Concile de Constance: cinq ans pour changer la face du monde (2/2)

Le Concile de Constance (1414-1418), réuni à l’instigation de l’empereur Sigismond, mit fin au Grand Schisme d’Occident, à savoir l’existence de trois papes. Un pape unique, Martin V, y fut élu. Retour sur cinq ans exceptionnels qui changèrent la face de l’Eglise et de l’Europe.

14-18: des dates faciles à retenir. Mais ce ne sont pas uniquement celles de la Première Guerre mondiale. Ce sont aussi celles du Concile de Constance au début du XVe siècle: 1414-1418. Sur les bords du Bodensee, se régla une des crises les plus aiguës de l’Eglise, celle de la querelle des trois papes.

Durant cinq ans, Constance fut la capitale de l’Eglise. Sous l’autorité du roi Sigismond, elle supplanta Rome et Avignon. Elle réunit alors, grâce aux bons soins impériaux, les pères conciliaires – 300 évêques – et les «nationes» (les royaumes et duchés) de toute l’Europe, de la Scandinavie au rives de la Méditerranée, de l’Irlande aux actuels pays baltes. Y vinrent également les contestataires de l’Eglise, Jean Hus et son acolyte Jérôme de Prague.

Trois papes

Comment une ville d’empire devint-elle la capitale spirituelle et intellectuelle de l’Occident chrétien? «Constance était neutre, pas trop éloignée pour les pays du Nord. Elle avait des relations commerciales avec l’Allemagne. C’était donc une bonne combinaison, résume l’historien Henry Gerlach. De leur côté, les Anglais, les Français, les Suédois et les Allemands auraient refusé de se rendre en Italie».

Car de l’autre côté des Alpes, la dispute entre les pontifes était à son apogée. Jean XXIII a succédé à Alexandre V, élu à Pise en 1409 pour supplanter les deux papes concurrents. Mais il est contesté par ces mêmes souverains, celui d’Avignon, Benoît XIII, et celui de Rome, Grégoire XII, pourtant déposés. La crise est aigüe et Sigismond y met toute son autorité. Fin diplomate, maniant les langues, il devient le «caput et dispositor Concilii» (la tête et l’autorité du Concile). L’empereur va gérer l’ingérable, l’existence des trois papes rivaux.

Premier exploit de Sigismond: Jean XXIII accepte, en décembre 1413 que se tienne un nouveau concile à Constance. Le pape espère ainsi l’emporter devant les deux autres pontifes. De son côté Sigismond, roi allemand, souhaite être couronné empereur du Saint-Empire romain germanique à Rome par le pape. Et par un seul pape, reconnu par toute l’Eglise.

Terrain glissant donc, le 1er novembre 1414, au moment de l’ouverture du Concile. Pour la ville impériale, c’est la révolution.

La polyphonie italienne

Constance compte à l’époque 7000 habitants. Commerçants et artisans sont regroupés en une vingtaine de corporations. La tenue du Concile fera passer sa population, par moments, à 60’000 personnes. Car les cardinaux et les nations sont accompagnés de délégations nombreuses.

Le «miracle de Constance» est en marche. L’oasis de paix au cœur de l’Europe va favoriser les échanges. Et ceux qui guerroient entre eux, Anglais, Français et Bourguignons, Polonais et chevaliers teutoniques, y déposent les armes. Une Europe de rencontres s’installe pendant cinq ans.

Au sein des groupes linguistiques, des musiciens et des chanteurs, des marchands et des écrivains, des juristes et des humanistes, des cuisiniers et des soldats. Et les échanges se multiplient. Les musiciens anglais découvrent la polyphonie italienne, durant les offices religieux. Les écrivains repèrent La Divine Comédie de Dante, lue en public et retranscrite par les scribes. Les boulangers italiens amènent leurs recettes de pâte fourrée à la viande, immédiatement adoptées sous le nom de Dünnele.

Un siècle avant la Réforme

Cinq ans de tractations, de tergiversations, de discussions parfois orageuses. Tous les sujets sont débattus dans les résidences des délégations. Les Italiens logent chez les Dominicains, les Anglais et les Allemands chez les Franciscains, les Espagnols et les Portugais chez les Augustins.

Les théologiens sont également au front. Car l’époque, un siècle avant la Réforme protestante, est à la contestation, déjà. Et la papauté n’est pas le seul sujet. Jean Hus, le trublion de Prague, est venu plaider à Constance. Il ne sera pas entendu. Déjà excommunié, accusé d’hérésie, il est arrêté et emprisonné en l’absence du roi. Sigismond a beau vouloir le défendre, rien n’y fera.

«Si tu le libères, tu t’opposes au Concile, plaident les cardinaux. Et si tu libères un hérétique, tu es hérétique toi-même». Le roi va céder. Jean Hus passe sur le bûcher en 1415, hors de la ville. Son disciple Jérôme de Prague, un brillant universitaire connu à Vienne et à Cambridge, subit le même sort un an plus tard.

«Habemus papam»

Le Concile avance. En mars 1415, il voit le pape Jean XXIII prendre la fuite. Il sentait que son influence allait decrescendo. Arrêté, il est ramené à Constance et sera déposé. Figure du Concile, l’influent théologien parisien Jean Gerson, de la Sorbonne, veut donner un contrepoids à une papauté centralisée, en défendant le pouvoir synodal. Le concile adopte le décret Haec sancta, qui proclame l’autorité du concile sur le pape.

Sigismond, soucieux de l’unité de l’Eglise, convainc Grégoire XII de se retirer en juillet 1415. Benoît XIII sera démis de ses fonctions en juillet 1417. La voie est donc ouverte à l’élection d’un pontife unique. «Habemus papam»: ce sera, le 11 novembre 1417, le cardinal Oddo Colonna élu sous le nom de Martin V. Une élection à laquelle ont participé 53 électeurs, 23 cardinaux et 5 nations nommant chacune 6 délégués. Jamais l’élection d’un pape n’avait eu lieu sur sol allemand. Et ce fut la seule élection d’un pape par des non-cardinaux.

Impéria, la courtisane

Constance a donc atteint son but: la tricéphalie est dépassée. Le nom de la ville est inscrit à jamais dans le grand livre de l’histoire de l’Eglise. Le nouvel élu, Martin V, quitte Constance pour traverser la Suisse avec une lenteur calculée. Il va se réinstaller à Rome. Son successeur Eugène IV va y couronner, en 1433, l’empereur Sigismond, qui a redonné à la papauté son crédit.

Constance, important évêché au Moyen Age couvrant une partie de la Suisse, perdra de son lustre: le diocèse est supprimé en 1821 et redécoupé. La ville passera sous la houlette de l’archevêché de Fribourg-en-Brisgau.

Pourtant le Concile continue de vivre au cœur de la ville lacustre. En 1993, une gigantesque statue de 10 mètres est érigée par Peter Lenz dans le port de Constance. C’est Impéria, la courtisane, inspirée de La Belle Impéria d’Honoré de Balzac. Dans ses mains, elle tient le roi et le pape, nus tous deux et coiffés l’un de la tiare, l’autre de la couronne. La caricature est féroce. Mais elle rappelle le seul Concile tenu au nord des Alpes.

Le fuyard Jean XXIII ne fut pas validé comme pape par l’Histoire. Un autre Jean XXIII, le cardinal Angelo Roncalli, reprendra son nom en 1958. Le «bon pape Jean» sera l’initiateur d’un autre Concile, marquant, Vatican II (1962-1965). Un Concile tenu à Rome, loin de Constance.

Pierre Pistoletti

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