Brésil: L’Eglise au secours des migrants vénézuéliens

Chaque jour, des centaines de Vénézuéliens franchissent la frontière brésilienne pour rejoindre Boa Vista, la capitale de l’Etat de Roraima, au nord du pays. Fuyant la misère et le régime autoritaire de Nicolas Maduro, ces migrants sont confrontés à des conditions de vie très dures et ne peuvent guère compter que sur l’aide de l’Eglise catholique.

Comme chaque matin, une longue file d’attente s’est formée devant les locaux de la Police fédérale du poste frontière de Pacaraima. Les traits tirés et amaigris, assis sur leurs valises ou à même le sol, des centaines de migrants vénézuéliens, hommes, femmes et enfants, attendent de faire viser leurs pièces d’identité, de se faire vacciner et de retirer les documents qui leur permettront de déposer dans les trois mois une demande de statut de réfugié ou de résidence temporaire.

Au milieu de la file d’attente, René Santos Garcia attend son tour. Originaire de Ciudad Bolívar, à plus de 1000 kilomètres, cet homme de 31 ans au visage anguleux a fait le trajet en bus jusqu’à Santa Elena de Uiarén, la dernière ville avant ce poste frontière brésilien, à une quinzaine de kilomètres d’ici. «Je suis parti de chez moi il y a une semaine, en laissant ma femme et mes trois enfants explique t-il, en ayant du mal à contenir ses larmes. Ma mère, sa sœur et son beau-frère vivent également avec eux, car ils n’ont plus les moyens de payer leur loyer».

Un salaire mensuel pour un kg de poulet!

Technicien dans l’industrie pétrolière, René Santos Garcia avait une vie plutôt confortable au pays. «Mon emploi me permettait de subvenir tranquillement aux besoins de ma famille et d’aider mes parents. Mais en 2015, la situation économique a commencé à se dégrader. Aujourd’hui, au Venezuela, les gens meurent de faim et il n’est pas rare de voir les enfants chercher de la nourriture dans les poubelles. Nombreux sont ceux qui meurent de maladie car il n’y a pas de médicaments ou parce que les hôpitaux ne fonctionnent plus, poursuit René Santos Garcia d’une voie sourde. Quant aux prix, ils augmentent tous les jours. Il y a une semaine, un mois de salaire minimum ne permettait même pas d’acheter un kilo de poulet!»

500 à 1200 nouveaux migrants par jour

En 2017, d’après la Police fédérale brésilienne, 42’000 Vénézuéliens ont traversé, comme René, la frontière avec le Brésil pour fuir la misère économique et le régime politique autoritaire de Nicolás Maduro. Soit quatre fois plus que l’année précédente. Et le flux ne faiblit pas. Depuis janvier 2018, entre 500 et 1200 vénézuéliens franchissent en effet quotidiennement le poste frontière de Pacaraima. L’immense majorité de ces migrants tente ensuite de rejoindre la capitale de l’Etat, Boa Vista, à 215 km plus au sud. Les plus fortunés empruntent des taxis collectifs. Les autres marchent plus d’une semaine sous une alternance de soleil implacable et de pluie battante.

800 petits déjeuners offerts par un prêtre

Avant de se lancer dans ce périple éprouvant, les migrants vénézuéliens peuvent néanmoins compter sur le Père Jésus Lopez Fernandez, prêtre de la paroisse Sagrado Coração de Pacaraima. Depuis plus d’un an, ce prêtre espagnol de 74 ans offre chaque jour un petit-déjeuner à quelques 800 personnes, souvent leur seul repas de la journée. Le curé de cette petite ville de 12’000 habitants est le premier des nombreux représentants de l’Eglise catholique que les migrants vénézuéliens vont croiser sur leur chemin et à Boa Vista, la capitale. Pour lui, l’urgence est de répondre à la faim qui tenaille les corps.

Dormir sur les places publiques

A Boa Vista, 330’000 habitants, la situation est pire encore. Face au manque de structures d’accueil, les places publiques du centre ville se sont progressivement transformées en abris à ciel ouvert. Les plus «chanceux» vivent sous des tentes, y compris avec des enfants en bas âge. Les autres ont confectionné des abris de fortune à l’aide de morceaux de plastique noir. En l’absence de structures sanitaires, une odeur pestilentielle imprègne l’air chaud et humide de cette région amazonienne.

«Les conditions de vie ici sont terribles»

Maria Concepción Aranjuela (sur)vit ici depuis plus d’un mois. «Comme tous les autres, j’ai quitté mon pays pour fuir la misère, explique cette jeune femme de 24 ans, mère de deux enfants de 6 et 4 ans. En venant ici, je pensais que ma situation allait s’améliorer. Mais les conditions de vie sont terribles. Quand il pleut, tout est mouillé et les enfants sont malades. On ne peut pas cuisiner car il n’y a pas de bois. Et pour se procurer de la nourriture, on en est souvent réduits à mendier aux feux rouges et devant les supermarchés, ou bien aller dans les centres d’accueil de l’Eglise pour demander un peu de nourriture».

Une Eglise aux multiples missions

De fait, le diocèse de Roraima est aujourd’hui, avec de rares organisations non gouvernementales, le principal interlocuteur des migrants vénézuéliens. Une action qui comprend de multiples facettes, comme le souligne Mgr Mario Antonio da Silva, évêque de Roraima.

 

Le Centre des Migrations et des Droits Humains (CMDH) fait donc partie de ces structures que l’Église catholique met à disposition des migrants. «Notre principale mission est d’accueillir les migrants vénézuéliens qui viennent ici en ayant faim, explique Sœur Telma Lage, une religieuse missionnaire de la congrégation Notre Dame des Douleurs, avocate de formation et coordinatrice de la structure. Faim de pain, de justice, de dignité, de respect, de travail et de reconnaissance en tant qu’êtres humains».

Outre la distribution d’aliments et de vêtements, le CMDH accompagne les migrants dans la constitution de leur dossier de régularisation pour leur permettre d’accéder à la santé, l’éducation et l’assistance sociale. «Nous offrons également une aide juridique, notamment dans les nombreux cas d’exploitation dans le travail, souligne Sœur Telma Lage. Une mission aux multiples facettes mais animée par une volonté unique: «Nous sommes le reflet de l’amour de Dieu pour ces migrants, sourit-elle. Et cela passe nécessairement par la tendresse».

Des migrants exploités

De tendresse pourtant, il n’en est pas souvent question à Boa Vista. Surtout quand il s’agit de travail. «La ville n’offre pas beaucoup de possibilités en la matière, explique Cleyton Abreu, coordinateur du Service jésuite aux migrants. Donc la moindre opportunité est âprement disputée. Cela favorise surtout l’abus de certains employeurs qui exploitent cette main d’œuvre bon marché». Eduardo Pérez, 36 ans, professeur de géographie dans son pays, en témoigne. «Tous les matins, je vais à l’entrée de la ville pour proposer mes services comme manœuvre dans le bâtiment ou pour nettoyer des terrains. Le plus souvent -enfin pas plus d’une fois par semaine en moyenne- je suis embauché pour décharger des camions, pour un salaire maximum de huit réaux la journée (2,2 francs suisses)». Soit dix fois moins qu’un Brésilien.

Climat de xénophobie

Ces salaires de misère perçus par les migrants -quand ils ne sont pas tout simplement réduits à l’esclavage- sont de plus en plus souvent perçus comme une concurrence déloyale par les locaux. De quoi alimenter un climat de xénophobie de plus en plus ouvertement assumé. Insultes et agressions physiques constituent le lot quotidien de bon nombre des Vénézuéliens. La crainte de voir la situation encore s’envenimer a d’ailleurs été repris par Teresa Surita, la maire de Boa Vista. Au mois d’avril, cette dernière a en effet décidé de ceinturer les places publiques où se trouvent les migrants à l’aide de grandes palissades de bois.

Crise humanitaire

«C’est pour les protéger des jets de pierre des habitants!», assure l’édile. Elle affirme ne pas pouvoir faire face à l’afflux de migrants, mais admet aussi son refus «de voir que les places de ma ville sont des dépotoirs. Nous sommes confrontés à une crise humanitaire. Mais nous n’avons pas les moyens financiers et logistiques pour accueillir toutes ces personnes qui, je le reconnais, sont dans une situation dramatique. Nous ne pouvons tout simplement pas répondre à leurs besoins, en commençant par la santé et l’éducation. Tout cela doit être assumé par l’Etat fédéral». Un Etat que la maire assure avoir sollicité à de nombreuses reprises depuis 2015. Sans succès. «Il y a eu beaucoup de réunions, mais peu de résultats».

L’armée pour gérer les migrants

Depuis le mois d’avril pourtant, les choses semblent changer. La signature d’un décret (en février) par le président Michel Temer, a en effet permis de débloquer quelques 190 millions de réaux (52,8 millions de francs suisses). Au-delà de l’importance de l’enveloppe, c’est la désignation du ministère de la Défense pour gérer le dossier des migrants vénézuéliens qui interpelle, ou plutôt «inquiète» les représentants locaux de la société civile.

«L’armée a annoncé la création de plusieurs abris à Boa Vista et d’un centre d’accueil et de tri sur la commune de Pacaraima. Elle s’est engagée aussi à nourrir les gens qui se trouvent dans les abris actuels et futurs, précise Sœur Valdizia, une religieuse scalabrinienne qui travaille au sein de la Pastorale des migrants. Si nous nous réjouissons évidemment de la création de structures d’accueil, nous resterons néanmoins vigilants sur la gestion de ces lieux et sur le fait que la question des migrants reste dans le cadre de l’action humanitaire». Y compris le «programme d’intériorisation» qui prévoit l’envoi de migrants dans d’autres régions du Brésil… en fonction des propositions d’accueil -rares à ce jour- d’autres villes à travers le pays.

«L’Église va continuer à se mobiliser»

Pour les migrants, en tout cas, il y a urgence d’avoir enfin un toit et assez de nourriture. «La saison des pluies arrive, rappelle Mgr Mario Antonio da Silva. Et avec elle des conditions de vie encore plus précaires, avec le risque d’épidémies». Même s’il se dit satisfait de l’implication plus importante de l’Etat brésilien dans la gestion des migrants, il estime que la probable victoire de Nicolás Maduro aux prochaines élections présidentielles qui se tiendront le 20 mai au Venezuela va encore grossir le flux des migrants. «Il est donc important que le diocèse de Roraima continue à se mobiliser, car les migrants sont les fils et filles de Dieu. Comme nous». (cath.ch/jcg/rz)

Raphaël Zbinden

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