Zurich: La Réforme protestante fut une 'révolution de l'image'

Pour Niklaus Peter, la Réforme protestante fut d’abord une révolution de l’image. Le pasteur du Fraumünster l’explique en parcourant l’exposition «Dieu et les images Questions controversées de la Réforme» au Musée national suisse de Zurich.

La Réforme n’a pas été seulement une attaque contre les images. Elle a créé ses propres représentations qui influencent encore aujourd’hui la vision des protestants. Ainsi les portraits des réformateurs étaient très prisés à l’époque. Ulrich Zwingli, le réformateur de Zürich dont on ne possède pas de portrait de son vivant constitue une exception, explique Niklaus Peter.

Le portrait peint par Hans Asper, en 1549, qui ouvre l’exposition, représente le réformateur zurichois de profil, couvert d’une coiffe noire et une bible à la main. «Sur cette peinture Zwingli apparaît sévère, étrange et sans joie. Cette représentation a influencé son image publique. Malheureusement d’une manière qui ne plait pas», commente le pasteur du Fraumünster.

A l’inverse, Martin Luther poursuivit une véritable stratégie de l’image. Le réformateur allemand agit en la matière presque comme les hauts prélats catholiques. Il engagea les meilleurs peintres, comme Lukas Cranach, pour se placer sous la meilleure des lumières, comme un noble, comme traducteur de la Bible au château de la Wartburg ou enfin comme père de famille: «Un type énergique. On voit sur son visage sa personnalité et sa vitalité», analyse Niklaus Peter. On compte plus de 500 portraits de Luther qui ont servi la propagation de la Réforme, mais aussi le culte de la personnalité. En ce sens, la Réforme est aussi une révolution de l’image.

Sur son portrait officiel, Zwingli tient en main la première bible populaire qu’il a fait publier en 1531. Sa traduction dans la langue vulgaire est la plus grande œuvre de la Réforme. L’ouvrage de Zwingli n’agit pas seulement par la parole écrite, mais aussi par ses célèbres gravures sur bois de Hans Holbein qui l’illustrent.

La querelle des images

Une des principales querelles de la Réforme se joue autour du rôle des saints et de leurs représentations. Zwingli fait écarter des églises les représentations et les statues des saints. Pour lui, les fidèles ne doivent pas vénérer les images, mais trouver une foi pure. Pourtant, Zurich ne connaît pas de déchaînement iconoclaste. Les statues retirées des églises furent restituées à leurs donateurs ou vendues au profit d’œuvres sociales, explique Niklaus Peter.

La «Vue de la ville de Zurich» constitue un exemple très intéressant du rapport des réformés avec les images. Les panneaux originaux peints par Hans Leu entre 1497 et 1502 représentaient des épisodes du martyr des saints patrons de la ville, Félix et Régula, avec en arrière-plan un panorama de la cité. En 1524, Zwingli fit enlever le retable de la chapelle des douze Apôtres du Grossmünster. Mais on trouvait cette vue de la ville si belle qu’en 1566 on chargea Hans Apser de transformer la peinture en recouvrant les personnages et en complétant le panorama. Jusqu’au XXe siècle, les spectateurs ne virent donc que la vue de la cité. Il fallut attendre une nouvelle restauration en 1936-37 pour voir réapparaître Felix et Regula. Pour Niklaus Peter cette affaire illustre le fait que durant la Réforme de nouvelles images furent créées mais confinées au domaine profane.

Des reliques protestantes

Une des salles suivantes présente les souvenirs de Zwingli. A savoir son casque et son épée qu’il portait lorsqu’il fut tué au combat à la 2e guerre de Kappel en 1531. La provenance de cette épée n’est pas très claire, mais elle parvint à Zurich après la guerre du Sonderbund en 1847 et fut exposée à l’arsenal. «Cette épée est pour ainsi dire une relique protestante», commente Niklaus Peter avec un clin d’œil.

Jean Calvin, réformateur mort à Genève en 1564, sera lui beaucoup plus radical. Il interdira de rendre public le lieu de sa sépulture, voulant ainsi empêcher que ses disciples viennent en en pèlerinage sur son tombeau.

Débat sur la Sainte Cène

La question de la signification de l’eucharistie est une des autres querelles de la Réforme. Entre catholiques et protestants bien sûr, mais aussi entre Luthériens et Zwingliens. Le thème est au centre d’un tableau de grand format peint en 1561 pour l’église de Torslunde, au Danemark. Dès 1525, les deux réformateurs se sont opposés dans des lettres sur l’interprétation de la Sainte Cène. Cette image luthérienne présente une tendance très ‘catholique’. On y voit les fidèles à genoux recevoir l’hostie dans la bouche exactement comme pour une messe catholique, analyse Niklaus Peter.

A la présence de Jésus dans l’hostie, la Réforme oppose l’image de Jésus comme prédicateur au milieu de ses disciples ou d’enfants. C’est ce qu’illustre, vers 1537, le tableau de Lukas Cranach, conservé au Musée d’Erfurt, en Allemagne. Jésus est entouré d’un groupe de jeunes femmes et de leurs nombreux enfants qu’il bénit ou prend dans les bras, tandis que les apôtres récriminent à l’arrière plan.

Si elle bannit les représentations des saints et les sculptures des églises, la Réforme ne renonce donc pas aux images. Elle vénère moins le sacré et insiste plus sur l’aspect humain et profane. Mais elle garde une parfaite conscience de l’utilité de l’image dont elle fera un large usage pour sa propagation. (cath.ch/vr/mp)


Exposition: Dieu et les images. Questions controversées de la Réforme (2.2 au 15.4 2018)

Maurice Page

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