Alors qu'ils fêtent leurs 150 ans, les Pères Blancs prennent des couleurs

Fondée en 1868 par le cardinal français Charles Lavigerie, archevêque d’Alger, pour l’apostolat auprès des musulmans, la Société des Missionnaires d’Afrique marque cette année les 150 ans de son existence. Rencontre avec le Père Gérard Chabanon, supérieur général des Pères Blancs de 2004 à 2010 et actuel provincial d’Europe des Missionnaires d’Afrique à Bruxelles.

Alors qu’ils vont fêter leurs 150 ans en inaugurant leur année jubilaire le 8 décembre prochain, les Pères Blancs prennent des couleurs, démographie oblige, plaisante Gérard Chabanon. Si, dans le passé, la Société des Missionnaires d’Afrique a regroupé jusqu’à 4’000 membres, elle n’en compte plus aujourd’hui qu’environ 1’200, et la relève se fait essentiellement dans les pays du Sud.

Les Pères Blancs occidentaux n’ont plus de relève

«A quelques exceptions près, les derniers candidats en Europe occidentale… cela remonte à 30 ans! Toutes nos maisons de formation sont en Afrique, à part celle de Jérusalem. Notre fondateur était prophétique: il disait que l’évangélisation des Africains se ferait par les Africains», note l’Auvergnat, né le 5 mars 1948 à Vals-près-le-Puy en Haute-Loire. Cath.ch l’a rencontré à Fribourg, à l’Africanum, où il avait effectué son noviciat en 1970-1971.

Grand connaisseur de l’Afrique – missionnaire en Tanzanie de 1976 à 1996, puis en Ouganda de 2011 à 2017 – le Père Chabanon a été supérieur général des Pères Blancs à Rome de 2004 à 2010. Les Missionnaires d’Afrique sont actifs dans plus de 200 communautés présentes dans 42 pays, dont 22 en Afrique. Actuellement, les Pères Blancs appartiennent à  36 nationalités, avec une moyenne d’âge proche des 68 ans.

Le vieillissement se fait surtout sentir dans les pays occidentaux, où il n’y a quasiment plus de vocations, tandis que plus de 250 jeunes confrères sont originaires des pays du Sud (Afrique, Asie et Amérique latine). Plus de 400 étudiants sont en formation dans les centres au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en RDC, en Ouganda, au Kenya, en Zambie et en Afrique du Sud.

Des missionnaires inculturés

Il rappelle que les Pères Blancs doivent ce nom au fait que la nouvelle société missionnaire avait pris l’habit arabe à ses débuts parmi la population algérienne: la gandoura, le burnous et la chéchia, avec comme signe religieux un rosaire porté autour du cou comme collier.

En effet, pour Mgr Charles Lavigerie, ces nouveaux missionnaires devaient parler la langue des populations locales, manger leur nourriture, porter leur habit. Très vite, Lavigerie veut que la Bonne Nouvelle soit apportée au-delà des frontières algériennes, l’Algérie n’étant pour lui qu’une porte ouverte sur le continent noir. C’est ainsi que les premières caravanes partirent pour l’Afrique centrale en mars 1878.

La rencontre avec les musulmans plus que jamais d’actualité

A l’origine, selon la volonté du fondateur, le premier but des Missionnaires d’Afrique est de tisser des liens de fraternité dans le monde musulman. La société missionnaire estime aujourd’hui plus que jamais que l’avenir de la planète est dans la rencontre et la prise en compte respectueuse des diverses traditions religieuses.

Depuis quelques années, déclare-t-il, l’influence djihadiste se fait sentir dans une grande partie de l’Afrique, avec des attentats sanglants dans plusieurs pays. Boko Haram sévit au Nigeria et dans les régions frontalières du Tchad, du Cameroun et du Niger. Les shebabs somaliens, qui contrôlent de vastes zones rurales en Somalie, commettent aussi des attentats au Kenya contre des bus ou, comme en avril 2015, contre l’Université de Garissa, une attaque qui a fait plus de 150 tués.

Les jeunes sans travail, cibles faciles des djihadistes

Dans ce pays, où la présence somalienne est très importante, les groupes terroristes peuvent facilement recruter des jeunes sans travail, et ainsi organiser des attentats. En Ouganda, pays que le Père Chabanon a quitté le 30 juin 2017, le gouvernement du président Yoweri Museveni est depuis longtemps très vigilant.

«Le pays est très surveillé, car les autorités ont pris conscience de l’existence de ce danger. Des cellules djihadistes ont été découvertes, mais il y a des cellules dormantes, qui pourraient agir en tout temps. Certaines ont été repérées à Kampala, des gens qui vivaient en cercle totalement fermé. De plus, les frontières sont poreuses, des groupes armés se déplacent depuis les pays voisins, comme les ‘Forces démocratiques alliées’, un mouvement djihadiste qui a commis des massacres dans la région du Beni-Butembo, en République démocratique du Congo. A la base, ce sont des Ougandais…»

Avant les djihadistes, il n’y avait pas de conflits religieux au Burkina Faso

En Afrique de l’Ouest, depuis le Mali et le Niger, des groupes djihadistes opèrent dans le Sahel au nord du Burkina Faso, ce qui a provoqué la fermeture de nombreuses écoles et une vague de réfugiés. Un directeur a été tué, ainsi que des enseignants et des élèves. Plusieurs écoles ont été brûlées depuis 2017, et plus de 200 établissements ont été fermés. «Avant l’apparition de ces mouvements, il n’y avait pas de conflits religieux au Burkina Faso !»

Dans d’autres régions, des prédicateurs répandent l’idéologie wahhabite et leur influence se voit par exemple dans la tenue vestimentaire ou dans le sectarisme de leurs discours et attitudes. «On voit de plus en plus de femmes portant un voile intégral…» Le Père Chabanon relève dans ce contexte l’influence grandissante de l’Arabie Saoudite, qui finance largement la construction de mosquées, d’hôpitaux, sans compter l’octroi de bourses d’étude.

La meilleure arme contre l’extrémisme: l’éducation !

Dans certaines régions d’Afrique, la violence est devenue «tentaculaire et multiforme», empoisonnant l’atmosphère. «Cette ambiance n’est pas favorable au dialogue interreligieux et suscite la méfiance de certains leaders religieux chrétiens. Il y a une crispation, une perte de confiance alimentée par les attentats terroristes qui engendrent la suspicion».

Mais le missionnaire d’Afrique refuse le fatalisme, car il y de nombreuses initiatives de gens courageux, qui organisent des rencontres entre les communautés. «La réponse au terrorisme n’est pas seulement militaire, mais avant tout culturelle. Le remède, c’est l’éducation !» Dans le cadre de leurs engagements pour la justice et la paix, les Pères Blancs animent en Afrique plusieurs centres qui travaillent dans ce but et qui font le lien avec le dialogue interreligieux et interculturel. (cath.ch/be)

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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