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APIC – INTERVIEW
Rencontre avec Philippe Maillard, aumônier de prison à Lille (050994)
17 ans entre les plus durs des hommes…
Glovelier, 5septembre(APIC) Ancien aumônier à la prison de Lille – il
vient de quitter son ministère dans le milieu carcéral – le Père Philippe
Maillard, 75 ans, était présent ce week-end dans le Jura pour la clôture de
la Quinzaine de la famille. Avocat de formation avant d’entrer chez les dominicains, co-auteur du livre « Le rebelle » paru en 1989, fondateur à Lille
du Foyer Jéricho, qui permet aux jeunes de reprendre pied après leur sortie
de prison, Ph. Maillard a côtoyé durant 17 ans de nombreux détenus. Il parle ici de son expérience. En expliquant d’abord ce qu’attendent d’un prêtre
les prisonniers. Notre interview.
Ph. Maillard: Les détenus attendent plusieurs choses… La première,
c’est un certain nombre de services: un peu d’argent, des cigarettes, donner des coups de fil à leur place, s’occuper de leur sortie. La seconde, la
plus importante, une personne à qui parler. Une écoute. Quelqu’un que l’on
sait discret et qui n’a rien à voir avec le système. Enfin, ils attendent
l’homme de Dieu, de Jésus-Christ. La plupart ne sont jamais allés à la messe, ni au catéchisme, mais ils sont touchés par le Christ. Ils font l’apprentissage de la prière. Je dis trois messes tous les dimanche:s une chez
les femmes, une à la maison de détention et l’autre à la maison d’arrêt.
J’ai découvert qu’un homme ne peut commencer un chemin de conversion que
le jour où il s’est avoué sa faute. Ce jour-là, il reconnaîtra qu’il a besoin du Christ pour être sauvé.
APIC: Vous avez créé pour les jeunes le Foyer Jéricho. Quel est son
fonctionnement?
Ph. Maillard: Le problème de la prison est grave et difficile… celui
de la sortie l’est plus encore. C’est précisément le rôle de l’aumônier de
les suivre. Jéricho, c’est une petite maison dans laquelle on peut accueillir une vingtaine de jeunes sans logement. Ils ne savent rien faire… il
faut les reprendre à zéro dans des petits ateliers où ils apprennent à travailler. C’est un long parcours de rééducation car ils ne veulent pas se
donner tant de mal pour gagner si peu d’argent alors qu’un « casse » ou la
vente de drogue sont nettement plus payants. Le problème de Jéricho? La
maison abrite 60% de drogués. Il faudra par conséquent s’interroger sur la
pédagogie à appliquer.
Qui sont les jeunes délinquants qui arrivent en milieu carcéral? De quoi
ont-ils manqué?
Ph. Maillard: Il y a quinze ans, ces jeunes avaient fait des conneries.
Ils venaient là pour payer. Aujourd’hui, ce sont des jeunes des banlieues.
Ils n’ont jamais travaillé, n’ont jamais vu leurs parents travailler, parce
qu’enfants de chômeurs, d’alcooliques ou enfants sans père. Ils sont allés
à l’école mais n’y ont rien appris. Ils n’ont jamais connu la loi dans
l’amour mais dans la répression… Analphabètes pour la plupart, habités
d’un sentiment d’exclusion complète… Il n’y a aucun avenir pour eux.
Alors ces jeunes vivent la prison comme une confirmation de leur exclusion,
dans la rancoeur, l’amertume, la violence. On casse, on injurie les surveillants. L’état d’esprit est très mauvais. Ils se retrouvent entre eux,
rencontrent des anciens. Le « H » est en vente libre, la drogue dure est présente.
Dans les prisons, on ne fout rien. A Lille, ils sont 1’200 entassés dans
une prison construite pour 500 détenus. Ils sont jour et nuit à quatre dans
une cellule de deux à regarder la télévision. Reste que pour un certain
nombre d’entre eux, c’est un temps de réflexion. Ils rencontrent des « psy »,
des aumôniers, des éducateurs. Cela peut être un temps de maturation.
Je suis en dialogue avec les responsables de l’administration pénitentiaire. On ne peut pas se passer de prison, certes, mais je souhaiterais
que les peines soient beaucoup plus courtes et plus sévères: à l’isolement,
sans TV, sans cantine. Avec des lieux de paroles où ils peuvent s’interroger sur eux-mêmes. Et des éducateurs qui pourraient les attendre à la sortie.
Ceux qui ont le plus de chance sont ceux qui ont une « nana », ou une femme et des enfants. Parce que pour eux, ils font des choses qu’ils ne feraient pas pour eux-mêmes. Un gars me disait dernièrement: « ce qu’il y a de
plus terrible en prison, c’est de ne pas avoir vu grandir mes enfants ». A
sa sortie, il a fait un nouveau gosse à sa femme. Et il va se tenir bien.
APIC: Qu’est-ce qui donne la force d’affronter les plus durs d’entre les
hommes?
Ph. Maillard: Je me sens mieux avec eux qu’avec les gens de mon milieu.
Cela me manque d’avoir arrêté d’être aumônier de la prison depuis trois
mois. Au début, j’y suis allé à contre-coeur. J’avais la trouille. Aujourd’hui, j’y suis à l’aise. Un jour, je suis allé voir un « mec » à la demande de sa femme. Il m’avait reçu froidement. J’y suis retourné huit jours
plus tard… et il m’a accueilli les bras ouverts. A mon étonnement, il m’a
répondu: « Je me suis renseigné, parce que des curés, il faut se méfier ».
Nous sommes devenus de grands amis. (apic/propos recueillis par Michèle
Fringeli/pr)
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