L’initiative monnaie pleine: un texte qui se trompe de cible

De tout temps, la création monétaire par les banques commerciales a fait peur. Déjà au 19e siècle un grand économiste anglais, D.Ricardo, pensait que la couverture de cette monnaie devait être réalisée à 100% en or.

C’est sous ce régime que nos pays ont vécu jusqu’à l’entre-deux guerres. Il a été abandonné en 1945 parce qu’il n’était plus praticable. Les réserves d’or des Banques centrales ne donnaient pas aux banques la flexibilité nécessaire dans leur politique de crédit. Est-ce à dire que la monnaie des banques est une grandeur virtuelle comme l’énoncent les tenants de l’initiative «monnaie pleine»?

Il est vrai que la monnaie bancaire est un nombre qui figure sur nos comptes. Mais pour autant elle est attachée à une réalité économique. Une banque ne fait crédit que s’il existe un paiement réel entre deux partenaires économiques. Si j’obtiens un crédit de construction, celui-ci ne sera activé que dans les versements aux maîtres d’Etat qui réalisent ma maison. Idem quand une entreprise demande un crédit pour payer ses salariés et ses fournisseurs. Cela signifie concrètement que tout dépôt créé par le crédit a une contrepartie réelle. Dans mes exemples ce sont les produits réalisés par les travailleurs, les maîtres d’Etat ou les fournisseurs. Cette vérité est confirmée par le fait que nulle banque ne peut payer ses dettes avec son propre crédit. Si elle veut régler une autre banque, elle doit obtenir de la monnaie de la Banque Nationale et donc s’endetter auprès d’elle ou céder des actifs qu’elle a préalablement acquis.

«Les ‘subprimes’ de sinistre mémoire se négociaient sur les marchés financiers»

Est-ce que le crédit des banques commerciales ne pose aujourd’hui aucun problème comme le suggèrent les explications du Conseil Fédéral? La réflexion oblige à infirmer ce propos optimiste. La capacité des banques à répondre de la monnaie créée chez elles par le crédit dépend entièrement de la solvabilité de leurs clients. Certes il existe une assurance sur ces dépôts (aujourd’hui jusqu’à 100’000 francs en Suisse) et la législation a durci depuis 2010 les obligations de fonds propres que les créatrices de monnaie doivent remplir pour exercer ce premier métier. Mais le risque de solvabilité ne vient pas de celui-ci. Il provient du second métier des banques: celui de prêteur et d’emprunteur sur les marchés financiers. Avec les dépôts de leurs clients qui sont leur véritable matière première, les banques prêtent et reprêtent à leurs congénères ou à des instituts financiers. Les »subprimes» de sinistre mémoire se négociaient sur les marchés financiers. Les titres émis pour la dette des Etats et les assurances correspondantes sont achetés et vendus sur ces marchés. Or la solvabilité de certains Etats qui pratiquent une fuite en avant de la dépense publique n’est pas garantie, comme ne l’est pas davantage celle de certaines officines financières privées. Ce sont ces marchés qui présentent les risques les plus élevés.

«Il faudrait un net durcissement des règles de solvabilité sur les marchés financiers»

Ainsi, l’initiative «monnaie pleine» se trompe de cible. Elle vise la création monétaire. Or il faudrait obtenir un net durcissement des règles de solvabilité sur les marchés financiers. C’est ce que dit un texte conjoint de la Congrégation pour la doctrine de la foi et du Dicastère pour le développement humain intégral (Oeconomicae et pecunariae questiones) paru tout récemment. Il préconise la création au sein de chaque banque d’un comité d’éthique chargé d’une mission nouvelle : contrôler la pertinence et l’absence de nocivité des produits financiers proposés sur les marchés comme on le fait pour les médicaments dans le domaine de la santé. Mais cet autocontrôle ne suffira pas. Il faut, comme le dit l’initiative, que «la loi organise les marchés financiers dans l’intérêt général du pays en réglant l’autorisation et la surveillance des produits financiers». C’est à cette condition que les banques abandonneront la finance  de casino qui est si dangereuse pour leurs clients.

Il est bien dommage que cette disposition de leur texte (art.99, alinéa 4c) soit placée dans l’ombre par les initiants eux-mêmes qui parlent dans leur plaidoyer de la seule monnaie pleine au détriment de la régulation des marchés financiers.

Jean-Jacques Friboulet

23 mai 2018

 

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