Les conditions de travail des religieuses au Vatican font des vagues

Les protestations de religieuses du Vatican quant à leurs conditions de travail, parues début mars 2018 dans L’Osservatore Romano, font des vagues. Isabelle Donegani, des Sœurs de Saint Maurice, à Bex (VD), y voit un début de libération de la parole chez les religieuses, et l’occasion pour l’Eglise de renouveler son regard sur le rôle des femmes dans l’institution.

«Que des religieuses soient considérées comme corvéables à merci est un fait dans l’Eglise. Une réalité que tout le monde connaît, mais dont personne n’ose parler», affirme Isabelle Donegani. Elle a ainsi pris connaissance avec intérêt mais sans surprise de l’enquête publiée le 2 mars 2018 par le supplément mensuel féminin (Donne Chiesa Mondo [Femmes, Eglise, Monde]) de L’Osservatore Romano, le quotidien du Vatican.

Des horaires de travail intenables

Au Vatican, le fait que les évêques et les cardinaux aient à leur service plusieurs religieuses est une coutume pluriséculaire. Dans l’article intitulé Le travail (quasi) gratuit des sœurs, la journaliste française Marie-Lucile Kubacki a recueilli les témoignages anonymes de plusieurs religieuses qui décrivent la pénibilité particulière de leur travail et le manque de reconnaissance dont elles souffrent. «Elles se lèvent aux aurores pour préparer le petit-déjeuner et se couchent une fois que le dîner a été servi, la maison remise en ordre, le linge blanchi et repassé», raconte l’enquête de Donne, Chiesa, Mondo. L’article met en avant la faiblesse de la rémunération de ces travailleuses, voire son absence. Un aspect qui poserait aussi de nombreux problèmes logistiques pour les communautés de ces religieuses.

Dans le sillage de l’affaire Weinstein

«Ce mode de fonctionnement paraît sans doute normal également pour certaines de ces congrégations», commente Sœur Donegani. «Il s’agit parfois d’un honneur pour elles d’envoyer leurs religieuses servir des prélats au Vatican. Elles le font dans un esprit de générosité et de service, c’est une certitude, mais en oubliant de s’interroger peut-être sur les besoins humains de base, tels que le repos ou le temps libre». La religieuse de La Pelouse, à Bex, rappelle que chaque être humain a droit à ce que son travail soit reconnu à sa juste valeur et dûment rémunéré. «L’obéissance à l’autorité dans l’Eglise est centrale, mais l’obéissance à la justice sociale doit passer avant tout».

«Il y a dans l’Eglise des zones qui doivent encore être converties»

Pour Sœur Isabelle, les doléances des religieuses du Vatican sont révélatrices d’un problème plus global du rôle de la femme dans l’Eglise. «Nous sommes dans une période de libération de la parole, dans le sillage de l’affaire Weinstein. Même si on ne peut pas, bien sûr, mettre les deux affaires au même niveau.» Selon la religieuse, il est donc symptomatique que les travailleuses du Vatican se soient exprimées de manière anonyme dans la presse. «C’était certainement pour elles la seule façon de se faire entendre».

L’ombre de la société patriarcale

Car normalement, ce genre de problèmes se règlent à l’interne. «Si des sœurs ont des problèmes avec leur employeur, elles vont d’abord voir leur supérieure, qui tentera ensuite de résoudre le souci avec ce dernier», informe Sœur Marcelle Allaman, ancienne responsable des Filles de la Charité, à Fribourg. Beaucoup de consoeurs de sa congrégation travaillent à la maison Sainte-Marthe, au Vatican. Si elle affirme ne pas connaître les conditions de travail des religieuses au Vatican, elle n’a en tout cas jamais eu vent de ce genre de doléances. «Il est clair que les religieuses doivent avoir des horaires convenables. Certaines sœurs âgées me disent: ‘on a beaucoup travaillé’. Et dans le passé, il y a certainement eu des excès dans ce domaine. Mais aujourd’hui, les responsables des Filles de la Charité dans le monde entier font en sorte que les religieuses ne soient pas surmenées».

«Il ne s’agit pas de jeter la pierre à l’Eglise»

Sœur Isabelle Donegani reconnaît que ces phénomènes ne touchent que certains secteurs de l’Eglise. La grande majorité des prêtres n’ont pas un esprit ‘macho’. Elle décèle toutefois une mentalité de fond dans l’Eglise, qui maintient les femmes dans un sentiment d’infériorité. «Ce n’est pas lié seulement à l’Eglise, mais au fonctionnement de la société, qui est encore marquée par des préjugés patriarcaux. Lorsque j’ai annoncé à mes parents que je voulais entrer dans une communauté religieuse, mon père m’a dit: ‘Tu veux faire bonne du curé?’ Une perspective, dans sa vision des choses, clairement dégradante.»

Voir les personnes que d’habitude nous ne voyons pas

Sœur Isabelle espère donc que les protestations des religieuses du Vatican serviront à faire avancer le débat au sein de l’Eglise. «Il y a dans l’Eglise des zones qui doivent encore être converties. Et je pense que celle du regard sur les femmes en est une. La remise en question doit se produire au niveau des prêtres et des prélats, mais également au niveau des congrégations et des religieuses elles-mêmes. Cela implique une éducation à la liberté intérieure qui n’est parfois pas facile.»

Sœur Donegani met ainsi beaucoup d’espérance dans la volonté de réforme du pape François. Le pontife avait d’ailleurs rendu publique, le jour même de la parution de l’article, sa lettre de remerciement à l’écrivaine espagnole Maria Teresa Compte, auteure du livre Dix choses que le pape François propose aux femmes. Dans cette lettre, le pape appelle à un renouvellement anthropologique qui prenne en compte les identités féminine et masculine, dans leur sensibilité culturelle contemporaine. «Si ces religieuses n’avaient pas senti que le pape François se souciait de leur condition, cette parole n’aurait sans doute jamais été libérée», souligne Isabelle Donegani. «Il ne s’agit pas de jeter la pierre à l’Eglise, mais de réfléchir ensemble aux modes de fonctionnement dont nous avons hérité, voir enfin les personnes que nous ne voyons d’habitude pas, apprendre à considérer l’autre -les femmes plus particulièrement – dans sa pleine dignité».


Des réactions contrastées au sein de la curie

Selon l’agence I.MEDIA, l’article a provoqué des réactions contrastées au sein de la curie romaine.

Dans le quotidien italien Il Corriere della serra du 4 mars 2018, Sœur Carmen Sammut, présidente de l’Union internationale des supérieures générales, affirme effectivement qu'»au Vatican, on ne nous consulte jamais».

Mais d’autres voix sont discordantes. Ainsi, pour une religieuse responsable à la curie romaine, cet état des lieux «ne correspond pas à la réalité qui est autre». Elle souhaite ne pas accorder «trop d’importance» à la polémique.

D’autres personnes proches du secteur mettent aussi en avant que les religieuses vivant aux côtés d’un cardinal s’occupent de l’entretien du logement contre un salaire, et la possibilité d’être logée gratuitement. Une sœur vietnamienne, logée par un cardinal, explique ainsi qu’elle peut de cette façon suivre des études d’infirmière. Quant à l’entretien des bureaux du Saint-Siège, ils sont effectués par des laïcs, dépêchés par des entreprises privées.

Selon I.MEDIA, la réalité du phénomène reste donc à préciser. Pour une spécialiste du Saint-Siège, si «de telles situations peuvent être avérées», elles ne «représentent toutefois pas la norme» dans l’Eglise. (cath.ch/vnews/imedia/ah/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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