Denis Moreau: Comment peut-on être catholique aujourd’hui?

Dans son dernier livre, le philosophe Denis Moreau donne les raisons de son attachement à la foi catholique à une époque où elle est souvent considérée comme le signe d’un archaïsme. Une foi qu’il considère comme un effort énorme et inlassable, mais un effort qui apporte la joie.

La question n’est pas une provocation. Elle évoque le regard de surprise, voire de dédain qui est souvent adressé à ceux qui osent encore proclamer leur foi catholique. Chacun l’aura remarqué: si annoncer que l’on est bouddhiste, suscite la sympathie voire une admiration pour la quête spirituelle qu’elle suppose, proclamer sa foi catholique est souvent accueilli comme le signe d’un traditionalisme suspect.

«Je voudrais promouvoir un catholicisme affirmatif plutôt que réactif.»

Alors qu’il y a 300 ans, c’était à l’athée d’apporter la charge de la justification de son opinion étonnante, aujourd’hui c’est au catholique de le faire. Confronté au regard suspicieux de ses contemporains, le philosophe Denis Moreau, tente dans son dernier livre de donner quelques raisons intemporelles et modernes, à sa foi.

En philosophe faisant usage de la raison, il répond chapitre après chapitre à toutes les objections qui lui sont faites face à la proclamation de sa foi. L’une des premières objections vise à ramener sa foi à un conformisme par rapport à l’éducation reçue.

A cela, Denis Moreau objecte que l’homme est toujours le produit d’une culture et que l’éducation n’est pas une aliénation à partir du moment où elle a été faite dans un esprit d’ouverture qui permet précisément, lorsque l’âge adulte arrive, d’exercer sa liberté.

L’autre objection principale consiste à rappeler qu’avec la raison, la foi s’effondre comme un château de cartes. Denis Moreau expérimente au contraire que la raison et la foi s’entremêlent dans l’existence et que l’univers de la foi, du mot fides, confiance en latin, s’étend à tous les domaines de la vie, de la paternité d’un enfant à une conviction politique.

Après avoir analysé, avec les anciens, les preuves de l’existence de Dieu, les dimensions ontologique et cosmologique, Denis Moreau quitte la justification de la foi en général pour passer à l’attachement à la religion chrétienne en particulier.

Un effort qui apporte la joie

Car pour lui, foi et christianisme sont intimement liés. S’il croit, c’est d’abord en raison de la figure du Christ, homme qui n’était ni une autorité religieuse ni morale, mais qui a révélé comment la présence de l’amour était précisément celle de Dieu, son père. «Je dirais à ceux qui parlent d’amour, que Dieu est là et c’est ce Dieu là qu’est venu nous montrer Jésus qui, par sa parole et ses actes, nous a parlé comme personne d’amour».

A ceux qui objectent que la religion est une belle histoire pour cesser d’avoir peur de la mort, il rappelle que le Christ a offert sa vie par amour et que la résurrection projette sur la vie, une lumière qui ne craint plus la mort. Mais Denis Moreau reconnaît une écharde dans la proclamation de sa foi: le mal. Non pas seulement le mal qu’a commis l’Eglise, mais l’existence même du mal sur terre. S’il assure pourtant qu'»il reste catholique malgré l’existence du mal», il rajoute avec Jacques Julliard qu’entre la gauche qui ne croit pas au péché originel et la droite qui ne croit pas à la rédemption, il se veut un catholique de gauche qui connaît l’existence du mal.

Enfin, à tous ceux, si nombreux lorsqu’il assure être catholique, qui disent qu’il a bien de la chance d’avoir la foi – comme si la foi vous tombait dessus -, il répète qu’elle est avant tout un effort, un effort énorme et inlassable, mais un effort qui apporte la joie.


«Il y a un risque de ghettoïsation volontaire chez les catholiques»

Votre livre se développe sous la forme de plaidoyer défensif. Vous sentez-vous en tant que catholique de plus en plus isolé?

Isolé, non, mais minoritaire, oui. C’est une évidence sociologique. Mais c’est aussi vrai intellectuellement parlant: être catholique apparaît comme une bizarrerie datée, notamment dans les milieux intellectuels où j’évolue. Beaucoup de nos contemporains, dont il n’y a pas lieu de suspecter la bonne foi ou l’intelligence, ne comprennent plus comment et pourquoi on peut (encore) adhérer à une telle vision du monde. Dans cette situation, il est important de prendre le temps de s’expliquer sur sa foi, de façon calme et pédagogique. Mais je ne crois pas que «défensif» soit le bon qualificatif pour mon livre, ou alors simplement au sens où on «défend» des idées. D’abord, je ne me sens pas spécialement attaqué, je trouve qu’il est facile de vivre sa foi catholique en Europe. J’ai surtout voulu écrire un livre affirmatif, positif, joyeux.

Quelle est selon vous la principale menace qui pèse sur l’avenir du catholicisme?

A long terme, je m’interdis le pessimisme: l’espérance trône haut au panthéon des vertus chrétiennes. A court terme, je me demande si la principale menace pesant actuellement sur le catholicisme en Europe ne vient pas de lui-même. Il y a bien sûr les scandales de pédophilie, mais de manière plus globale, je regrette une certaine dérive «grognonne», chagrine, des catholiques, se plaignant d’être incompris et critiquant la modernité. Ils donnent parfois l’impression de n’exister que par ce à quoi ils s’opposent. Nietzsche, parlant des chrétiens, frappe donc juste avec ce mot terrible: «Pour que j’apprenne à croire à leur Sauveur, il faudrait que ses disciples aient un air plus sauvé.» Je voudrais promouvoir un catholicisme affirmatif plutôt que réactif. Je crains aussi que certains catholiques se satisfassent trop de leur condition minoritaire qui possède des aspects confortables: il est toujours flatteur de demeurer dans l’entre soi de gens qui «pensent bien». Il y a donc un risque de ghettoïsation volontaire, d’une crispation identitaire sur une posture «contre-culturelle», de citadelle assiégée. Cela ne correspond pas à l’aspiration universaliste du catholicisme.

Quelles sont les personnalités du monde catholique auxquelles vous vous référez le plus fréquemment?

J’ai toujours présents à la pensée les figures des «grands charitables» qui marquent l’histoire du christianisme: François d’Assise, Vincent de Paul, et par exemple, au XXe siècle, Madeleine Delbreil, Jean Vanier, l’abbé Pierre, sœur Emmanuelle. Ils incarnent l’essentiel du message chrétien, ils vivent de cette charité dont brûlait Jésus, de cette miséricorde sur laquelle insiste le pape François. Intellectuellement parlant, et même s’il a mauvaise presse chez les catholiques, mon penseur de chevet est Descartes, en qui je vois un grand philosophe chrétien. Il y a quelques années, les collègues de l’Université catholique de Louvain avaient fait preuve d’une belle ouverture d’esprit en m’invitant pour défendre ce point de vue. Et je me reconnais dans la tradition du rationalisme chrétien où l’on peut ranger aussi bien les saints Augustin et Thomas d’Aquin que Jean-Paul II et Benoît XVI (tous deux étaient de bons philosophes). J’ai été soutenu dans ma foi par le témoignage d’intellectuels qui, de façon courageuse dans le contexte des années 1980, s’affichaient catholiques: par exemple, chez les philosophes, Jean-Luc Marion puis Rémi Brague, ou, chez les historiens, René Rémond et Jean Delumeau.

 

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

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