Olav Fykse Tveit: «Par sa visite, le pape reconnaît que nous sommes des Eglises»

Pour Olav Fykse Tveit, secrétaire général du Conseil œcuménique des Eglises (COE), la visite du pape François à Genève, le 21 juin 2018, équivaut à une reconnaissance de ses membres comme de véritables «Eglises». Le pasteur luthérien explique les enjeux de ce «pèlerinage œcuménique» du pontife dans la ville internationale.

Qu’est-ce qui va changer après la visite du pape?
La visite du pape vient en fait renforcer quelque chose qui existe déjà. Parce que l’excellente coopération et relation avec l’Eglise catholique romaine sont depuis longtemps une réalité. Il s’agit d’un partenaire très important pour le COE. Mais il est certain que cette visite sera un événement majeur, une «borne», à partir de laquelle il ne sera plus possible de revenir en arrière. A partir de ce point, nous devrons réaliser encore plus de choses ensemble, montrer de manière plus visible que nous avons une même foi et un agenda commun, pour un monde meilleur, pour plus de justice et de paix. Pas seulement à Genève, mais partout dans le monde. Nous voulons le faire en mettant un accent particulier sur les plus démunis, les plus pauvres, les plus marginalisés.

Le slogan de la visite est «marcher, prier, travailler ensemble»: cela se concrétisera-t-il également dans le domaine théologique?
Nous débattons des sujets théologiques au sein de notre commission Foi et Constitution, dont l’Eglise catholique romaine est membre à part entière. Et les textes qui y ont été produits l’ont été également sous l’influence d’une théologie catholique très positive. Je citerais notamment un document signé en 1982 sur le baptême, l’eucharistie et le ministère (BEM). Ce fut un travail très complet pour comprendre en fait ce qu’enseignent les diverses Eglises dans ces domaines. Il y a eu avec cela une immense convergence. Les Eglises ont réussi à trouver une expression commune beaucoup plus grande que ce qu’on aurait pu attendre.

«Le pape a le rôle d’inspirer les autres Eglises»

Depuis lors, nous nous sommes penchés sur la façon dont nous comprenons l’Eglise (universelle). Et c’est une question difficile. La principale pierre d’achoppement est la question de la primauté du pape. Doit-on être en communion avec le pape pour faire partie de l’Eglise universelle? Ces discussions continuent, pas seulement au sein du COE, mais également de manière bilatérale. Certains de ces dialogues sont allés très loin dans certains pays.

Mais pour vous, qui est le pape? Est-il l’évêque de Rome, le chef de l’Eglise catholique, le garant de l’unité chrétienne…?
En tant que secrétaire général du COE, je le vois comme le chef de la plus grande communauté chrétienne du monde. Avec une responsabilité particulière de préserver le lien entre les diverses communautés, connecter les fidèles à la foi et faire vivre l’appel aux chrétiens à servir le monde. Il a ainsi le rôle d’inspirer les autres Eglises, d’insister sur l’unité des chrétiens.

«Ce n’est pas une visite ‘d’affaires’, mais une visite à des frères et sœurs»

Mais aussi de mettre l’accent sur ce qui est important. Et le pape François le fait d’une façon très attractive pour les membres de nos Eglises. Notamment sur la façon de rendre l’Eglise pertinente pour les personnes, sur le souci des plus démunis, des oubliés. Nous avons un immense respect et une immense reconnaissance à son égard. Il est le représentant chrétien le plus connu, et celui qui bénéficie de la plus forte audience. Dans de nombreux domaines, je pense qu’il parle au nom de tous les chrétiens.

L’objectif final de ce pèlerinage est-il une adhésion de l’Eglise catholique romaine au COE?
Pas nécessairement. Le COE n’est pas une Eglise, contrairement à l’Eglise catholique. Dans ce sens, nous ne sommes pas des entités réellement comparables. Pour le COE, le but est de renforcer les liens entre les Eglises, pas de devenir une énorme institution. Il y a de nombreuses expressions de l’unité, au-delà de la fusion institutionnelle.

Ce rapprochement entre Eglises est peut-être facile vu de Genève ou de Rome, mais il peut l’être moins dans certaines parties du monde…
Vous savez, quand j’étais jeune, beaucoup de luthériens norvégiens pensaient que les catholiques n’étaient pas des chrétiens, ou en tout cas pas de vrais chrétiens. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Donc, même en Europe, les choses ont énormément évolué. Mais dans de nombreuses parties du monde, on trouve des situations où l’Eglise catholique est majoritaire, face à de petites Eglises protestantes, par exemple en Amérique latine. Bien sûr que là, la cohabitation est un défi. Mais dans des régions où les confessions sont plus paritaires, comme dans certains pays d’Afrique, les Eglises travaillent très intensément ensemble, parfois plus qu’en Europe, notamment pour la paix. Il n’a pas toujours été évident que nous soyons où nous en sommes aujourd’hui.

«Le pèlerinage reflète une volonté d’être en mouvement»

Pourquoi le voyage du pape est-il qualifié de «pèlerinage»?
Le pape François lui-même voulait également le considérer ainsi. Je pense qu’il voit cela comme une visite de foi, inspirée par Dieu. Ce n’est pas une visite «d’affaires», mais une visite à des frères et sœurs. Cette métaphore du pèlerinage reflète aussi notre volonté d’être en mouvement, de changer, cette ouverture vers les autres.

En 2000, le Vatican a émis le document Dominus Iesus, selon lequel les autres confessions chrétiennes ne seraient pas des «Eglises», mais des «communautés ecclésiales». L’un des objectifs de la visite est-il de donner une autre dimension à ce document?
Tout d’abord, il y a plusieurs façons d’interpréter Dominus Iesus. Certains voient ce texte comme un document interne à l’Eglise catholique romaine, destiné à renforcer la cohésion. Lu de l’extérieur, le document a eu une résonance certainement au-delà de ce qui était attendu.

Quoiqu’il en soit, le «langage corporel», si l’on peut dire, de la visite du pape à Genève est, par rapport à cela, significatif: le pape vient de Rome, nous trouver, nous le COE, une communauté d’Eglises. C’est pour nous une forte reconnaissance du fait que nous sommes réellement des Eglises, et que nous avons quelque chose en commun. Dans le public, cela aura certainement une forte résonance en ce sens et demeurera dans les esprits. Et, en contrepartie, nous reconnaissons, nous aussi, l’Eglise catholique romaine comme une Eglise à part entière. Un aspect qui, pour certains membres du COE, n’est peut-être pas si évident. (cath.ch/protestinfo/rz/jb)

cath.ch a rencontré Olav Fykse Tveit au siège du COE à Genève, le 15 mai 2018. L’interview s’est réalisée à cette occasion de manière œcuménique, en partenariat avec l’agence d’information protestante Protestinfo.

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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