Humanae Vitae: de la colère à l'audace

Avec effort et peu d’enthousiasme, je me suis mis à relire «Humanae Vitae». Ne serait-ce que pour me ressouvenir de mon explosion de colère après avoir pris connaissance de ce texte voici cinquante ans.

Colère, mais aussi dépit et tristesse. C’est que nous sortions du Concile qui avait balisé très large le chemin de nos espérances et extrait l’évangile de sa gangue où des siècles de cléricalisme étroit l’avaient confiné. Du moins, le pensai-je en ce temps. Mais alors, d’où vient qu’une deuxième lecture me laissa de marbre aujourd’hui, à la limite de l’ennui? Comme si j’étais face à un document jauni, fané, désuet et obsolète. Valait-il bien la peine que je me mis en pareil état lorsque je le découvris pour la première fois?

Le problème n’est plus de choisir la meilleure méthode de régulation des naissances, mais de sauver et faire grandir l’amour qui survit.

Comme tant de jeunes prêtres et théologiens de cette époque, j’avais suivi par le menu la saga de la commission que Paul VI avait instituée pour l’éclairer sur la question délicate de la «paternité responsable». Certains de ses membres m’étaient proches et je connaissais leur opinion. D’autres changèrent d’avis au cours des débats et devinrent «majoritaires» après avoir défendu les idées de la minorité. Mais au final, à la stupeur quasi générale, ce fut la minorité qui l’emporta. Ce jour-là, l’éthique catholique ne changea pas de paradigme.

L’argument principal n’était certainement pas de nature écologique, même si certains, non sans anachronisme, se plaisent aujourd’hui à vanter pour cette raison les mérites de cette encyclique préconisant les méthodes naturelles de régulation des naissances. Ce fut bien davantage le respect de la tradition qui motiva le choix de Paul VI. Le magistère suprême de l’Eglise ne pouvait renier ce que ses prédécesseurs avaient affirmé. Là était le noeud du problème. Développer sans renier; s’ouvrir sans se figer. Pour beaucoup, l’encyclique de Paul VI ne parvint relever ce défi.

En régime d’incarnation, la parole évangélique ne peut faire abstraction des conditions socio-temporelles au sein desquelles elle jaillit. Mais elle ne s’y identifie pas et les transcendent toutes. Elle revêt à chaque génération une forme nouvelle, sans éteindre l’Esprit qui l’anime. La tradition ne peut donc être qu’en mouvement. Elle n’a rien de figé, liée à des circonstances périmées. Les exemples sont nombreux à l’appui de cette thèse. On pourrait invoquer le développement du dogme trinitaire au cours des trois premiers siècles et, plus proche de nous, le changement radical d’approche pontificale dans l’appréciation de l’œcuménisme. Que de chemin parcouru en ce sens de Pie XI au pape François!

Lorsque Paul VI publiait son encyclique, il n’était guère concevable qu’un mariage ne se conclue pas à l’église et à la mairie. Il convenait donc que l’on parlât de spiritualité conjugale ou matrimoniale et personne ne protestait quand le clergé donnait ses directives et consignes aux couples catholiques.

Cinquante ans passèrent et le mariage «classique» s’effondre, laissant place à des unions passagères nullement scellées par une institution. Des enfants naissent et grandissent au sein de familles éclatées, puis recomposées. Ils ne sont pas pour autant les fruits du hasard. Avec ou sans pilule. Il leur arrive même d’être les enfants de l’amour. Je doute que l’encyclique Humanae Vitae soit pertinente et même audible dans un tel contexte. Le problème n’est plus de choisir la meilleure méthode de régulation des naissances, mais de sauver et faire grandir l’amour qui survit.

Je mise donc sur une parole d’évangile inédite et audacieuse adressée à ces hommes, ces femmes et ces enfants qui n’ont pas cessé d’être aimés de Dieu, même si leurs comportements ne correspondent pas aux règles fixées par une encyclique qu’ils ignorent.

Guy Musy | 07.08.2018

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