Pâques, et puis la Coupe du monde

Avec l’âge, je fais l’expérience croissante de l’entrecroisement des calendriers. Certains de mes collègues ecclésiastiques semblent vivre selon le rythme unique du calendrier liturgique.

Ils y sont naturellement conduits et poussés par la cadence des fêtes religieuses. Les paroissiens et les laïcs arrivent-ils à s’aligner sur de tels schémas? Cela dépend bien sûr de leur degré et de leur taux d’insertion dans ce qu’on appelait autrefois «l’histoire du salut» ou «l’histoire sainte». Nous avons appris que la semaine, au sens religieux du terme, commence le dimanche; mais nous avons plutôt tendance à considérer le lundi comme le premier jour effectif de la semaine concrète. Deux temps émergent ainsi, délimitant la différence entre le temps spirituel et le temps profane, entre le kairos et le chronos.

Nos agendas modernes attestent assez bien cet éclatement. Notre temps pratique lui-même est en effet décortiqué en toutes sortes de temps. Les historiens distinguent le temps long et le temps court. Quand nous parlons de la Deuxième guerre mondiale ou même de mai 68, nous évoquons des périodes déjà très lointaines, Nous nous en rendons bien mieux compte lorsque nous en parlons à nos petits-enfants ou à nos élèves, qui n’étaient pas nés, par exemple, en 1968. Mais la décomposition du temps ne dépend pas que du nombre d’années nous séparant d’un événement ou d’une époque. Le temps se démarque aussi par son contenu ou par sa qualité. Nous percevons les vacances comme un temps très différent des moments où nous travaillons.

«Il arrive que des chrétiens oublient de penser à Pâques»

La retraite est vécue sur un tout autre mode que la vie professionnelle prise dans sa totalité. Le temps travaillé s’oppose au temps férié, comme l’activité s’oppose au repos ou au loisir. A bien y regarder, nous observons encore bien d’autres modalités de notre existence temporelle. Si je suis passionné de tennis, la date des grands tournois scande les compétitions en cours et structure mon attention de spectateur ou de téléspectateur. Si, par contre, je mets l’essentiel de ma passion sportive dans le football, c’est l’alternance récurrente des championnats nationaux ou continentaux et des championnats du monde par équipe nationale qui focalise mon intérêt.

Pour le dire en termes plus provocants, il arrive que des chrétiens, pourtant élevés dans le rythme sécurisant et apaisant du calendrier liturgique et des fêtes chrétiennes, en oublient parfois de penser à Pâques, à Pentecôte ou à la Trinité, tant ils sont entièrement mobilisés par la finale de la coupe de Suisse de football ou par la finale des Championnats du monde de football. Pardon, ami lecteur, de vous livrer, en ce temps pascal, des pensées aussi impies et aussi déplacées. Peut-être suis-je le seul, pauvre de moi, à connaître des tentations aussi misérables? Mais il faut bien, n’est-ce pas, que les pécheurs livrés au siècle trouvent, parfois, dans la profanité des temps des signes d’encouragement et des symboles de rédemption.

Denis Müller

27 mars 2018

Portail catholique suisse

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