4’000 mots pour dire toute la Bible

APIC – Interview

Rencontre avec Soeur Lydie Huynh Khac Rivière

Traductrice de la Bible en français fondamental

Maurice Page, Agence APIC

Fribourg, 21novembre(APIC) La Bible n’est pas un outil de piété, mais une

parole qui interpelle pour changer le monde. Elle n’est pas réservée aux

lettrés, tous doivent y avoir accès, même les gens les plus simples et sans

instruction. En traduisant la Bible en français fondamental, Soeur Lydie

Rivière a mis en pratique cette conviction. Avec 4’000 mots, soit le dixième de ceux que compte un dictionnaire courant, et une structure très simple

elle a décortiqué le Livre des livres pour l’offrir à tous ceux qui ne possèdent que les rudiments de la lecture, aussi bien en Europe qu’en Afrique.

A l’origine, le projet de Bible en français fondamental s’adressait aux

Africains pour qui le français est à la fois la langue véhiculaire et celle

de la formation. Les pays francophones de souche n’ont pas manqué cependant

de s’y intéresser, en particulier depuis qu’on a commencé à se pencher sur

la question de l’illettrisme dans les pays développés.

« Comme jeune religieuse, rien ne me destinait à l’Afrique ni à la traduction de la Bible », avoue Soeur Lydie. Après des études de philosophie et

de lettres modernes en France, Soeur Lydie, de la communauté des Xavières,

enseigne durant dix ans dans un lycée d’Etat en France. Le premier appel,

celui de l’Afrique, la propulse en 1972 à Abidjan, en Côte d’Ivoire dans un

institut de développement fondé par les jésuites dans les années 60. On lui

demande d’adapter pour les Africains des traités d’agriculture et des ouvrages pédagogiques en français fondamental. « J’ai dû moi-même me mettre à

l’école. Je suis tout à fait autodidacte dans ce domaine. J’ai pris un dictionnaire de français fondamental et je me suis mise au travail 8 heures

par jour. »

Le français, langue véhiculaire pour 18 pays d’Afrique

Un travail dont l’importance pour le développement n’avait pas échappé à

ses supérieures. Dans 18 pays d’Afrique, le français est la langue de communication principale. Les gens qui n’ont accompli que la scolarité primaire sont cependant souvent loin de le maîtriser parfaitement. Le français

fondamental, avec ses 4’000 mots et sa structure très simple, répond à

leurs besoins.

« Au bout de quatre ans, je me débrouillais assez bien. » Des prêtres connaissent son travail et lui demandent d’adapter des textes liturgiques en

français fondamental. Le second appel, celui de la Bible, est lancé. « Cette

idée ne m’était pas venue à l’esprit. Ce fut vraiment une demande de la base ». En 1978, la Commission épiscopale de catéchèse et de liturgie d’Afrique de l’Ouest lui demande officiellement de traduire la Bible en français

fondamental. La publication, avec le soutien de l’Alliance biblique universelle (ABU), des divers livres du Nouveau Testament (NT) d’abord, s’échelonne durant 15 ans. En 1991, les Evangiles et les Actes des Apôtres ont pu

être offerts au pape et au COE. En 1993, le NT complet est édité en France,

La Bible complète est en voie d’achèvement. « Il reste encore les divers

contrôles par les conseillers en traduction de l’ABU, exégètes, biblistes

et linguistes », précise Soeur Lydie.

APIC – Interview

Le français fondamental se limite à un vocabulaire de 4’000 mots répértoriés dans un dictionnaire spécial. Un dictionnaire ordinaire en compte

40’000 environ. En plus du vocabulaire, la grammaire est également simplifiée. Les phrases ne doivent pas dépasser deux propositions, une principale

et une subordonnée. Comme dans le journalisme, elles ne doivent pas dépasser 16 mots. Le principe est de calquer la phrase sur la respiration, avec

des pauses suffisamment nombreuses et correctement placées. Les traducteurs

évitent ce que les Africains appellent les phrases « kilométriques ». La facilité de lecture à haute-voix est un critère déterminant.

Un autre principe, lui aussi proche de l’écriture journalistique, est

d’utiliser le présent de narration ou le passé composé en renonçant au passé antérieur, au passé simple, au futur antérieur, au subjonctif passé, ou

au conditionnel. Les verbes pronominaux et irréguliers, un des principaux

écueils de la langue française, sont aussi évités. Le pronom relatif ’dont’

(génétif), qui est très mal compris par les étrangers est sytématiquement

écarté. Les interrogations doivent être simples en évitant l’inversion.

La neige ressemble à du coton très blanc

La question du vocabulaire se double de celle du niveau de langage et du

niveau culturel, en particulier pour les Psaumes et l’Ancien Testament.

L’Afrique de l’Ouest par exemple ne connaît ni neige, ni montagnes, ni hiboux, ni hulotte, ni forteresse etc. Pour la neige, la traductrice avait

deux possibilités: soit de garder ce mot en estimant que les gens savent ce

qu’est la neige par les livres ou par la télévision et en disant en note

que la neige tombe du ciel quand il fait très froid, et qu’elle ressemble à

du coton très blanc. La seconde possibilité est de dire simplement: c’est

très blanc. Par exemple pour la lumière de la transfiguration qualifiée par

l’évangéliste de blanche comme neige. On peut aussi transposer les images:

les grêlons sont qualifiés de cailloux de glace. Si on dit glaçons, les

gens pensent à ceux qu’on met dans son verre. « Dieu ma forteresse » peut se

transposer en « Tu me protèges avec sûreté ». Selon le mot savant, il s’agit

du principe des équivalences dynamiques. Les choses fondamentales comme le

blé, la vigne et le raisin ont été cependant maintenues, car ce sont des

symboles qui courent dans toute la Bible jusqu’au Christ.

Pour le terme ’résurrection’ la solution était assez simple. Il suffisait de reconstruire le mot sur le grec qui signifie se relever de la mort.

Autre exemple de terme technique: la crainte de Dieu. La mentalité africaine a en général peur des dieux ou de Dieu. Si on traduit le mot crainte par

’peur’ on ne fait qu’ancrer ce sentiment négatif. Pour les exégètes, la

crainte de Dieu contient deux notions: le respect et l’amour. Le traducteur

peut donc écrire: respecter Dieu ou respecter Dieu avec amour. La géhenne

ou l’enfer, comme concept biblique, signifie selon les exégètes non pas un

lieu, mais un état dans lequel on se met librement: il s’agit du refus de

Dieu en toute connaissance de cause. La traduction a donné: lieu de souffrance ou ’vivre loin de Dieu pour toujours’.

Refus d’un langage exclusivement masculin

« J’ai appris le grec et l’hébreu, mais je me base d’abord sur la TOB

puis sur la Bible en français courant et la Bible de Jérusalem pour les

textes poétiques. J’utilise aussi la Bible du rabbinat, et la Bible interlinéaire c’est-à-dire la Bible en hébreu avec sa traduction anglaise. Cette

interlinéaire sert notamment à harmoniser le vocabulaire, car les textes

bibliques contiennent beaucoup de répétitions. » L’informatique est très

utile pour les contrôles finaux, numérotation, ponctuaction, cohérence.

« Sur le conseil d’un des correcteurs, j’ai introduit dans ma traduction,

un langage plus « inclusif ». Ainsi chaque mention « homme » a été doublée en

« hommes et femmes », « Frères » en Frères et soeurs » reprenant en cela la ’Bible des familles’ américaine. Je crois que cela apporte encore plus de profondeur au texte », relève Soeur Lydie.

La Bible en français fondamental est d’une grande utilité pour les traductions en langue locale. Les catéchistes, qui connaissent souvent très

bien la Bible, ont parfois beaucoup de difficultés à l’expliquer aux catéchumènes. Un jour, un catéchiste a saisi la Bible en français fondamental

et spontanément s’est mis à la traduire oralement dans sa langue. Un texte

écrit permet aussi d’éviter trop de rajouts ou de commentaires personnels.

En Afrique la Bible est non seulement un instrument d’évangélisation,

mais aussi de lecture. Une fois que les adultes sont alphabétisés, ils

n’ont plus rien à lire. Il y a très peu de littérature dans le niveau de

langue qu’ils possèdent. De plus les Africains sont très religieux, et très

attirés par la Bible. « Au départ j’ai été très étonnée, je pensais que la

Bible n’est pas un moyen, mais une fin. » En Afrique, le livre religieux

permet à la fois de lire avec une motivation spirituelle et de manière progressive. Comme en Amérique latine, les gens apprennent souvent à lire pour

proclamer la Parole à l’église.

La culture africaine étant essentiellement orale, l’écriture n’est venue

qu’avec la civilisation occidentale. La littérature africaine existe, elle

est même abondante, mais le niveau de langue reste trop élevé pour la

majorité de la population. Une deuxième raison est le prix. Les livres sont

chers alors que les ouvrages de la Société biblique sont vendus très bon

marché, à partir de 100 francs CFA (0,25 franc). Enfin dernière raison,

explique Soeur Lydie, les livres en français fondamental sont toujours imprimés en gros caractères ce qui permet de lire sans lunettes.

Les Pères de l’Eglise en français fondamental

« J’ai accompli le même travail pour une série de textes plus spécialisés, cette fois-ci en dehors de l’ABU. Le premier a été la Règle de saint

Benoit demandé par les religieuses et les religieux lors de l’Année St-Benoît. S’en est suivi avec l’aide d’autres traducteurs, une série de textes

spirituels des Pères de l’Eglise. On dispose aujourd’hui de 35 fascicules

édités par Mediaspaul allant d’Irénée à Tertullien en passant par Bernard

de Clairvaux, entres autres. Même les protestants s’en servent.

« Après cette longue fréquentation de la Bible, je suis convaincue que la

Parole de Dieu peut être vraiment pour l’Afrique et pour le monde un chemin

d’espérance et de courage », souligne Soeur Lydie. Mais pas n’importe comment. Il faut une catéchèse performante qui libère les gens de la peur et

de la corruption et leur donne le courage de lutter. Si on utilisait la Bible de façon prophétique, elle serait un outil de construction de l’homme,

et des peuples. La plupart des responsables politiques africains se disent

chrétiens, mais on constate que l’impact chrétien sur ces gens est souvent

nul. Parallèlement, on remarque un foisonnement de groupes de prière. Mais

ont-ils empêchés les Rwandais de se massacrer entre eux?

Pour la religieuse, il faut reprendre la perspective de la théologie de

la libération pour concrétiser le message chrétien dans les structures socio-politiques. La Bible n’est pas un outil de piété, mais une parole qui

interpelle pour changer le monde. La lecture de la Parole de Dieu, dans son

intrégalité, y compris l’Ancien Testament, doit promouvoir la paix, la justice et la réconciliation. La Bible reste plus révolutionnaire que le capital de Marx, même en Europe où les gens sont asphyxiés dans leur confort et

leur bien-être et où Dieu n’a plus de place. (apic/mp)

Des photos CIRIC de soeur Lydie sont disponibles à l’APIC 037/86 48 11

Encadré

Ci-dessous un exemple concret d’une traduction en français fondamantal tiré

de la revue « Bible Actualité » 4/93 éditée par la Société biblique Suisse.

webmaster@kath.ch

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/apic-interview-63/