L'abbé Vincent Lafargue: curé d'une paroisse numérique

L’abbé Vincent Lafargue, curé d’Evolène, Hérémens et Vex (VS) est très actif sur le web. Il a un site, un compte twitter et cherche à rejoindre les gens sur le continent numérique où l’Eglise «doit être présente». A l’occasion du Dimanche des médias, il raconte son apostolat 2.0.

L’Eglise a le devoir d’être présente sur le continent numérique, avance l’abbé Vincent Lafargue, curé d’Evolène, Hérémens et Vex (VS). Il cite la célèbre expression du pape émérite Benoît XVI. «Ce continent doit être exploré et la foi doit y être présente».

Il a lui-même posé le pied sur ce continent en mars 2012 pour répondre à la demande des paroissiens de Monthey (VS) qui lui réclament ses homélies dominicales. Ne souhaitant pas passer son temps devant la photocopieuse, il pense à internet. Après une initiation, la configuration avec un ami et quelques semaines de «bidouillage», le site voit le jour: «ab20100.ch». C’est un succès. Les fidèles saluent l’initiative, certains impriment les homélies pour les amis qui ne sont pas encore connectés au web. La Parole se répand sur la toile.

Rejoindre les gens

Avec le début de cette cyber aventure se pose une question: «Comment rejoindre les gens?» explique l’abbé Lafargue. Tout en continuant à bricoler les modules de son site, à tester des couleurs, à tenter des expériences, le cyber curé cherche le meilleur moyen d’exploiter les outils disponibles sur la toile pour évangéliser ce continent numérique: sites, blogs, réseaux sociaux.

Le lancement, en décembre 2012, du site «l’Evangile à l’écran» est une des réponses. Avec une équipe œcuménique de théologiens, il propose chaque vendredi une réflexion sur la lecture de l’Evangile du dimanche. «Les commentaires ne sont pas signés: le but étant de mettre en avant la Parole de Dieu, non leurs auteurs». Les cinq compères ont travaillé un an sur le projet, la mise en ligne du site et la publication de commentaires avant de se rencontrer. «Nous avons communiqué par mail», sourit l’abbé Lafargue.

Conscients des différents publics à toucher, les théologiens du web publient également leurs réflexions sur une page Facebook. A cette époque, le réseau social est massivement utilisé par les jeunes. «Nous tutoyons les jeunes sur le réseau. Nous vouvoyons les adultes, lectorat majoritaire sur le site».

L’universalité du web

L’expérience est concluante. D’autant que les exégèses passent les frontières et atteignent le public francophone de Belgique et du Canada notamment. Un encouragement à poursuivre. Vincent Lafargue entrevoit déjà l’universalité et le potentiel que représente le web en termes d’audience.

Cette intuition devient une certitude au printemps 2013. L'»ab20100″ reçoit un appel téléphonique. Au bout du fil un homme, membre d’une petite communauté du fin fond du Canada où le prêtre ne passe que de temps en temps. Il lui demande s’il peut mettre en ligne son homélie du dimanche, de préférence avant 16h, heure suisse. Avec le décalage horaire, cela permet aux paroissiens d’échanger sur l’homélie au cours d’une liturgie. Ce que l’abbé a fait bien volontiers pendant trois ans.

«Avec internet, je suis dans la proposition. Les gens se servent… ou pas!». Ainsi le curé a-t-il élargi sa paroisse numérique en passant en revue tous les réseaux où il peut donner à lire et à partager l’Evangile. LinkedIn, où il publie l’Evangile du dimanche, Instagram où il partage des photos de nature, «la création, la cathédrale de Dieu», sous le hashtag #maisquefaitesvousenville.

En communion virtuelle et en union de prière

Il a aussi pensé aux selfies. Comment évangéliser sur ce mode? «Mes peoples sont les couples que je marie à l’église. Une manière sympa de mettre en avant ceux qui font le pari assez fou de se lancer dans la vie à deux devant Dieu. Je continuerai à le faire». WhatsApp lui a permis de créer, avec d’autres prêtres, un groupe des complies pour lutter contre la solitude des prêtres. «Nous nous donnons rendez-vous dans la journée. Le soir, nous sommes en communion virtuelle et en union de prière «.

L’homélie en 280 caractères

Twitter n’a pas échappé à notre cyber curé. Il évoque ses «twitthomélies», inspirées par Mgr Hervé Giraud, archevêque de Sens-Auxerre (France). Chaque matin, depuis cinq ans, il relève le défi de rédiger en maximum 280 caractères une homélie à partir d’un verset d’une des lectures du jour. «Je dispose ainsi d’un petit vecteur de communication de la Bible». Ces «twitthomélies» qu’il veut joyeuses sont une manière positive de démarrer la journée. «Twitter m’intéresse parce qu’on sert la Parole de Dieu. On n’est pas dans le star système que représente Facebook».

«Suicidé de Facebook? Non redevenu témoin»

En novembre dernier, l’abbé Lafargue prend une décision inattendue. Il renonce au réseau social Facebook sur lequel il était pourtant très actif et comptait jusqu’à 2’300 «amis». Il se dit beaucoup plus serein depuis. Motif de cette décision plutôt surprenante? Le risque de narcissisme, les «like» qui réveillent l’égo et induisent une certaine dépendance «qui s’accentue terriblement avec le smartphone». Les commentaires sans fin auxquels il ne peut s’empêcher de répondre.

Cette activité chronophage amène au voyeurisme et à l’exhibitionnisme. «Avec quel résultat? Je n’étais plus un bon serviteur de la Parole de Dieu. D’une manière contradictoire, le média était devenu l’immédiat: des fans ‘likent’ des homélies publiées depuis moins de 30 secondes, donc sans même les avoir lues! Autant de griefs auxquels s’ajoute l’impossibilité d’avoir un débat raisonnable sur des sujets complexes tels que le suicide assisté.

Une remise en cause a préparé cette décision. Ce temps passé sur le réseau est-il volé à la paroisse? Il est cependant encouragé par le vicaire général du diocèse à poursuivre sa mission dans sa paroisse numérique. Autre signe, lors de vacances en Corse, un inconnu l’aborde à la terrasse d’un café et l’invite  à continuer.

La complémentarité

«Internet ne remplace pas la présence à la messe, encore moins la communion. C’est complémentaire!» Le Christ a différents modes de présence: dans l’eucharistie, dans la prière. Pour Vincent Lafargue internet est un autre mode de présence du Christ. «On touche les gens aux périphéries et qui sont en Eglise de cette manière». L’Eglise vient par le web à des athées, à des gens sur le point de quitter l’Eglise. Les jeunes utilisent beaucoup les réseaux sociaux. C’est là qu’il faut aller les chercher!»

Les réseaux ont aussi l’avantage, par rapport aux médias traditionnels, de montrer une église moderne qui a évolué. «Le cinéma, la littérature en sont restés à Don Camillo. 60 ans de retard! C’est marrant mais tellement caricatural!»  Le cyber-curé a reçu une dizaine de témoignages de personnes qui sont revenues en Eglise grâce à internet. «Je mets toujours un point d’honneur à rencontrer les internautes qui me sollicitent».

Risque d’une Eglise virtuelle

Le prêtre n’écarte cependant pas le risque pour les fidèles d’une Eglise virtuelle, de pratiquer leur foi d’une manière individualiste, à l’exact opposé de ce que ce doit être la pratique chrétienne. Un véritable paradoxe! «A certains qui confient ne plus vouloir franchir le porche d’une église je leur dis: ‘prenez le risque!'» Idéalement, la messe sur internet est à suivre en communauté recommande le prêtre.

«J’avais pensé un temps à proposer un site pour une adoration permanente et en direct. Réflexion faite, c’était impossible. J’aurais montré une présence plus virtuelle que réelle». Le web a ses limites. Nous pratiquons une religion de l’incarnation et l’Eglise a toujours autant à dire là-dessus. Elle doit aussi poser des garde-fous.»

«Sans doute regarderons-nous bientôt la messe avec des lunettes de réalité augmentée mais sans l’eucharistie», avance-t-il, pessimiste. Un Christ virtuel, des images de la messe, une eucharistie à laquelle on assiste mais sans y prendre part… Largement de quoi alimenter de longs débats au sein de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. (cath.ch/bh)

Bernard Hallet

Portail catholique suisse

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