Homélie du 12 août 2018 ( Jn 6, 41-51)

 Chanoine José Mittaz – Hospice du Grand-Saint-Bernard

 

« Maintenant, c’en est de trop ! » (1 R 19,4)

 

C’est le cri d’Elie dans le désert, le cri d’Élie au nom de toutes celles et de tous ceux qui aujourd’hui ne peuvent peut-être pas le dire mais l’éprouvent.

« Maintenant, c’en est de trop ! »

C’en est de trop de se retrouver dans un désert, chassé de son pays,

c’en est de trop de cette situation professionnelle où je me fais avoir, où je suis déconsidéré,

c’en est de trop de ces conflits de famille qui n’en finissent pas.

C’en est de trop !

Accueillir ce cri

Que notre célébration de ce jour nous donne d’ouvrir un espace d’hospitalité pour accueillir ce cri qui peut-être à certaines heures est aussi le nôtre. Accueillir ce cri qui peut-être à certaines heures est le nôtre, c’est devenir une présence universelle, capable au travers de l’épreuve de notre existence d’être compagnon, de partager le même pain que celui qui ère dans le désert.

Offrir un peu d’ombre

« Maintenant, c’en est de trop ! » crie Elie, « reprends ma vie, Seigneur ! »

Élie a déjà une sacrée force c’est que dans sa souffrance, il se tourne vers quelqu’un, vers le Seigneur. Mais aussi dans ce désert, il ne s’arrête pas n’importe où, il va chercher l’ombre d’un buisson. Aussi quand Élie dit « reprends ma vie Seigneur », il nous faut écouter son corps, la parole de son être.  Il ne va pas chercher le soleil brûlant et où il pourrait en finir plus rapidement avec cette vie, il cherche l’ombre, il cherche la la présence d’un buisson. Et si notre présence de bienveillance était dans le désert, d’oser être ce buisson. Ce buisson il ne peut rien faire par rapport à ce que vit Élie mais il est là et parce qu’il est là, simplement là ; il peut offrir une ombre qui atténue la brûlure de l’épreuve.

Une vraie culpabilité

« Je ne vaux pas mieux que mes frères » Ah, oui, dans l’épreuve d’Élie, il y a le jugement qu’il se donne à lui-même.  « Je pensais peut-être valoir plus mais eh bien, non, je ne vaux pas plus. »  Il se sent coupable et je puis vous assurer que ce n’est pas une fausse culpabilité, c’est une vraie culpabilité car s’il fuit la reine Jézabel c’est parce qu’il a témoigné du seul Dieu par rapport au Baal, les dieux de la réussite, de l’efficacité, de l’argent à tout prix, s’il fallait le traduire en mots d’aujourd’hui. Il est dans ce mouvement de colère, il a trucidé tous les faux prophètes, donc mis à mort.  Sa culpabilité est vraie, oui, il s’est perdu.  A l’ombre du buisson, celui qui s’est perdu et qui se juge est appelé à rencontrer un Dieu, qui est comme nous l’avons partagé hier soir à la veillée, celui du « peut-être ».  « Peut-être », c’est aussi la présence de la bienveillance. Alors qu’Élie dit « reprends ma vie », Dieu dit : « peut-être qu’il voudra encore vivre, alors je vais m’engager pour cela. »

Une présence de bienveillance

Dans son sommeil, celui de l’anesthésie pour avoir moins mal, l’ange du Seigneur est là. Il nous invite aussi à oser nous reconnaître dans la présence de l’ange du Seigneur, de devenir ce visage-là pour nos frères. Et humblement, l’ange lui dit : « Lève-toi et mange ! » (1 R 19,5)  « Debout », c’est la posture de la vie, du Ressuscité, et « mange ». Élie commence par regarder et il voit une galette cuite sur une pierre brûlante et une cruche d’eau. La bienveillance, c’est aussi de reconnaître la bienveillance de l’autre envers moi. Si la pierre est brûlante c’est que l’ange du Seigneur a pris le temps de faire un feu pendant qu’il dormait, qu’il a pris le temps de rassembler la farine, de pétrir la pâte. Autrement dit, quand nous sommes dans l’épreuve, n’oublions pas qu’il y a une présence qui œuvre discrètement au service de notre vie. Parfois, elle prend visage humain, cette présence de bienveillance, je l’espère le plus souvent possible. Et donc, il n’y a pas que ce que je perçois, il y a la présence de l’autre, « prends, mange, lève-toi et mange !»

Orienter la parole de mort vers la vie

Autrement dit, vous entendez aussi que le Seigneur ne dialogue pas avec le désir de mort d’Élie. Il s’engage comme présence de vie. La présence de bienveillance ne dialogue pas avec la mort mais accueille la parole de mort pour l’orienter vers la vie. Elie se rendort. L’ange du Seigneur continue de veiller, de bien veiller en façonnant une galette qui est comme une prière d’intercession, qui ressemble à ce pain de l’eucharistie que nous partageons.

Un pain qui ouvre un avenir

Et dans sa deuxième parole l’ange lui dit « Lève-toi, mange, car sinon le chemin serait trop long.» (1R 19,7)  Tout d’un coup, c’est un pain qui ouvre un avenir là où Élie ne voyait plus qu’un passé. C’est comme ça que l’on peut se libérer de la culpabilité, c’est lorsqu’une présence nous donne d’orienter notre regard non pas vers le passé qui enchaîne mais vers l’avenir qui s’ouvre.

Et Élie va marcher 40 jours et 40 nuits, fortifié par cette nourriture qui est celle d’une présence qui marche avec lui, qui est compagnon de route, qui a partagé son pain. Élie a partagé le pain de Dieu, il en est fortifié pour monter sur la montagne de Dieu. La montagne de Dieu qui s’appelle l’Horeb. L’Horeb, c’est le mont de la désolation, sa traduction de l’hébreu.  Là où il y a désolation, il peut y avoir pain de présence, révélation d’un souffle ténu qui fait du bien là où nous en avons besoin.


19ème dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques :  1 Rois 19, 4-8; Psaume 33, 2-3, 4-5, 6-7, 8-9; Ephésiens 4, 30–5, 2; Jean 6, 41-51


 

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