doute, la guerre déclarée à l’extrémisme, le divorce total avec la doctrine wahhabite qui a régné en Arabie saoudite, depuis Ibn Saoud», souligne le journaliste Fady Noun.

Les chefs religieux présents au congrès du  étaient notamment le patriarche œcuménique Bartholomée de Constantinople, Mohammad ben Abdul Karim el-Issa, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale (LIM), Abbas Shuman, adjoint du grand Imam d’Al Azhar, le patriarche copte orthodoxe Théodore II (Tawadros II) pape d’Alexandrie et de toute l’Afrique, Pinchas Goldschmidt, grand rabbin de Moscou et président de la Conférence des rabbins européens (CER), Adama Dieng, conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la prévention du génocide, et Ahmad Alhendawi, Secrétaire général de la Fondation du Scoutisme Mondial. (cath.ch/orj/kaiciid/be)

Jacques Berset

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