Via Francigena: A la lumière du Grand-Saint-Bernard (7/7)

Bourg-Saint-Pierre à l’aube du 15 août 2018. 6h30: pas âme qui vive. Je m’apprête à clore un pèlerinage commencé il y a quelques semaines à Sainte-Croix. La dernière étape me conduit à l’hospice du Saint-Bernard, lieu d’accueil et de fraternité.

A la dernière bifurcation de la rue, le programme de la journée s’affiche, laconique, sur les panneaux jaunes. Le totem du marcheur! Le col est à quatre heures de marche… et de montée! Pourtant lorsque je quitte la route immédiatement à la sortie du village, le sentier m’entraîne en pente douce jusqu’au lit de la Dranse d’Entremont. Sympa. A mon passage à grandes enjambées, des moutons apeurés s’enfuient.

Passé la rivière, mon enthousiasme s’affaisse aussi vite que le sentier se raidit. Je ralentis le pas, je peine. Mince! Si c’est ainsi tout au long du chemin, je suis mal barré. Le test à l’endurance s’étire sur 600 mètres. La pente s’adoucit ensuite… enfin. En progressant, je laisse la forêt derrière moi. J’ai réussi à m’extirper du lit de la rivière. Petite victoire.

Ambiance d’éclipse solaire

Le barrage des Toules est en vue. Le chemin qui y mène, à peine esquissé par endroits, se faufile entre les cailloux et l’herbe grasse. L’ascension me fait presque sortir de terre. De l’autre côté de la rivière les premiers véhicules passent à vive allure dans le tunnel ajouré. Les moteurs vrombissent, amplifiés par cette caisse de résonance routière, et brisent le silence. Je marche dans une ambiance d’éclipse solaire. Le jour, pourtant levé, est incomplet. Il manque le soleil. Motivation supplémentaire pour aller le chercher plus haut.

Auparavant, le lac que retient le barrage des Toules se dévoile en contre-bas. Le chemin le longeant à l’ouest, a fini par m’amener au niveau de la route qui monte au col. Les cimes des reliefs proches s’illuminent. Une descente le long du lac dans les hautes herbes et les fleurs conduit à la source. Le torrent du Pieudet et la Dranse d’Entremont s’y jettent mollement. Mes pensées sont focalisées sur le chemin, le rythme, l’hydratation s’allègent.

Le soleil, enfin!

 Le sentier prend à nouveau du relief, la lumière descend lentement des montagnes environnantes. L’entrée du tunnel qui mène en Italie est maintenant loin, en contre bas du chemin. Encore une demi-heure et j’entre dans le jour. Après une heure vingt de crapahutage! Quel bonheur! A cette heure, le soleil donne sa lumière mais sans chaleur écrasante. L’herbe, encore couverte de rosée, scintille. «En marchant loin des routes, des voitures, on a la sensation d’être vivant» me dira une des deux pèlerines belges que j’ai interviewées à l’hospice. Elle a raison.

Je repasse à l’ombre mais pour un moment. Le trafic routier s’est intensifié. Cars, voitures, camping-cars et beaucoup de motos filent vers le col. Le chemin prend de nouveau l’ascendant sur les lacets de bitume. Je n’y avais pas prêté attention mais les ruisseaux se multiplient le long du trajet. Dans le fraîche lumière du matin, ils forment des trainées de platine qui émergent dans l’herbe abondante. Entendre leur chant fait du bien. Ca rafraîchit!

Le thé de l’hospice

Le vent s’est levé. Pas un nuage dans le ciel. Nouvelle bifurcation: un panneau place le col à 30 minutes. Le sentier se raidit davantage. Une courbe et la bâtisse apparaît, minuscule, au fond, si proche et encore loin. Les derniers mètres dans les cailloux sont les plus difficiles, la pente ne veut pas me laisser arriver.

Dernier pas et j’accoste sur le parking situé en aval du col. Marcher sur le bitume plat me donne l’impression d’avoir passé plusieurs jours en mer. Je passe la porte en bois de l’hospice, jamais verrouillée, et me voici à la «salle du poêle». L’accueil est chaleureux. On me propose, comme à tous les pèlerins, le thé de l’hospice.

La chapelle est pleine en cette solennité de l’Assomption. Au dehors, des dizaines de touristes déambulent sur la route, entre l’auberge, l’hospice et le musée du Saint-Bernard. Les marcheurs de la Via Francigena arriveront un peu plus tard dans l’après-midi. «La salle du poêle» où je prends mon pique-nique ne désemplit pas.

«On laisse tous nos soucis derrière nous»

«Nous pensons marcher 300 kilomètres de la Via chaque année». Attablés devant un bol de thé, Udo et Manfred ont les traits tirés et les cheveux ébouriffés. Les deux copains allemands ont entamé cette année la Via Francigena à Lausanne. Le premier est dentiste, l’autre avocat.

Ils ont commencé leur périple l’année dernière en venant à pied d’Adenau, au sud de Bonn, où ils habitent. Ils sont passés par la Forêt Noire, Bâle, Soleure, Berne puis Fribourg. Au printemps ils ont relié Fribourg à Aigle en une semaine… Le ton est jovial. Ils sont heureux de découvrir l’hospice et ravis de l’accueil.

«Tu es indépendant, libre de décider quand tu pars, où tu vas et le rythme auquel tu voyages», lance Udo. «On laisse tous nos soucis derrière nous, on prend juste la clé de la maison. On a aussi de la chance que nos familles acceptent ça», enchaîne Manfred. Ils comptent aller jusqu’à Rome, au rythme de leurs vacances.

Passer les Alpes

C’est un challenge pour Manfred qui voulait «absolument passer les Alpes». Pèlerin confirmé, Udo a embarqué son copain dans l’aventure de la Via Francigena. Auparavant, il avait fait Compostelle. «Sans jamais prendre la voiture ou le train: il a marché chaque mètre», insiste Manfred.

Plutôt que les hôtels, ils me conseillent de faire halte dans les auberges. «On y fait de très belles rencontres. C’est une des grandes joies de ce voyage». Les deux compères ne tarissent pas d’anecdotes. Udo tient à me photographier avec Manfred, «pour l’album souvenir». La salle est bondée. Arrive un groupe de cinq marcheurs parmi lesquels se trouvent deux femmes Belges. La conversation s’installe rapidement avec les deux Allemands.

«C’est pour nous!»

«Nous étions à Rome l’année passée avec nos deux valises, quand nous avons vu dans le métro cinq nanas avec un look d’enfer, des sacs à dos et des bâtons de marche. Elles venaient de finir la Via Francigena. Là, on s’est dit: ›c’est pour nous!’», raconte Camille radieuse. Voilà pour l’étincelle.

«Nous fêtons 90 ans à nous deux», ajoute Marino. Ces jours-ci, l’une aura 30 ans et l’autre 60. Un «jubilé» qui motivait un peu plus ces pétillantes Bruxelloises à prendre la route. Elles arrivent de Martigny. L’idée est d’aller à Aoste, fin temporaire de leur périple, pour assister à un festival de musique.

«Marcher, prier, chanter, danser, voilà!», lance Marino en riant. Tout un programme pour cette catholique «d’éducation», qui a rejeté la religion avant d’y revenir. Elle y ajoute une dose de spiritualité plus personnelle. «Je suis croyante». Camille n’est pas baptisée, «je n’ai pas encore choisi», confie la trentenaire. Elle se dit très touchée par l’accueil des catholiques par lesquelles elles sont passées. L’aînée prie en chemin: «comme des mantras, je récite des ›Je vous salue Marie’». La cadette porte sa famille et ses amis durant la route. Toutes les deux chantent, surtout dans les églises qu’elles visitent.

«Nous irons à Rome!»

«Tu sors de ta zone de confort, il faut s’équiper ›léger’», explique Marino. Leur «petit luxe»: un peu d’huile d’olive et du sel. La surprise des rencontres les enthousiasme. «Et quel bonheur d’aller dormir à 20h30 sans se poser de questions!» Elles commenceraient bien la Via à Canterbury. Rien n’est fixé. En revanche, c’est sûr, «nous irons à Rome!»

Leurs récits me titillent. Déjà content de mon étape (11,5 km de grimpette, tout de même!), je me pose des questions… Pourquoi pas me refaire un physique avec d’autres étapes suisses de la Via, histoire de prolonger la joie d’arriver, le plaisir de partager et peut-être aller plus loin? (cath.ch/bh)


L’accueil à l’hospice
«En fait, on est accueilli par les pèlerins, ils nous nourrissent», explique le chanoine Frédéric Gaillard. Il travaille à l’accueil de l’hospice du Grand-Saint-Bernard. Il fait allusion à la devise gravée dans l’entrée de l’hospice : «Ici, le Christ est adoré et nourri». Le chanoine évoque tout ce que les pèlerins, ou les marcheurs d’un jour, lui confient: les soucis, la maladie, parfois des drames. «Souvent ils demandent des prières».
Surtout, l’accueil réside dans l’écoute, «C’est au cœur de notre vocation». Frédéric est toujours disponible, et dit recevoir bien plus qu’il ne donne. Il est très touché par le dialogue qui s’instaure entre les pèlerins lorsqu’ils se rencontrent à l’arrivée à l’hospice. «Ils s’accueillent mutuellement, s’entraident. A l’hospice, il n’y a pas de frontières».
Frédéric raconte les témoignages de ceux qui étaient partis marcheurs et qui sont arrivés pèlerins. Il évoque aussi cet homme qui a réussi à parler du suicide de son fils pour la première fois, 16 ans après le drame. «Je suis là au bon moment, au bon endroit».

Bernard Hallet

Portail catholique suisse

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