Somaliland: des paysans aisés devenus mendiants

Le visiteur du Somaliland, pays désertique, situé dans le golfe d’Aden, se rend compte immédiatement que le changement climatique est une réalité qui fait des ravages. Comme en témoignent ces paysans aisés devenus mendiants.

 Lorsque l’éleveur Abdullahi Hashi Yusuf parle de la grande sécheresse, même le désert semble retenir son souffle: pas un reproche dans sa voix, pas de colère contre le destin. Abdullahi pèse tous ses mots. Il met de l’ordre dans ses pensées. Il essaie juste de comprendre ce qui lui est arrivé, à lui et sa famille. «Nous ne manquions de rien», raconte ce berger de 52 ans. «Nous possédions plus de 450 bêtes, et nous vivions confortablement. Nous étions fiers. Il nous reste trois vaches. La sécheresse a fait de nous des mendiants.» Brutalement, sans merci. À Lamodheere, où Abdullahi a trouvé refuge avec ses deux épouses et ses enfants, le changement climatique n’est pas un sujet de palabre politique. Les hommes qui se réunissent un peu à l’écart de la place du village ne se préoccupent pas de savoir comment on fera ces trente prochaines années si la température augmente de deux ou trois degrés. Ils essaient d’organiser la survie de la communauté, ici et maintenant.

95% du cheptel décimé

Lamodheere se situe dans les hauteurs de Burao, la seconde ville du Somaliland, ce pays qui a proclamé son indépendance en 1991, mais qui n’est pas reconnu par la communauté internationale. C’est l’un des innombrables villages apparus ces trois dernières années. En langage gouvernemental et pour les oeuvres d’entraide, c’est un «IDP-Camp», un camp de déplacés. Ces nouveaux villages sont peuplés des nomades arrachés à leur vie. Ces réfugiés climatiques se sont installés là parce qu’il y a un peu d’eau, un puits, une berkade (réservoir). Des dizaines de milliers de familles nomades ont perdu les bases de leur existence ces trois dernières années à cause de la sécheresse.

À Lamodheere les éleveurs ont perdu 95% de leurs bêtes. Cette classe moyenne autrefois fière et prospère a basculé dans la pauvreté et la faim à cause de la sécheresse. C’est une tragédie pas seulement pour ces familles, mais pour tout le Somaliland, dont l’économie dépend essentiellement de l’élevage.

Pas d’équivalent dans la mémoire collective

Abdullahi nous conduit dans le bush. Là où il a transporté les carcasses des animaux morts pour les empiler. Chaque famille a fait son propre tas. Par moments, l’odeur était si pénétrante qu’ils ont dû arroser les cadavres d’une essence pourtant précieuse pour les brûler dans l’espoir d’éviter les maladies aux enfants.

Les hommes racontent tous la même histoire. Bien sûr, les sécheresses, il y en a toujours eu. Les plus vieux se souviennent de la catastrophe de 1974 lorsque le dictateur Siad Barre a fait évacuer des régions entières et a voulu obliger les éleveurs à devenir paysans et pêcheurs. Mais l’ampleur et la durée de la sécheresse d’aujourd’hui n’ont pas d’équivalent dans la mémoire collective. Cette sécheresse donne une nouvelle dimension à la misère.»Il fait de plus en plus chaud, et la pluie s’évapore avant de toucher le sol», explique Abdullahi Hashi.

Il fait cinquante degrés. Une situation temporaire? Les chercheurs qui font et étudient les modèles climatiques pensent que non. On ne reviendra pas en arrière au Somaliland. L’espoir des éleveurs qui comptent reconstituer leurs troupeaux d’ici trois à cinq ans sont irréalistes.

«Ou bien apprendre le métier de maçon ou de tailleur»

Les réfugiés climatiques de Lamodheere n’ont pas de plan. «On espère seulement qu’on pourra retomber sur nos pieds», dit Abdullahi. «Peut-être qu’on pourra reconstituer nos troupeaux. Peut-être qu’on devra acquérir d’autres compétences pour nous assurer un revenu. Peut-être devrons-nous apprendre à travailler la terre et à stocker l’eau, ou bien, il nous faudra acquérir le métier de maçon ou de tailleur. Nous aurons peut-être ainsi une chance de survivre.»

La vie d’un réfugié climatique au Somaliland est faite d’incertitudes. Sahra, l’épouse d’Abdullahi, ne se fait pas d’illusions. Elle a grandi dans une famille nomade et même la faim ne l’aurait pas poussée à s’enraciner en ville. Mais elle est persuadée que la seule option pour ses enfants est la formation professionnelle. Elle sait que c’est ainsi qu’on pourrait changer le pays : «Quand on a de l’argent, on a de quoi vivre, quand on n’a pas d’argent, on n’a rien. Je crois que nous devrons vivre en ville désormais. D’ici là cependant, elle espère encore que Dieu va les aider à traverser cette mauvaise passe. (cath.ch/caritas/mp)

Maurice Page

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